Bergson, dans un article publié en 1923, estime la France "prénétrée de classicisme, d'un classicisme qui a fait la netteté de son romantisme". Vous semble-t-il que la littérature française ait en effet toujours préservé l'essentiel de l'apport classique ?
Publié le 06/04/2009
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- Introduction
Bergson, préoccupé de retrouver par la souplesse de l'intuition les mouvements divers de la vie, constatait en 1923 le caractère volontiers systématique et un peu rigide de l'art français : notre littérature, lui semblait-il, loin de se disperser dans le réel, préfère soumettre celui-ci à l'unité; en un mot, elle est « pénétrée de classicisme, d'un classicisme qui a fait la netteté de son romantisme «. Sans doute bien des Écoles qui se veulent révolutionnaires ont en fait gardé à l'œuvre littéraire une cohérence, une unité toutes classiques. Mais Bergson n'est-il pas injuste en ne reconnaissant pas que, périodiquement et surtout au XIXe siècle, de nombreux efforts ont été tentés pour donner à la littérature, au prix même de la dispersion et de l'incohérence, une souplesse et un mystère qui rendent mieux compte de la vie?
- I L'unité volontiers classique des œuvres françaises
1 Il est peu d'oeuvres qui n'aient une unité. La plupart des grands écrivains français ont le goût de la composition et presque tous proclament la nécessité de la concentration. Balzac affirme que c'est la loi de l'art: Maupassant prétend qu'elle est indispensable au réalisme (Préface de Pierre et Jean, 1888) et c'est vrai à plus forte raison des auteurs du XVIIIe siècle, héritiers directs du classicisme : sans doute ceux-ci ne savent-ils pas toujours très bien composer (des faiblesses à ce point de vue chez Montesquieu, chez Voltaire), mais au moins font-ils le plus souvent court, et ils pourraient dire comme La Fontaine: «Les longs ouvrages me font peur.« (Fables, Livre VI. Épilogue.) D'une façon générale, il n'y a guère chez nous de ces « longs ouvrages « comme La Divine Comédie de Dante ou Le Paradis perdu de Milton, ou tout au moins ils n'ont pas bonne presse et payent souvent très cher aux yeux de la postérité leur allure de « somme « : les longs romans en prose du Lancelot Graal, les vingt-deux mille vers du Roman de la Rose, les interminables volumes de L'Astrée d'Honoré d'Urfé, de la Cléopâtre de La Calprenède, de la Clélie de Mlle de Scudéry traînent derrière eux une réputation souvent injustifiée d'écrasant ennui et d'insupportable monotonie. Si précisément le moyen âge a longtemps souffert d'une sorte d'ostracisme, c'est parce qu'il eut trop le goût de ces vastes ensembles sans composition véritable (songeons aux trente-cinq mille vers de la Passion d'Arnoul Gréban ou aux soixante-cinq mille vers de la Passion de Jean Michel et aux trois ou quatre journées qu'en durait la représentation).
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2 Parallèlement, le xiv siècle crée les sciences biologiques : le vivant n'est pas un système de lois indéfinimentrépétées, il est nouveauté de tous moments (cf.
les doctrines de l'évolutionnisme); le bergsonisme lui-même est laprise de conscience philosophique de l'importance du vivant comme innovation toujours possible.
A la psychologieuniverselle se substitue la psychologie de Proust, où l'instant est surgissement de la conscience, « moment sansantécédent » (G.
Poulet, cf.
XXe Siècle, p.
614).
Et pour Gide, l'instant doit nous trouver toujours disponibles(Ibidem, p.
251).
3 Sur le plan littéraire, le XIXe siècle ose parfois rompre nettement avec la technique du livre qui unifie un aspect duréel au profit de l'œuvre qui cherche à embrasser ce réel dans sa totalité.
L'œuvre entreprend de porter un monde :monde humain et social (Balzac), monde supérieur et idéal (Hugo, Rimbaud, etc.), monde mystérieux desprofondeurs de l'âme (Lautréamont, les romanciers russes dont l'influence est très importante vers la fin du XIXesiècle, etc.).
La forme de l'œuvre en est évidemment bouleversée : ce n'est plus l'œuvre classique, bien referméesur elle-même, c'est l'œuvre ouverte, géante, incomplète (cette incomplétude dont Proust faisait la caractéristiquemême des grandes œuvres du XIXe siècle, cf.
La Prisonnière, Pléiade, t.
III, p.
160): c'est La Légende des siècles deHugo, c'est Y Histoire de France de Michelet, et c'est surtout la naissance de ces vastes romans modernes quipoussent devant eux leurs développements indéfinis et n'ont en fait d'autre mouvement que celui du réel dans leTemps.
4 Quant au langage il est certes ce qui résistera le plus longtemps à cet effort de l'artiste moderne pour coïncideravec la dispersion du réel.
C'est pourquoi, justement, depuis le symbolisme tout effort véritable de renouveau de lalittérature commencera par une remise en question du langage.
L'écrivain moderne a l'impression d'utiliser unsystème linguistique qui, malgré lui.
le renvoie à une esthétique qui n'est plus la sienne : « Un chef-d'œuvre moderneest impossible, l'écrivain étant placé par son écriture dans une contradiction sans issue : ou bien l'objet de l'ouvrageest naïvement accordé aux conventions de la forme, la littérature reste sourde à notre Histoire présente, et lemythe littéraire n'est pas dépassé; ou bien l'écrivain reconnaît la vaste fraîcheur du monde présent, mais pour enrendre compte, il ne dispose que d'une langue splendide et morte.
» (Roland Barthes, Le Degré zéro de l'écriture.)
Conclusion
Bergson marque bien une tendance irréductible de l'esprit français : après les romans-fleuves d'un Romain Rolland oud'un Martin du Gard, le roman composé et concentré (Le Diable au corps de Radiguet; La Chute de Camus: BonjourTristesse de Fr.
Sagan, etc.) est accueilli avec faveur.
Bergson n'en est pas moins injuste de méconnaître un effort dont ii est lui-même la prise de consciencephilosophique.
Au fond, l'on peut se demander dans quelle mesure il n'y a pas toujours eu coexistence dans notrelittérature d'une tendance vers l'unité pure et harmonieuse des belles œuvres et d'une autre tendance vers la viedans sa diversité et sa confusion.
Éternel « dialogue » de Ronsard et de Rabelais, de Malherbe et de Régnier, deRacine et de Saint-Simon, de Vigny et de Hugo, de Valéry et de Breton..
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