Baruch SPINOZA: Proposition XLIX
Publié le 10/04/2005
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«
Spinoza renvoie ici le lecteur à la proposition XLVIII : « Il n'y a dans l'esprit aucune volonté absolue ou libre; maisl'esprit est déterminé à vouloir ceci ou cela par une cause qui elle aussi est déterminée par une autre.
» Lespinozisme est la philosophie de l'universelle nécessité, du déterminisme systématique.
Dans la chaîne ininterrompuedes causes et des effets il n'y a aucune faille, aucune contingence, aucune place pour une volonté, pour un librearbitre irrationnel.
-D'où vient alors cette illusion d'une volonté transcendante et qui serait capable dans une initiative autonome,absolue, d'affirmer ou de nier, de suspendre ou non le jugement, bref de disposer arbitrairement de ce quel'entendement propose? La réponse est que nous imaginons à partir des volitions diverses connues par expérience,une faculté abstraite, la volonté dont les multiples volitions seraient l'expression : « Car l'homme ayant tantôt cettevolonté-ci, tantôt cette volonté-là en fait une faculté générale de l'âme qu'il appelle volonté.
» (Court Traité, 2epartie, chap.
XVI.) Il s'agit donc d'une de ces idées générales, purement imaginaires que Spinoza a souventdénoncées; il s'agit d'une fiction abstraite que nous n'avons que trop tendance à prendre pour une réalité : « Ilarrive que l'homme considère des êtres abstraits comme des choses qui existent réellement dans la nature...
Car sion demande : Pourquoi l'homme veut-il ceci ou cela? la réponse sera : parce qu'il a une volonté! Mais puisque lavolonté n'est...
qu'une idée générale de telle ou telle volition, un être de raison et non un être réel rien ne peut êtrecausé par elle, car du néant rien ne sort.
» C'est ce que Spinoza écrivait à Oldenburg : il est aussi impossible deconcevoir que la volonté soit la cause de telle ou telle volition que d'imaginer que la « pierréité » est la cause del'existence de tel eu tel caillou, que l'« humanité » est la cause de l'existence de Pierre ou de Paul.
En réalitéchacune de nos « volitions » particulières, c'est-à-dire chacune de nos décisions concrètes (et par exemple de nosdécisions d'affirmer ou de nier) est strictement déterminée, dans chaque cas, par des causes précises....
Concevons donc telle volition singulière par exemple le mode du penser par lequel l'esprit affirme que les troisangles d'un triangle sont égaux à deux droits...
Cette affirmation appartient à l'essence de l'idée du triangle et n'estpas autre chose que cette idée elle-même...
Je décide d'affirmer que la somme des angles du triangle vaut deuxdroits.
Cette affirmation est rigoureusement déterminée par le mécanisme des idées de quiconque en a suivi sérieusementla démonstration.
Cet exemple est même le modèle géométrique auquel Spinoza se réfère constamment pour illustrersa théorie de l'universelle nécessité.
Pour Spinoza l'univers est constitué par une « substance » infinie qui a uneinfinité d'« attributs » — dont nous ne connaissons que deux, la pensée et l'étendue.
Chaque mode est uneexpression définie et déterminée de l'attribut auquel il appartient.
Par exemple ce corps est un mode de l'étendue,déterminé par tous les autres modes de l'étendue qui agissent sur lui ; cette idée (par exemple l'idée que la sommedes angles du triangle vaut deux droits) est, comme dit notre texte, un « mode du penser », un mode fini del'attribut pensée, lié à toutes les idées dont il dépend.L'affirmation de cette propriété du triangle loin de requérir comme le croyait Descartes une faculté spéciale, lavolonté, est en réalité indissociable de l'idée claire de triangle elle-même.
Vous ne pouvez pas poser cetteaffirmation sans poser l'idée de triangle et réciproquement l'idée de cette propriété du triangle s'affirme d'elle-même.« Cette affirmation appartient à l'essence de l'idée de triangle et n'est pas autre chose que cette idée elle-même.»Posez l'idée du triangle et cette idée implique d'elle-même nécessairement l'affirmation des propriétés du triangle : «Je dis qu'appartient à l'essence d'une chose ce qui, étant donné, fait que cette chose est nécessairement donnée.» (Livre II, Définition Il.)Pour Spinoza donc la croyance est déterminée par la clarté intrinsèque de l'idée.
C'est l'évidence propre à une idéequi explique que nous donnions notre assentiment à une idée.
De même le doute ne saurait comme pour Descartesprovenir d'une décision arbitraire de la volonté qui prendrait l'initiative de suspendre l'assentiment.
Le doute résulteseulement de la contradiction et de la confusion des idées.
Lorsque mes représentations sont confuses,contradictoires, elles n'enveloppent par elles-mêmes aucune affirmation, aucune négation ; je me trouve dans unétat d'hésitation, de fluctuation (c'est la « fluctuatio animi » dont parle Spinoza) qui est le doute.
Mais dès qu'uneidée claire et distincte occupe mon esprit, je ne peux m'empêcher de croire, c'est l'idée elle-même qui par ledynamisme propre de son essence, s'affirme vraie en moi, qui s'impose à mon assentiment, car une idée n'est pasune « peinture muette» mais elle s'affirme elle-même....
Ce que nous avons dit de cette volition (puisque nous l'avons pris comme exemple à notre gré) il faudra le diremême de n'importe quelle volition, à savoir qu'elle n'est rien d'autre que l'idée.
Là est tout le problème en effet.
Onpeut admettre sans grande difficulté qu'une décision de mathématicien relative à la vérité d'un théorème soit «enveloppée » par l'évidence intrinsèque du raisonnement.
(Encore que le modèle géométrique auquel Spinoza seréfère ait perdu de sa valeur démonstrative.
Car l'affirmation que la somme des angles du triangle vaut deux droitsimplique que nous avons adopté les axiomes d'Euclide.
Et pour les mathématiciens modernes, tout opposés àSpinoza sur ce point, l'adoption d'une « axiomatique » parmi toutes les autres possibles est une sorte de décisionpure qui n'est guidée par aucune évidence préalable.) Mais un acte volontaire qui engage ma vie est fort peucomparable avec l'affirmation d'une vérité mathématique.
Affirmer, dira-t-on, ce n'est pas encore agir.
Je peuxaffirmer que tel parti politique a raison sans pour autant m'engager réellement dans ce parti.
Les raisons de la raisondit M.
Jankélévitch sont souvent « semblables à ces prédicateurs éloquents qui font changer d'opinion et non deconduite ».
Entre la simple affirmation et l'acte, l'« engagement » comme on dit aujourd'hui, ne faut-il pas faireplace à une liberté qui est autre chose que la simple puissance de l'idée? Spinoza répond que non.
Pour lui tout estdéterminé, nos affirmations théoriques comme nos actes concrets rentrent dans le déterminisme universel.
N'importequelle volition — acte ou simple affirmation — aurait pu servir d'exemple.
L'intellectualisme de Spinoza est radical.
Scolie...
Par ces considérations nous avons rejeté la cause communément admise de l'erreur.
Spinoza aborde ici une des.
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