Aristote: loi particulière et loi commune
Publié le 15/04/2005
                             
                        
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                                «
                                                                                                                            fille d'Oedipe, à être enterrée vivante pour n'avoir pas obéi aux lois de la cité.
                                                            
                                                                                
                                                                    En effet Antigone, malgrél'interdiction formelle du décret du roi, a voulu donner une sépulture à son frère Polynice, mort devant la villeet considéré par Créon comme un ennemi.
                                                            
                                                                                
                                                                    Amenée devant Créon, elle invoque, face aux lois de la cité, uneloi « qui n'est ni d'aujourd'hui ni d'hier », mais de tout temps.
                                                            
                                                                                
                                                                    Cette loi, nous dit-elle encore dans les versque cite ici Aristote, « personne n'en connaît l'origine ».
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est bien sur la loi commune ou loi naturelle ques'appuie Antigone.
                                                            
                                                                                
                                                                     Elle connaissait  la défense  de Créon,  elle a pourtant  désobéi, transgressant  la loiparticulière  au nom  de la loi  naturelle.
                                                            
                                                                                
                                                                     Lorsque Créon s'insurge  que l'on ait pu ainsi  passer  outre à sesdécrets, Antigone lui répond que ceux-ci « ne sont point l'oeuvre de Zeus ».
                                                            
                                                                                
                                                                    Laisser en effet le corps dePolynice sans sépulture, c'était en quelque sorte outrager les dieux.
                                                            
                                                                                
                                                                    Vers la fin de la pièce, Tirésias, le devin,reproche  à Créon  d'avoir  fini par  empiéter  sur le droit  des dieux  des morts.
                                                            
                                                                                
                                                                     Il apparaît  donc que la loinaturelle  est au fond  loi divine.
                                                            
                                                                                
                                                                     C'est le caractère  divin de la loi  naturelle  qui fait  que  son universalitérayonne « sur la terre immense » pour reprendre les mots d'Empédocle que cite Aristote dans ce texte.Reste  maintenant à  comprendre en  quel sens une loi peut être  dite à la fois  naturelle et  divine, car aupremier abord cela ne va pas de soi.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ce n'est pas tant le terme « divin » que le terme « naturel » qui fait iciproblème.
                                                            
                                                                                
                                                                    Nous pouvons en effet concevoir sans trop de mal que la loi divine soit immuable et universelle.Mais c'est  avec le  terme « naturel  » que commencent  les difficultés.
                                                            
                                                                                
                                                                     Et la première  difficulté que nousrencontrons c'est que le mot nature n'a plus du tout le même sens pour nous, aujourd'hui, qu'il avait pourAristote et  pour la pensée grecque  en général.
                                                            
                                                                                
                                                                    On peut dire que la traduction  latine du grec phusis (ouphysis, d'où notre mot physique par exemple) par natura manifeste le passage d'un monde à un autre.
                                                            
                                                                                
                                                                    Alorsque le mot  latin  renvoie  plutôt à l'idée  de la naissance,  le mot  grec  met l'accent  sur l'éclosion,l'épanouissement.La phusis c'est, si l'on veut, tout ce qui est.
                                                            
                                                                                
                                                                    « Phusis, nous dit Heidegger, désigne donc originairement aussibien  le ciel que  la terre,  aussi bien  la pierre  que la  plante,  aussi bien l'animal  que l'homme,  et l'histoirehumaine en tant  qu'oeuvre  des hommes  et des  dieux,  enfin, et en  premier  lieu, les dieux  mêmes  »(Introduction à la Métaphysique, p.
                                                            
                                                                                
                                                                    28).
                                                            
                                                                                
                                                                    A partir de là le sens des vers de Sophocle, celui aussi du fragmentd'Empédocle, nous  deviennent plus clairs.
                                                            
                                                                                
                                                                     Si l'on perd de vue cette dimension  fondamentale de la phusisqu'Heidegger nous révèle, on ne peut vraiment pas comprendre en quoi la loi naturelle est du même coup loidivine.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais, et c'est en cela que  réside une difficulté  importante du texte d'Aristote, si  l'on voit bien àprésent chez Sophocle ou  chez Empédocle  pourquoi la loi naturelle  est pour  ainsi dire spontanément  loidivine, les choses sont moins évidentes en )ce qui concerne Aristote.
                                                            
                                                                                
                                                                    Avec l'opposition, bien antérieure àAristote, de ce qui est institué, de la loi (nomos) à la nature (phusis), il s'est en quelque sorte produit unrétrécissement du sens originaire du  mot phusis.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais ce sens originaire  ne disparaît pas pour autant.
                                                            
