Autrui, la conscience et la honte Jean-Paul SARTRE : Etre et Néant
Publié le 20/03/2015
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La honte réalise donc une relation intime de moi avec moi : j'ai découvert par la honte un aspect de mon être.
Et pourtant, bien que certaines formes complexes et dérivées de la honte puissent apparaître sur le plan réflexif, la honte n'est pas originellement un phénomène de réflexion.
En effet, quels que soient les résultats que l'on puisse obtenir dans la solitude par la pratique religieuse de la honte, la honte dans sa structure première est honte devant quelqu'un.
Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi, je ne le juge ni ne le blâme, je le vis simplement, je le réalise sur le mode du pour-soi.
Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu'un était là et m'a vu.
Je réalise tout à coup la vulgarité de mon geste et j'ai honte.
Il est certain que ma honte n'est pas réflexive, car la présence d'autrui à ma conscience, fût-ce à la manière d'un catalyseur, est incompatible avec l'attitude réflexive : dans le champ de ma réflexion, je ne puis jamais rencontrer que la conscience qui est mienne.
Or autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même : j'ai honte de moi tel que j'apparais à autrui.
Et, par l'apparition même d'autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet, car c'est comme objet que j'apparais à autrui.
Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n'est pas une vaine image dans l'esprit d'un autre.
Je pourrais ressentir de l'agacement, de la colère en face d'elle, comme devant un mauvais portrait de moi, qui me prête une laideur ou une bassesse d'expression que je n'ai pas ; mais je ne saurais être atteint jusqu'aux moelles : la honte est, par nature, reconnaissance.
Tout ce texte tend à préserver l'originalité de la honte en supprimant deux malentendus.
Le premier malentendu est celui de la réflexivité.
En effet, j'ai honte de moi.
Il semble donc que je prenne conscience de moi comme ayant accompli un acte blâmable, et que la honte soit conséquence ou modalité de la conscience de moi comme fautif à mes yeux.
Je serais juge de moi-même en cette conscience réflexive.
Or Sartre veut montrer le contraire : la honte ne se produit pas dans le rapport intime de moi à moi-même, elle est honte de moi devant autrui.
Le second malentendu ferait du regard d'autrui la source de l'opinion qu'il a de moi.
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Tout ce texte tend à préserver l'originalité de la honte en supprimant
deux malentendus.
Le premier malentendu est celui de la
réflexivité.
En effet, j'ai honte de
moi.
Il semble donc que je prenne conscience de moi comme ayant
accompli un acte blâmable, et que la honte soit conséquence ou modalité
de la conscience de moi comme fautif à mes yeux.
Je serais
juge de moi
même en cette conscience réflexive.
Or Sartre veut montrer le contraire :
la honte ne se produit pas dans le rapport intime de moi à moi-même, elle
est
honte de moi devant autrui.
C'est parce que je suis vu que j'ai honte de
moi :
le regard d'autrui est la condition de la honte de moi-même.
Or il
n'est pas donné dans ma pure conscience réflexive.
Certes, la honte est en
ma conscience, mais elle implique que j'aie conscience de moi non pas
seulement tel que
je m'apparais à moi-même, mais tel que j'apparais à
autrui.
Le second malentendu ferait du regard d'autrui la source de
l'opinion qu'il
a de moi.
La honte ne serait qu'une tristesse qu'elle causerait en moi si
elle m'était défavorable.
Mais alors, soit que j'en craigne les
conséquences, soit que je m'irrite du fait qu'autrui ne me connaisse pas
tel que
je suis, je n'identifierai pas à moi-même l'image qu'autrui se fait
de moi,
je préserverai plutôt une vérité de mon for intérieur contre tout
ce qu'il pensera de moi.
Au contraire, la honte vient du fait que
je me
reconnais dans le regard d'autrui ; il n'est pas simplement ce qui donne à
autrui une opinion ou une image de moi, vraie ou fausse, il me fait être à
mes propres yeux ce que je suis pour lui.
Dans la honte s'abolit la séparation absolue de mon être-pour-moi-même
et de mon être-pour-autrui.
Je ne compare pas ce que je sais de moi par
moi-même avec
ce qu'autrui pense de moi: autrui, en moi-même, me
révèle à moi-même, bien qu'il ne me connaisse pourtant que du dehors.
Il faut soumettre cette analyse à un examen critique.
Est-il vrai que je
n'aie pas réflexivement honte de moi-même? Qu'en est-il du regard de
Dieu ? Que se passe-t-il quand j'accomplis un geste dont
je sais qu'il n'est
pas vulgaire, mais dont il m'apparaît soudainement qu'autrui peut le
trouver tel : puis-je être à la fois irréprochable à mes yeux
et éprouver de
la honte devant autrui ? J'aurais alors honte de moi tel que j'apparais à
autrui,
sans me reconnaître en cette apparence.
Quel est enfin le rapport
qu'entretiennent le regard réel d'autrui (quelqu'un me voit),
et le regard
possible (on pourrait me voir) ? En un mot, ai-je honte d'être vu, ou bien
d'être visible ?.
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