Baruch Spinoza : LETTRE LVIII À SCHULLER
Publié le 20/03/2010
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Je passe maintenant à cette définition de la liberté que votre ami dit être la mienne1. Je ne sais d'où il l'a tirée. J'appelle libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d'une certaine façon déterminée. Dieu, par exemple, existe librement bien que nécessairement parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même et connaît toutes choses librement, parce qu'il suit de la seule nécessité de sa nature que Dieu connaisse toutes choses. Vous le voyez bien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret mais dans une libre nécessité. Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées par des causes extérieures à exister et à agir d'une certaine façon déterminée. Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une pierre par exemple reçoit d'une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvement et, l'impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu'elle est nécessaire, mais parce qu'elle doit être définie par l'impulsion d'une cause extérieure. Et ce qui est vrai de la pierre il faut l'entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu'il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d'une certaine manière déterminée. Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, pense et sache qu'elle fait effort, autant qu'elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu'elle a conscience de son effort seulement et qu'elle n'est en aucune façon indifférente, croira qu'elle est très libre et qu'elle ne persévère dans son mouvement que parce qu'elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. 1. L'ami en question s'était hasardé à rapprocher la notion spinoziste de liberté (conçue comme "libre nécessité") du libre arbitre cartésien (conçu comme "libre décret" de l'esprit humain).
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Je passe maintenant à cette définition de la liberté que votre ami dit être la mienne 1.
Je ne sais d'où il l'a tirée.
J'appelle libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui
est déterminée par une autre à exister et à agir d'une certaine façon déterminée.
Dieu, par exemple, existe
librement bien que nécessairement parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature.
De même aussi Dieu se
connaît lui-même et connaît toutes choses librement, parce qu'il suit de la seule nécessité de sa nature que Dieu
connaisse toutes choses.
Vous le voyez bien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret mais dans
une libre nécessité.
Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées par des causes extérieures à exister et à agir
d'une certaine façon déterminée.
Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une
pierre par exemple reçoit d'une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvement et, l'impulsion
de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement.
Cette persistance de la
pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu'elle est nécessaire, mais parce qu'elle doit être définie
par l'impulsion d'une cause extérieure.
Et ce qui est vrai de la pierre il faut l'entendre de toute chose singulière,
quelle que soit la complexité qu'il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes,
parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir
d'une certaine manière déterminée.
Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, pense et sache
qu'elle fait effort, autant qu'elle peut, pour se mouvoir.
Cette pierre assurément, puisqu'elle a conscience de son
effort seulement et qu'elle n'est en aucune façon indifférente, croira qu'elle est très libre et qu'elle ne persévère
dans son mouvement que parce qu'elle le veut.
Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder
et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les
déterminent.
1.
L'ami en question s'était hasardé à rapprocher la notion spinoziste de liberté (conçue comme "libre nécessité") du libre arbitre cartésien
(conçu comme "libre décret" de l'esprit humain)..
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