                                                                                
                                                                    Iltransparaît même assez souvent.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est ainsi qu'on le retrouve encore parfois jusque chez Aristote.
                                                            
                                                                                
                                                                    Dans cetexte l'expression loi  naturelle serait  plus fidèlement rendue par loi selon la  nature (phusis).
                                                            
                                                                        
                                                                     Il faut alorsentendre le mot phusis (nature) non seulement au sens où il est opposé à la convention, mais encore ausens originaire  et fort du terme.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est  ce sens fort et originaire de la phusis,  de la nature,  qui fonde lasupériorité de la loi commune ou loi naturelle sur la loi particulière.C'est en somme de ce sens originaire de la phusis que les hommes ont encore parfois « comme une divination».
                                                            
                                                                                
                                                                    Ce qui est juste ou injuste l'est selon la nature ainsi entendue.
                                                            
                                                                                
                                                                    La justice se manifeste alors avec toute laplénitude propre à la phusis.
                                                            
                                                                                
                                                                    Cette justice tout à la fois naturelle et divine (divine parce que naturelle : nousavons vu que  la nature  (phusis)  désigne aussi, et même  en premier  lieu, les dieux)  est donc  plusfondamentale que la justiceinstituée par les hommes, justice qui en tant que telle ne peut qu'être inévitablement relative et incomplète.Virgile, dans  un passage des Géorgiques,  nous dit que ceux qui  cultivent la terre se souviennent que lajustice irradiait la terre :"...
                                                            
                                                                                
                                                                    extrema per illos justitia excedens terris vestigia fecit".(C'est chez eux que la justice, en quittant la terre, a laissé ses dernières traces (Géorgiques, Livre II, vers472-473).
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais ce n'est plus là que l'écho à peine perceptible du lien intime qui unissait la justice à la natureau sens originaire de phusis.
                                                            
                                                                                
                                                                    Chez Aristote l'écho est quand même plus net.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le terme de divination soulignela présence des dieux dans la nature.
                                                            
                                                                                
                                                                    Par ce terme Aristote fait allusion à la mantique ou art divinatoire.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ils'agit d'interpréter,  de savoir lire les signes  des dieux.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est  du plus  profond  de la pensée  grecque  queprovient ce rapport de la justice avec la mantique.
                                                            
                                                                                
                                                                    Minos par exemple, l'ancien roi légendaire du royaumemaritime de Crète, devenu, en compagnie d'Éaque et de Rhadamanthe, juge de l'Enfer des méchants (1), estnon seulement  roi de justice, mais  aussi roi devin.
                                                            
                                                                                
                                                                    Notons  ici, qu'il n'y a « à ce niveau  de pensée, nulledistance entre la justice et la vérité » (Marcel Detienne : Les Maîtres de Vérité dans la Grèce archaïque, p.34).En ce qui concerne ce « sentiment naturel » que les hommes ont de ce qui est juste ou injuste selon lanature, nous nous demandons si l'on ne pourrait pas le nommer équité.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le primat de l'équité (épieikéia) sur lajustice selon la loi  particulière  vient de ce  que  l'équité  est juste  selon  la loi  commune  ou loi naturelle.Aristote nous dit dans la Rhétorique que « l'équitable (épieikès) est permanent et immuable, comme la loicommune », (chapitre XV du livre premier).
                                                            
                                                                                
                                                                    Et il reprend à ce propos le même exemple que dans notre texte,à savoir l'exemple d'Antigone.
                                                            
                                                                                
                                                                    L'équité retrouve, par opposition à la justice selon la loi particulière, le sens dutout, c'est-à-dire celui de la phusis prise dans sa signification première : être équitable, c'est donc « tenircompte...
                                                            
                                                                                
                                                                     non de la partie, mais  du tout  s (Rhétorique,  Chapitre XIII ; 17,  18).
                                                            
                                                                                
                                                                    En une  acception  plusrestreinte, l'équité va désigner aussi chez Aristote ce qui, tenant compte de l'esprit de la loi beaucoup plusque de la lettre, améliore la loi par une correction dictée par un esprit de justice.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais, même considéréeainsi, l'équité conserve la marque de son rapport avec la phusis.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est ce rapport à la nature conçue commela totalité de ce qui est — phusis au sein de laquelle les dieux sont présents —, qui constitue peut-être lefond de l'équité ; c'est sur lui que prend appui, explicitement ou implicitement, toute conduite équitable..
                                                                                                                    »
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