Bergson, L'Évolution créatrice (1907), Éd. Félix Alain, p. 5.
Publié le 19/03/2014
Extrait du document
« En réalité, le passé se conserve de lui-même, automatique-ment. Tout entier, sans doute, il nous suit à tout instant : ce que nous avons senti, pensé, voulu depuis notre première enfance est là, penché sur le présent qui va s'y joindre, pressant contre la porte de la conscience qui voudrait le laisser dehors. Le méca-nisme cérébral est précisément fait pour en refouler la presque totalité dans l'inconscient et pour n'introduire dans la conscience que ce qui est de nature à éclairer la situation pré-sente, à aider l'action qui se prépare, à donner enfin un travail utile. Tout au plus des souvenirs de luxe arrivent-ils, par la porte entrebâillée, à passer en contrebande. Ceux-là, messagers de l'in¬conscient, nous avertissent de ce que nous traînons derrière nous sans le savoir. Mais, lors même que nous n'en aurions pas l'idée distincte, nous sentirions vaguement que notre passé nous reste présent. Que sommes-nous, en effet, qu'est-ce que notre carac¬tère, sinon la condensation de l'histoire que nous avons vécue depuis notre naissance (...) ? Sans doute nous ne pensons qu'avec une petite partie de notre passé ; mais c'est avec notre passé tout entier, y compris notre courbure d'âme originelle, que nous dési¬rons, voulons, agissons. Notre passé se manifeste donc intégrale¬ment à nous par sa poussée et sous forme de tendance, quoi¬qu'une faible part seulement en devienne représentation. « Bergson, L'Évolution créatrice (1907), Éd. Félix Alain, p. 5.
Le passé se conserve
Le passé est « tout entier «, « à tout instant «. Et même Bergson insiste sur sa présence, « [le passé] est là «, qui fait la synthèse de la totalité de notre personnalité (« sentie, pensé, voulu «), qui actualise l'intégralité de notre histoire. Image poétique d'un passé penché sur le présent. Alors que le
«
d'inconscient, comme espace où doit se cantonner l'inté
gralité du passé,
et l'imagerie d'une porte, à peine laissée
entrouverte ...
1 Le passé est toujours présent
Le souvenir c'est ce qui, inutile, se faufile, malgré les
douaniers qui gardent
la frontière de la conscience .
C'est ce
« qui arrive à passer en contrebande ».
Souvenirs d'ailleurs
peu nombreux
et peut-être plus riches que d'autres.
Ils ont
une fonction pourtant, de « messagers de l'inconscient », cet
espace
où vient, pour chacun de nous s'accumuler notre
passé.
Ils témoignent de l'existence de
ce passé immense,
que les nécessités de l'action présente empêchent d'accéder
à la conscience claire.
Ils ont même une fonction d'alerte
pour nous faire sentir cette présence lourde «que nous traî
nons
».
Cela reste de l'ordre du confus -mais ces signaux
n'existeraient pas, nous ne manquerions pas de
le pressen
tir.
Le passé est toujours présent.
1 Le passé est ce qui nous pousse à agir
Enfin Bergson s'interroge sur notre personnalité.
Il y a
notre caractère : condensation
« de l'histoire que nous avons
vécue depuis notre naissance
».
Condensation qui, en tant
que telle, diminue certes
le volume du passé, mais en aug
mente l'intensité, sans rien en perdre.
Il
y a notre pensée
fragment de notre passé.
Pour Bergson, elle n'est pas valo
risée mais seulement considérée comme une petite partie de
ce que nous sommes.
Il y a, au contraire, tout ce que nous
sommes, en dehors de cette mince pellicule de pensée, nos
désirs (au plus profond), nos volitions (en nous-mêmes),
nos actions (dans
le monde) : l'intégralité du passé y parti
cipe.
Le mécanisme cérébral, au service de
la conscience, est
«fait pour » refouler le passé, dans l'inconscient .
Mais, le
passé intégralement conservé n'est pas ailleurs, confiné
à
part dans un espace qui lui serait réservé et où il serait
enclos.
Il déborde de toutes parts.
Il se manifeste tel qu'il
est : intégralement .
Il est en propre
ce qui nous pousse à
agir.
Une poussée, dit Bergson .
Elle est ce par quoi le passé
devient sensible.
Privilège de
ce qui est senti sur ce qui est
pensé .
Faiblesse de
la représentation qui passe à côté de ce
qui fait l'essentiel de
ce que nous sommes : «une courbure
d'âme »toujours présente en nous •
101.
»
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