Art et travail
Publié le 05/01/2020
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son importance. Il nous suggère cependant que le travail n'est pas la valeur à laquelle se réfère le jugement esthétique
Un autre type de difficulté vient du fait que l'invention et l'habileté humaines ne semblent pas être les seules sources de la perfection formelle.
Quelle œuvre humaine peut rivaliser avec certains produits de la nature, qui semble se plaire à nous déconcerter par des performances que seul le déterminisme de ses lois peut en principe expliquer? L'animal est-il susceptible de produire, et de produire des œuvres d'art, même involontairement? Oui, si l'on ne regarde que le résultat, nous dit encore Kant; mais non, si l'on considère par quel processus l'objet contemplé est venu à l'existence. Les émotions issues du spectacle de la nature ne doivent pas être source de confusion.
Cette distinction entre art et nature conduit à s'interroger sur la dimension anthropologique de l'art; cette activité spécifiquement humaine ne doit pas être considérée isolément mais être comprise comme un aspect de la vie sociale. Que l'homme crée, fabrique et cherche la beauté à travers certaines de ses créations indique, pour Georges Bataille, un conflit entre deux types de travail que s'impose l'homme : celui qui est lié aux contraintes de la survie et celui dont la fonction est de dépasser, de transgresser cette contrainte. Art et travail s'opposent ici dans une liaison intime ; contrainte et rigueur d'un côté, émancipation et plaisir de l'autre ne se contredisent pas mais se complètent.
Cependant, on peut se demander si faire de l'art un cas particulier de la transgression n'est pas un peu réducteur: l'art ne vaut-il que par sa fonction sociale, par la nécessité de transfigurer et, finalement, de fuir le réel ? Revenant d'une certaine manière au point de vue d'Aristote, Claude Lévi-Strauss considère qu'il n'y a pas antinomie entre le travail et la création artistique, l'homme cherchant dans son activité productrice une réconciliation avec le monde ; celui-ci n'est pas seulement pesanteur et contrainte, mais invitation à comprendre, à connaître. La notion de modèle réduit, qu'il entend dans un sens plus large que celui auquel l'usage nous a habitués, articule les deux dimensions. Ici, la création n'est plus pensée dans le cadre d'un conflit entre des formes de travail ; sous toutes ses formes, artisanales ou proprement artistiques, l'œuvre d'art témoigne d'une expérience du réel et invite ses contemplateurs à la partager.
Nous avons pu voir que l'interrogation sur le sentiment esthétique était fondamentale mais insuffisante : l'œuvre qui provoque ce sentiment nous invite aussi à comprendre son élaboration, sa production, à nous demander quelle est la nature de l'activité artistique. À cet égard, la notion d'inspiration représente un véritable défi pour la réflexion. Inversement, intégrer l'art à la rationalité et dire que l'œuvre d'art manifeste l'esprit, qu'elle a un rapport à la vérité, accorde un sens à l'œuvre mais ne nous renseigne pas directement sur le processus de création.
En effet, la dimension sensible de l'art, le fait qu'il se déploie dans le domaine matériel, nous invite à envisager la création artistique comme un travail, quitte à pratiquer entre ces deux notions les distinctions qui conviennent. L'art suppose la maîtrise d'une matière pliée à un certain dessein, une habileté conquise par l'artiste, l'invention de moyens pour parvenir à la réalisation. N'a-t-on pas souvent l'impression que ce qui fait l'œuvre d'art est la qualité de l'artisanat qui s'y laisse voir, comme une sorte de performance? Ce serait alors le résultat d'un apprentissage, d'une persévérance, de techniques patiemment reproduites et améliorées. Cependant, nous avons spontanément le sentiment que toutes les œuvres soignées ne relèvent pas de l'art au même titre, ne sont pas belles dans le même sens ; pour savoir si ce sentiment est fondé, il faudra examiner les notions de technique et d'artisanat, et essayer de dépasser peut-être l'opposition rigide entre ce qui relève de l'art et ce qui n'en relève pas. Aristote nous y aidera, en nous proposant une conception de la technique et de la production qui inclut une part de création : il y a dans le savoir-faire et dans l'intention fabricatrice quelque chose qui appartient en même temps à l'artisan et à l'artiste. Kant, qui souhaite dans les beaux-arts la dissimulation et l'oubli du travail, ne dénie pas pour autant
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son importance.
Il nous suggère cependant que le travail n'est pas la valeur à laquelle se réfère le jugement esthé tique
Un autre type de difficulté vient du fait que l'invention et l'habileté humaines ne semblent pas être les seules sources de la perfection formelle.
Quelle œuvre humaine peut rivaliser avec certains produits · de la nature, qui semble se plaire à nous déconcerter par
des performances que seul le déterminisme de ses lois peut en principe expliquer? L'animal est-il susceptible de produire,
et de produire des œuvres d'art, même involontairement?
Oui, si l'on ne regarde que le résultat, nous dit encore Kant;
mais non, si l'on considère par quel processus l'objet contem plé est venu à l'existence.
Les émotions issues du spectacle
de la nature ne doivent pas être source de confusion.
Cette distinction entre art et nature conduit à s'interroger
sur la dimension anthropologique de l'art; cette activité spé cifiquement humaine ne doit pas être considérée isolément
mais être comprise comme un aspect de la vie sociale.
Que l'homme crée, fabrique et cherche la beauté à travers cer
taines de ses créations indique, pour Georges Bataille.
un conflit entre deux types de travail que s'impose l'homme: celui qui est lié aux contraintes de la survie et celui dont la
fonction est de dépasser, de transgresser cette contrainte.
Art et travail s'opposent ici dans une liaison intime; contrainte et rigueur d'un côté, émancipation et plaisir de l'autre ne se contredisent pas mais se complètent.
Cependant, on peut se demander si faire de l'art un cas particulier de la transgression n'est pas un peu réducteur:
l'art ne vaut-il que par sa fonction sociale, par la nécessité de transfigurer et, finalement, de fuir le réel? Revenant d'une
certaine manière au point de vue d'Aristote, Claude Lévi
Strauss considère qu'il n'y a pas antinomie entre le travail et
la création artistique, l'homme cherchant dans son activité
productrice une réconciliation avec le monde; celui-ci n'est
pas seulement pesanteur et contrainte, mais invitation à com
prendre, à connaître.
La notion de modèle réduit, qu'il entend
dans un sens plus large que celui auquel l'usage nous a habi
tués, articule les deux dimensions.
Ici, la création n'est plus
pensée dans le cadre d'un conflit entre des formes de travail;
sous toutes ses formes, artisanales ou proprement artis
tiques, l'œuvre d'art témoigne d'une expérience du réel et
invite ses contemplateurs à la partager..
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