Autrui est-il le médiateur indispensable entre moi et moi-même ?
Publié le 23/05/2009
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Si l'on rencontre parfois, dans l'existence quotidienne, des problèmes avec les autres, on ne fait pas pour autant d'autrui un problème. Réfléchir sur la connaissance qu'il m'est possible d'avoir d'autrui, ou sur le rôle d'autrui vis-à-vis de moi-même, en bref s'interroger sur les rapports entre moi et autrui, voilà qui semble-t-il appartient en propre au domaine de la philosophie. Les questions que pose le rapport moi-autrui relèvent même d'un certain type de philosophie qui possède la double caractéristique d'être une philosophie du sujet et une philosophie de l'existence. Nous appelons philosophie du sujet, pour dire les choses fort succinctement, une philosophie qui fait du sujet ou de la conscience la source de tout sens. La philosophie du sujet affirme le primat de l'ego (du « je « ou du « moi «). Le père de toute philosophie du sujet est Descartes. Mais il n'y a pas chez lui, à proprement parler, de question d'autrui. Les rapports avec autrui sont au XVIIe siècle médiatisés par la raison et par Dieu. C'est lorsqu'il n'y a plus, avec la philosophie de l'existence, qu'autrui comme médiateur entre moi et moi-même que surgissent les difficultés. La philosophie de l'existence, telle qu'elle apparaît notamment dans l'Être et le Néant de Sartre, correspond à une évolution bien précise de la philosophie du sujet.
«
différencier de l'en-soi, pour l'autre qui me regarde, je suis pareil à un objet.
On comprend dès lors pourquoi le conflitapparaît à Sartre comme « l'essence de la conscience ».
Dans la perspective de Sartre, le conflit apparaît bel etbien comme étant au fondement de tout rapport avec autrui.
« Le conflit est le sens originel de l'être-pour-autrui.
»(Id.
p.
431.)Ainsi, si nous voulions à présent répondre à la question : autrui est-il le médiateur indispensable entre moi et moi-même, nous devrions dire sans doute : oui, hélas.
Mais c'est encore une fois le concept d'autrui qui doit être remisen question.
En effet, est-ce bien par l'intermédiaire d'autrui que je parviens à moi-même, ou bien par celui desautres? Et ne manque-t-il pas encore quelque chose à ces deux termes? N'ayons garde d'oublier un médiateur toutaussi indispensable qu'autrui : le monde.
C'est parce que tout rapport à autrui a lieu sur la toile de fond du mondeque le conflit cesse d'être le constituant essentiel de ces rapports.
On peut se demander si les trois dimensions deSartre ne se réduisent pas, malgré tout, aux deux dimensions qu'elles sont initialement, à savoir moi et autrui.
Ilmanquerait ainsi une dimension fondamentale à Sartre : celle du monde.
C'est peut-être parce que Sartre n'a pasanalysé avec suffisamment de densité cette appartenance commune d'autrui et de moi-même au monde que sesdescriptions manquent de nuances et se déroulent dans l'horizon du conflit.
Merleau-Ponty a quant à lui bien mieuxtenu compte des véritables trois dimensions que sont autrui, moi et le monde.
Il s'aperçoit alors qu' « autrui n'estplus tellement une liberté vue du dehors comme destinée et fatalité, un sujet rival d'un sujet, mais qu'il est pris dansle circuit qui le relie au monde, comme nous-mêmes, et par là aussi dans le circuit qui le relie à nous.
— Et ce mondenous est commun, est intermonde » (le Visible et l'Invisible, p.
322).
Autrement dit, ce qu'on peut reprocher ausujet, à l'ego sartrien, c'est de n'avoir aucun relief, d'être si l'on veut, un ego désincarné.
L'ego en effet n'est peut-être pas ce pur pour-soi que décrit Sartre.
Et l'ego auquel pense Merleau-Ponty est bien plutôt celui qui fait corpsavec le monde.
Au fond, dit Merleau-Ponty, « chez Sartre c'est toujours moi qui fais la profondeur, qui la creuse, quifais tout, et qui ferme du dedans ma prison Sur moi » (le Visible et l'Invisible, p.
291).
Aussi n'est-ce point un hasardsi, en modifiant la perspective sartrienne qui fait du conflit l'horizon de n'importe lequel de nos rapports à autrui,Merleau-Ponty modifie du même coup la nature profonde du rapport moi-autrui.
Merleau-Ponty ne parle plus commele faisait Sartre du « problème d'autrui »; il déclare, lui : « Prenons les autres à leur apparition dans la chair dumonde.
» (Signes, p.
