Aristote: Science et universel
Publié le 15/04/2005
Extrait du document


«
revient là encore à expliquer le phénomène particulier par les lois universelles.
3.
La sensation ne fait rien connaître.Ce texte est une critique remarquable de la prétention à ériger la sensation en connaissance.
Ce n'est pas que lasensation trompe (erreurs des sens), mais elle ne fait tout simplement rien connaître.
On s'imagine qu'elle est lasource d'une connaissance vraiment solide (c'est vrai car je l'ai vu), mais aucune connaissance ne nous est livréepar elle.
«Aucune cause » ne peut faire l'objet d'une perception.
Je peux bien voir que si je craque une allumette,elle s'allume, mais il n'y a là que deux sensations.
Parler de cause et d'effet, c'est déjà ne plus seulement sentir,mais juger.
C'est faire appel à l'universel : chaque fois qu'on craque une allumette, elle s'allume.Même cette connaissance la plus frustre qui consiste à donner un nom à ce que l'on voit est déjà trop pour elle.Identifier ceci comme un arbre, c'est implicitement le rapprocher d'autres arbres.
Déjà un jugement portant sur laforme générale se mêle à la sensation brute.
Nous pouvons donc pousser le texte d'Aristote : non seulement lasensation ne livre pas une connaissance « scientifique », mais elle est muette.
La sensation est en son essencesensation d'une chose particulière située en un lieu particulier et à un moment particulier.
Elle est donc incapable del'universel qui est vrai « partout» et « toujours », comme du général, qui est vrai souvent.
4.
L'abstraction.Une question se pose alors : d'où vient notre connaissance de l'universel si elle n'est pas issue de la sensation? Lesdernières lignes suggèrent une réponse.
Cette suggestion ne semble d'ailleurs concerner que « cet événement »(l'éclipse) et non l'exemple précédent emprunté aux mathématiques.
L'idée est que l'universel n'est pas perçu maisqu'il est abstrait des sensations.
Abstraire signifie extraire : la confrontation de plusieurs cas particuliers permet d'endégager la forme commune.Cela ne s'applique pas aux mathématiques.
On peut bien vérifier la propriété du triangle sur mille trianglesparticuliers, rien ne nous assurera par avance qu'elle vaut pour le mille unième.
Il n'y a pas de différence de natureentre une observation empirique et mille observations empiriques.
On peut dégager de la confrontation d'exemplesdes traits généraux, mais on ne peut étendre la validité de ces traits au-delà des exemples qui ont servi à lesétablir.En revanche, il n'y a pas de connaissance du monde physique qui puisse se passer de la sensation.
La purespéculation ne nous fait pas connaître notre monde ; la réflexion doit s'appuyer sur l'observation.
Cependant deuxquestions se posent :— Quelle puissance de l'esprit dégage le général du particulier? Comment les sensations particulières se prêtent-ellesà une opération qui identifie en elles le général?— Comment cette généralité tirée de la perception peut-elle prétendre avoir valeur universelle? En quoi des loisdégagées de « l'observation répétée» sont-elles universelles?
B.
Commentaire
Le problème concerne le rapport de l'universel et de la sensation.
Ce texte d'Aristote soutient en effet une thèse enapparence contradictoire.
Il rejette l'empirisme (doctrine selon laquelle toute connaissance vient de l'expérience),mais c'est au nom d'un empirisme plus raffiné : l'universel n'est pas perçu mais il se dégage de la perception.
I.
Insuffisance du rationalisme.
1.
Rejet de l'empirisme au nom du rationalisme.Il paraîtrait plus conséquent de rejeter purement et simplement l'empirisme.
À côté de la connaissance par les sens,il y aurait une connaissance purement rationnelle, comme l'attestent, de manière indéniable, les mathématiques.Nous dirons donc que cette position est « rationaliste ».
C'est la thèse de Platon, exprimée dans la notion d'idée etdans le mythe de la réminiscence.Pour juger par exemple de l'égalité entre deux choses, il faut avoir une idée de ce qu'est l'égal.
Cette idée ne peutpas être dégagée par abstraction sur des objets égaux, car pour reconnaître qu'une chose est égale à une autre, ilfaut déjà savoir ce qu'est l'égalité.
Cette idée de l'égal en soi ne peut être acquise par les sens : d'où vient-elledonc? Platon répond à cette question dans le mythe de la réminiscence.
La connaissance n'est que le souvenir dece que l'âme a vu avant de s'incarner (et donc sans l'intermédiaire du corps et des sens).
Il y a là, bien sûr, unmythe, car il est tout aussi difficile de comprendre comment cette connaissance est entrée dans notre esprit dansune vie antérieure que dans cette vie-ci.
Mais le mythe met en scène un problème fondamental qui est au centre dutexte d'Aristote.
2.
Insuffisance du rationalisme.— Cette solution présente des difficultés.
D'abord, une telle dissociation entre les sens et l'universel rend l'unité dumonde impensable.
Il n'y a pas seulement deux accès différents à une même réalité, mais deux réalités sans aucunrapport entre elles.
Comment expliquer un phénomène physique par une loi universelle, s'il n'y a pas un « pont » quipermette de passer de l'une à l'autre?— Cette difficulté générale s'applique aux deux exemples d'Aristote.
Dans le domaine des phénomènes physiques :quelle est cette connaissance suprasensible de la réalité physique qui se dispenserait du témoignage des sens?Peut-on, par la seule force de la spéculation, « retrouver » les lois du monde sensible? Cette tentative a été parexemple celle de Descartes : Dieu étant constant dans ses actes, il maintient une quantité constante de matièredans le monde.
La matière n'étant, selon Descartes, que de l'étendue, cette quantité constante ne peut être qu'unepropriété de l'étendue : le mouvement.
On a donc démontré le principe de conservation de la quantité demouvement par la pure spéculation.
Hélas, les faits ont montré que son usage est en vérité très limité ! On ne peut.
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