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Bergson le rire: le comique exige quelque chose comme une anesthésie momentanée du cœur

Publié le 06/03/2025

Extrait du document

« Henri Bergson dans son ouvrage intitulé : Le Rire Essai sur la signification du comique a écrit que : « le comique exige, pour produire tout son effet, quelque chose comme une anesthésie momentanée du cœur.

Il s’adresse à l’intelligence pure ».

Il est comparé par l’usage de la préposition « comme » à une « anesthésie momentanée du cœur », c’est-à-dire qu’il se situe en dehors des émotions.

Cet arrêt émotionnel est toutefois qualifié de « momentanée » donc provisoire et a une visée particulière : « l’intelligence pure ».

Il faut comprendre que l’émotion serait le principal obstacle au rire, qui s'adresse avant tout à l'intellect.

Si l'émotion prenait le dessus, nous ne trouverions plus aussi divertissante par exemple, la chute volontaire d’un acteur sur la scène.

Elle serait perçue comme inquiétante ou dangereuse. Cette citation nous permet de mettre en relation les Fabliaux du Moyen Age (Traduction et édition de Jean Dufournet) au Rire de Bergson dans la mesure où ils font appel à l’humour, en sollicitant davantage l’esprit que les émotions.

Le comique de situation, l’incongruité et la duperie sont en effet des éléments centraux de ces récits.

Pour en rire pleinement il semble essentiel de s’affranchir des réactions émotionnelles immédiates qui induiraient compassion ou jugement moral.

Nous souhaitons toutefois nuancer cette idée, car ces productions ne se bornent pas simplement à divertir.

Ils constituent également une critique virulente de la société médiévale au travers de personnages souvent caricaturaux et de situations exagérées, ils visent par la distanciation intellectuelle à dénoncer les défauts sociaux, politiques et moraux d’une époque.

Pour aller plus loin dans cette affirmation, nous montrerons que les fabliaux dépassent la réaction individuelle pour puiser dans des mécanismes inconscients et collectifs, soit par la représentation théâtrale des récits, soit par la vision psychologique et sociale de l’homme médiéval. Cette réflexion nous interroge de la manière suivante : Comment les fabliaux parviennent-ils à allier distanciation intellectuelle et éléments émotionnels pour offrir une représentation complexe des travers humains et des inégalités sociales ? Pour y répondre, nous proposerons une analyse détaillée du comique dans les fabliaux, en établissant un lien entre la pensée de Bergson et les mécanismes comiques présents dans ces récits.

Nous poursuivrons en abordant la satire sociale et la critique des classes, qui contribuent à la distanciation intellectuelle réclamée par l’auteur.

Nous conclurons sur le rire social et la subversion des normes : critique et complicité dans les fabliaux. Les récits brefs utilisent un comique qui fait appel davantage à l’esprit qu’aux émotions, en sollicitant une distanciation intellectuelle semblable à celle décrite par Bergson.

Le comique repose sur des mécanismes qui déjouent les attentes du lecteur, avec des retournements de situation ou des personnages ridicules qui, loin de provoquer de la pitié ou de la compassion, amènent à une réflexion sur les travers humains. Pour saisir la dynamique du comique, il est pertinent de se pencher sur la notion d'« anesthésie du cœur », introduite par Bergson, qui décrit comment le rire surgit lorsque les émotions sont temporairement mises à distance.

Ce qui fait rire, c’est précisément la rupture entre ce qui est attendu, l’ordinaire, et ce qui devient incongru, surprenant, voire absurde.

Ce 1 contraste crée une forme de comique, où la distance émotionnelle favorise l’ironie et l’humour.

En effet, dans les fabliaux, les jeux de mots et la manipulation des significations sont au cœur du rire, sollicitent notre esprit et nous incitent à apprécier la complexité linguistique qui sous-tend le récit.

Le comique de mot dans ces histoires repose souvent sur la polysémie, un phénomène qui confère une richesse supplémentaire à la narration.

Prenons l'exemple de « La Mal(le) Honte » de Huon de Cambrai, où la polysémie du mot « honte » joue un rôle central dans la perturbation de l’histoire.

En juxtaposant l’adjectif « mal » au substantif « honte », l’auteur crée une dynamique double : d’une part, une gravité morale liée à la honte, d’autre part, une parodie qui renverse les attentes.

La malle, qui pourrait être un simple coffre, devient alors un lieu symbolique où se mêlent l’objet matériel et la métaphore de la malédiction. Lorsqu'un personnage nommé Honte meurt et confie à son ami la tâche de remettre une partie de sa fortune au roi, il entraîne une confusion volontaire.

Le vilain se rend à la cour et, en présentant cette « la male Honte » au roi, il provoque un quiproquo, exacerbé par l’utilisation du chiasme dans l’expression : « Je vous aport la male Honte ; / La male Honte recevez » (v. 32-33).

