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Baruch SPINOZA: De la liberté d'expression et Etat

Publié le 10/04/2005

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spinoza
Plus on prendra de soin pour ravir aux hommes la liberté de la parole, plus obstinément ils résisteront, non pas les avides, les flatteurs et les autres hommes sans force morale, pour qui le salut suprême consiste à contempler des écus dans une cassette et à avoir le ventre trop rempli, mais ceux à qui une bonne éducation, la pureté des moeurs et la vertu donnent un peu de liberté. Les hommes sont ainsi faits qu'ils ne supportent rien plus malaisément que de voir les opinions qu'ils croient vraies tenues pour criminelles (...) ; par où il arrive qu'ils en viennent à détester les lois, à tout oser contre les magistrats, à juger non pas honteux, mais très beau, d'émouvoir des séditions pour une telle cause et de tenter n'importe quelle entreprise violente. Puis donc que telle est la nature humaine, il est évident que les lois concernant les opinions menacent non les criminels, mais les hommes de caractère indépendant, qu'elles sont faites moins pour contenir les méchants que pour irriter les plus honnêtes, et qu'elles ne peuvent être maintenues en conséquence sans grand danger pour l'État. Baruch SPINOZAOn pourrait formuler la thèse centrale de Spinoza, dans ce texte, en une phrase. C'est la mise en cause de la liberté d'expression, et non son respect, qui nuit le plus à l'État. Comment une telle idée est-elle développée ? Il s'agit en fait d'exposer et de fonder ce qui peut passer pour un paradoxe : la liberté d'expression n'est pas un facteur de trouble ou de division, mais au contraire un facteur de cohésion et de calme. Dans une première étape (jusqu'à « un peu de liberté »), Spinoza pose la nécessité de la liberté d'expression à l'aide d'une sorte de raisonnement par l'absurde : toute restriction à celle-ci dresserait contre l'État les hommes d'esprit libre.
spinoza

« avec son insertion dans la division sociale du travail (les tâches des uns et des autres sont complémentaires, etmutuellement utiles dans le cadre de la réciprocité sociale).

Mais surtout, cette liberté repose sur trois facteursessentiels selon Spinoza : la bonne éducation, dans la mesure où elle semble déterminante pour former la capacitéde jugement autonome.

« Bonne », l'éducation ne peut l'être que si elle exclut l'endoctrinement, car alors elle nepeut contribuer à former des hommes « de caractère indépendant » ; le propre d'une telle éducation doit être derendre possible, à partir d'une assimilation maîtrisée des connaissances et d'une formation philosophique adéquate,le sens critique qui permet à chaque homme de réfléchir sur les fondements des pratiques et des représentations,comme sur les fins de la vie sociale.

La pureté des moeurs désigne ici un art de vivre qui maintient la condition depossibilité de l'indépendance de caractère.

Un homme avide, toujours prisonnier de ses désirs et incapable dehiérarchiser raisonnablement les buts qu'il vise, devient vite esclave : son « avidité », sa recherche éperdue del'argent, sa gloutonnerie (cf.

la première phrase du texte) lui ôtent insensiblement toute capacité d'indépendance.Spinoza ne moralise pas, mais conformément à l'idéal de l'éthique grecque, précise de quel type d'art de vivredépend la liberté.

Troisième facteur enfin : la vertu.

Conformément à toute la logique du texte, celle-ci peut sedéfinir comme une disposition durable à cultiver des fins raisonnables, et à rejeter tout ce qui pourrait nuire àl'indépendance.

L'homme vertueux est aux antipodes des « avides », des « flatteurs » et « autres hommes sansforce morale » : le désir d'avoir toujours plus, la volonté de flatter un dirigeant (pour avoir ses faveurs) avilissent lecitoyen et lui ôtent toute liberté de jugement. b) « les lois concernant les opinions menacent non les criminels, mais les hommes de caractère indépendant »Une des justifications les plus courantes, par la puissance publique ou ses représentants, des lois qui portentatteinte aux libertés est l'invocation de la « sécurité des personnes et des biens ».

Ces lois d'exception (ou de règledans les dictatures) seraient donc tournées contre les criminels.

Qu'en est-il réellement ? En quoi le fait d'interdire lalibre expression des opinions peut-il dissuader les criminels ? L'expression publique et argumentée d'un désaccordavec telle ou telle mesure prise par un gouvernement est-elle réellement dangereuse ? La réponse de Spinoza estclaire : seuls les hommes honnêtes et indépendants, qui veulent participer efficacement aux décisions du groupe etexercent pour cela leur capacité de jugement, peuvent être lésés par une telle mesure.

