Bergson, L’évolution créatrice: le langage
Publié le 04/01/2020
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Vous dégagerez l’intérêt philosophique du texte suivant en procédant à son étude ordonnée.
Si [...] les fourmis, par exemple, ont un langage, les signes qui composent ce langage doivent être en nombre bien déterminé, et chacun d’eux rester invariablement attaché, une fois l’espèce constituée, à un certain objet ou à une certaine opération. Le signe est adhérent à la chose signifiée. Au contraire, dans une société humaine, la fabrication et l’action sont de forme variable, et, de plus, chaque individu doit apprendre son rôle, n’y étant pas prédestiné par sa structure. Il faut donc un langage qui permette, à tout instant, de passer de ce qu’on sait à ce qu’on ignore. Il faut un langage dont les signes — qui ne peuvent pas être en nombre infini — soient extensibles à une infinité de choses. Cette tendance du signe à se transporter d’un objet à un autre est caractéristique du langage humain. On l’observe chez le petit enfant, du jour où il commence à parler. Tout de suite, et naturellement, il étend le sens des mots qu’il apprend, profitant du rapprochement le plus accidentel ou de la plus lointaine analogie pour détacher et transporter ailleurs le signe qu’on avait attaché devant lui à un objet. « N’importe quoi peut désigner n’importe quoi », tel est le principe latent du langage enfantin. On a eu tort de confondre cette tendance avec la faculté de généraliser. Les animaux eux-mêmes généralisent, et d’ailleurs un signe, fût-il instinctif, représente toujours, plus ou moins, un genre. Ce qui caractérise les signes du langage humain, ce n’est pas tant leur généralité que leur mobilité. Le signe instinctif est un signe adhérent, le signe intelligent est un signe mobile.
Bergson, L’évolution créatrice, PUF, p. 158-159.
[II. La particularisation dans le langage humain]
Dans une société humaine, il n’y a pas d’automatisme dans les comportements. On constate au contraire, en premier lieu, une extrême diversité dans les réponses apportées aux situations, et en second lieu, que chaque individu, qui n’est pas biologiquement déterminé pour une fonction précise, doit apprendre aussi bien son rôle social, ce qu’il a à faire, que les données de toute expérience nouvelle pouvant se présenter à lui.
Dans ces conditions, les signes sont nécessairement mobiles. En effet, ils ne peuvent être en nombre infini pour désigner une infinité d’objets et de situations (le langage serait alors impossible à mémoriser). Il faut donc qu’un nombre limité de signes puisse s’appliquer à une infinité de situations, ce qui n’est évidemment possible que si chaque signe est relativement indépendant ou séparable de ce qu’il désigne initialement, et s’il peut donc « se transporter d’un objet à un autre ».
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