22; c'est lui qui souligne.) Ce changement de perspective atteste clairement que Merleau-Ponty, surtout dans ses derniers textes, s'éloignait non seulement du contexte existentiel, mais encore peut-être decelui de la philosophie du sujet.
Ce n'est en effet qu'au sein de ces deux contextes qu'il y a un « problème d'autrui».Ici se pose une question : qu'est-ce que l'existentialisme? Allons-nous répondre comme le fit Sartre dans ce queMerleau-Ponty appelait un « manifeste » que « l'existentialisme est un humanisme »? Resterait alors non seulement àse demander ce que veut dire le mot « humanisme » (c'est précisément ce que fit Heidegger dans la Lettre surl'Humanisme), mais encore pourquoi le thomisme, le socialisme, le marxisme, le scoutisme, pour ne prendre que cesquelques exemples, ont aussi été qualifiés d'« humanismes ».
Pourquoi dans ces conditions ne pas considérerégalement la cueillette des olives en Basse Provence comme un humanisme? Plutôt donc que de définirl'existentialisme comme un humanisme, ou même comme le renversement d'une proposition métaphysique en disantcertes que « l'existence précède l'essence », mais en omettant d'une part de véritablement s'interroger sur laprovenance de ce couple de concepts et en ne s'apercevant pas d'autre part que le renversement d'une propositionmétaphysique ne permet pas pour autant de sortir de la métaphysique, nous préférons essayer de le situer.
Nousdirons ainsi que l'existentialisme occupe une situation de confluence entre d'un côté la pensée hégélienne et lapensée marxiste de la dialectique et le rapport privilégié à l'histoire que supposent de telles pensées, et d'un autrecôté le primat accordé par Husserl à des notions comme celles de « conscience » ou de « sujet ».
Or la pensée deHusserl, si en un sens elle s'interroge bien sur le temps, délaisse en revanche tout rapport authentique à l'histoire.Max Scheler disait même que Husserl, à la différence de Heidegger, était « anhistorique ».
Or le pari del'existentialisme consistait à vouloir tenir ensemble, et même peut-être fondre, ces deux aspects opposés de laphilosophie moderne.
Mais c'était là vouloir tenir dans l'intenable, car nul au fond ne pouvait, comme on dit, s'entenir là.
Si l'existentialisme nous parlons bien sûr ici de la philosophie, non de la mode se pensait à fond, il nepouvait manquer de parvenir à son propre dépassement.
C'est ce qui arriva dans le cas de Merleau-Ponty; il fautavouer que pour Sartre les choses sont moins nettes.
Nous nous apercevons en effet, pour ne prendre quel'exemple des rapports moi-autrui, que ce rapport, ou plutôt la question qu'il pose, appartient à un certain type dephilosophie qui possède la double caractéristique d'être une philosophie du sujet, et une philosophie de l'existence(nous préférons cette dernière expression aux termes « existentialisme » ou « existentialiste », termes trop gorgésde malentendus).
Pour en revenir à notre sujet, nous constatons, en suivant l'analyse de Merleau-Ponty, que c'est la présence desautres, comme de moi-même, au monde qui permet la rencontre.
Rencontre des autres avec eux-mêmes, de moiavec moi-même, des autres avec moi, le tout se fondant sur le monde.
Car enfin ils sont là, les autres, et nousaussi nous y sommes.
Et c'est là, c'est-à-dire dans le monde, que nous nous rencontrons.
Le monde est lieu derencontre.
Le monde s'ouvre à qui s'ouvre à lui.
« Le monde nous ouvre lieu », nota un jour Alain, qui ce jour-là ditce qu'il y avait à dire.
Telle est la dimension poétique qui n'est pas une affaire de littérature et dont tout homme estporteur.
Chacun d'entre nous, par son propre intermédiaire et par celui des autres, peut éprouver non pas cettemédiation - le terme est trop métaphysique - mais cette présence du monde.
Cette expérience peut par exempleêtre celle que font parfois les amoureux : « J'ai retrouvé la source.
C'est elle qu'il me fallait pour me reposer duvoyage.
Elle est présente.
Les autres...
[les points de suspension figurent dans le texte; ce n'est donc pas unecoupure dans celui-ci que nous pratiquons].
Il est des femmes dont nous disions qu'elles sont, après l'amour,rejetées au loin dans les étoiles, qui ne sont rien qu'une construction du coeur.
Geneviève...
[même chose queprécédemment], tu te souviens, nous la disions, elle, habitée.
Je l'ai retrouvée comme on retrouve le sens deschoses et je marche à son côté dans un monde dont je découvre enfin l'intérieur.
Elle lui venait de la part deschoses.
Elle servait d'intermédiaire, après mille divorces, pour mille mariages.
Elle lui rendait ces marronniers, ce.
»
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