Cette ambiguïté qui désigne aussi bien un objet tangible qu'une abstraction morale, crée un décalage comique qui repose sur la distorsion des attentes.

Le roi, interprétant ce présent comme une malédiction, envoie immédiatement le vilain dehors : « Vuidier li fet isnelement » (v.

46).

Le verbe « vuidier », signifiant « vider », indique la chosification du vilain (c’est un contenant que l’on vide, non un être humain) et que par sa disparition, la malédiction elle aussi est évincée.

C’est une manière de soustraire de façon double la problématique rencontrée par le souverain.

L’aspect absurde de la situation provoque également le rire.

Ce jeu de mots, basé sur l’incongruité, sollicite l’intellect du lecteur et produit un effet comique par la déformation des significations.

Ce type de comique repose sur un processus d’intellectualisation qui permet d’échapper à l’émotion immédiate, comme le souligne Bergson.

L’effet comique dans ces passages ne naît pas de l’implication émotionnelle directe, mais de l’écart entre la signification attendue et la réalité de l’interprétation.

Le comique joue sur cette distance, où l’humour émerge de l’absence de lien émotionnel immédiat, permettant au lecteur de prendre du recul et d'apprécier l'absurde avec une certaine désinvolture. Tandis que le premier point met en évidence le processus d’intellectualisation qui permet de rire de l'absurde en prenant du recul, celui que nous évoquons maintenant souligne par le comique de situation, l’usage stratégique de la ruse.

Ainsi Du bouchier d’Abeville d'Eustache d'Amiens, présente initialement le personnage de David comme un chevalier, usant d’un vocabulaire et de valeurs liées à la chevalerie : « sorcot », « espee » (v.

27), « sages », « cortois », « vaillanz » (v.

10).

Pourtant, lorsque David, en quête d'hospitalité, est rejeté par un prêtre dans un village, ce rejet brise l’idéal chevaleresque.

Le prêtre, censé incarner la générosité chrétienne, fait preuve de vénalité et refuse d’ouvrir sa porte : « Lais hom ceenz ja ne girra » (v.

65).

Ce refus violent de l'hospitalité crée une rupture avec les attentes, car un chevalier, selon la tradition, doit être accueilli avec respect et charité.

Face à ce rejet, notre valeureux recourt à la ruse et vole un mouton pour obtenir gîte et couvert : « Si coiement un mouton prist » (v.

110).

Ce retournement de situation fait naître un rire fondé sur l’absurde, car le chevalier, au lieu d'incarner l'honneur, se transforme en voleur.

La ruse et l'inversion des 2 valeurs créent ainsi une distanciation, où le lecteur peut saisir l’humour dans la rupture entre les attentes idéalisées et la réalité des actes. Comme le fabliau joue sur cette inversion des rôles et des valeurs, nous soulignerons également qu'il exerce un effet sur l'espace clos, créant ainsi un cadre propice aux manipulations et aux retournements.

Citons : De Gombert et des deus clers de Jean Bodel, dans laquelle l’hospitalité est pervertie par les clercs, figures censées incarner la vertu chrétienne, mais qui, dans ce récit, abusent de l’hospitalité du maitre des lieux : le vilain.

Ce renversement des rôles, où les clercs, au lieu d’être des modèles de moralité, se révèlent débauchés, provoque un rire fondé sur la distorsion des attentes.

La rime entre « vilein » et « dame » (v.

5) crée une opposition ironique entre le paysan et sa femme, présentée comme une « dame », un terme qui renvoie au modèle courtois.

Ce décalage entre les rôles traditionnels et leur inversion constitue un comique de situation qui critique les préjugés sociaux tout en exploitant l’humour de l’absurde.

Dans cette dynamique, l’espace clos sert de toile de fond à des actions secrètes et à des retournements de situation inattendus.

Ce microcosme social, où les personnages sont confinés et souvent contraints d’agir dans des espaces restreints, intensifie les effets comiques.

Notamment chez : De Gombert et des deus clers, l’espace intime de la maison de Gombert devient un terrain de jeu pour les stratagèmes des clercs et l’humour naît des allers-retours, des confusions et des imprévus générés par cette configuration spatiale.

Le fabliau se nourrit de cet étirement de l’espace, tout comme il exploite l’absurde et la subversion des attentes pour provoquer le rire. Ainsi, l’humour repose bien sur plusieurs mécanismes : le jeu de mots, les inversions de rôles, la distorsion des valeurs, et la manipulation de l’espace qui permettent au lecteur de se divertir tout en jouant avec les attentes et les conventions sociales. Certes les fabliaux utilisent diverses formes.... »

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