Le pluralisme des avis n'estpas un mal, pourvu que la recherche de la vérité finalise le dialogue et lui confère sa rationalité.

Toute loi visant àinterdire, ou à restreindre, la liberté de parole tend à faire valoir une relation de pouvoir, contradictoire avec larelation de raison : elle ne peut donc inquiéter les criminels, qui sont déjà en dehors de la relation de raison. 3.

L'assise d'un État démocratique est le consentement implicite des citoyens : pour ce consentement, on reconnaîtà l'État le pouvoir de faire ce qui permet à la communauté de subsister dans des modalités conformes à l'exigencede justice et à l'harmonie.

Les lois, destinées à codifier ce qui est requis dans une telle perspective, n'ont donc desens et de justification que par rapport aux valeurs constitutives de la communauté.

La promulgation d'une loi quin'aurait pas une telle raison d'être rompt, plus ou moins explicitement, le consentement qui, en fait, donne sa forceà l'État.

Comment un citoyen libre et raisonnable peut-il accepter que, sous prétexte de maintenir sa sécurité, onrestreigne sa liberté de jugement et d'expression ? Un État qui prétend interdire cette liberté s'aliène assez vite lesoutien des citoyens, dont justement la citoyenneté n'est même plus reconnue.

Il peut, en combinant lessubterfuges idéologiques et la force brutale de la répression, subsister un certain temps, mais il est condamné àterme.

L'histoire des dictatures au xxe siècle en fournit plusieurs exemples : les dictatures de Franco en Espagne, deMarcos aux Philippines, de Duvalier en Haïti, ont produit à terme une réaction de rejet populaire.

Celle de Castro àCuba subsiste encore, mais elle connaîtra sans doute le même sort. 4.

Certains hommes politiques jouent sur la peur du désordre, soigneusement entretenue, pour tenter de restreindretelle ou telle forme de liberté.

Bien entendu, dans le discours apparent, la liberté, comme la sécurité, reste unevaleur de référence – mais la pratique effective est bien différente.

Le cas le plus extrême d'une telle attitude estcelui des dictatures, où le culte de l'ordre sert à justifier l'atteinte aux libertés les plus élémentaires, dont la libertéd'expression.

Par-delà les faux-semblants, une question très réelle se pose : la liberté d'expression constitue-t-elleréellement une menace pour l'ordre public ?La thèse selon laquelle la liberté d'expression représente une menace pour l'ordre public peut être explicitée de lafaçon suivante.

Une telle liberté conduit les hommes à rendre manifestes leurs désaccords éventuels avec legouvernement qui, par les mesures qu'il prend, s'efforce d'assurer l'ordre public.

La « publicité » ainsi faite auxdésaccords est un facteur de trouble,car elle tend à détruire la confiance des citoyens envers le gouvernement, voire à les inciter à la révolte, à lasubversion.

C'est, à terme, l'ordre public qui est aussi menacé.Un tel raisonnement procède de plusieurs présupposés.

Le premier consiste à poser que l'ordre est une fin en soi, entout cas supérieure à la liberté d'expression.

Le deuxième réside dans l'identification de l'ordre public à un certainordre, imposé ou maintenu par un gouvernement donné.

Le troisième est que la libre expression du pluralisme (desavis, des opinions, des points de vue) entraînerait ipso facto l'affaiblissement du pouvoir et, partant, de l'ordre (cetroisième présupposé s'articule, comme on le voit, au deuxième).Afin de répondre à la question initiale, il convient donc d'examiner chacun de ces présupposés, et d'en apprécier lavaleur, réelle ou supposée.Tout d'abord, de quel ordre parle-t-on ? S'agit-il de la disposition harmonieuse et non contradictoire des élémentsqui rendent possible la constitution d'une communauté humaine harmonieuse et juste ? Ce type d'ordre possède uncaractère idéal et, à ce titre, peut représenter une fin en soi, un fondement authentique.

Il ne peut être confonduavec tel ou tel ordre social, historiquement déterminé, assurant par exemple la perpétuation d'un rapport de forcesqui profite à certains et nuit à d'autres.

Contester un ordre, ce n'est pas contester l'ordre public.

Un homme qui nepeut s'accomplir dans le cadre d'un ordre social qui par exemple le réduit à la misère, ou l'empêche de s'exprimer, nevoit aucunement la nécessité de défendre cet ordre.

On peut s'efforcer de présenter cet ordre comme l'« ordre. »

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