Aristote: Le mythe du Protagoras
Publié le 13/04/2005
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- Le texte, au début du second paragraphe, fait allusion au récit mythologique de la naissance de l'espèce humaine, sous les auspices de Prométhée. Cette légende grecque est reprise par Platon (428-348 av. J.-C.) dans un de ses dialogues (Protagoras) et attribuée, par celui-ci, au sophiste Protagoras. Aristote conteste ici le bien-fondé de ce mythe qui attribue une origine non naturelle à l'intelligence technicienne de l'homme.

«
Mais en tant qu'elle lui ôte la peine de faire les choses lui-même, ne finit-elle pas par le rendre dépendant ? Eten tant qu'elle concentre sa réflexion sur les moyens, ne finit-elle pas par lui faire oublier les fins de saconduite ?La technique est-elle un révélateur de l'intelligence humaine, ou bien un facteur d'aliénation et de dépossessionde sa créativité ?
[I.
La technique est révélatrice de l'intelligence humaine]
[1.
L'intelligence comme fondement de la technique]
Comprise comme un ensemble de moyens permettant de réaliser un but utile, la technique est révélatrice d'uneintelligence qui n'est peut-être pas l'apanage de l'homme mais désigne au sens large la capacité d'adapter saconduite à une situation donnée.
C'est la thèse de Leroi-Gourhan :La notion même d'outil exige d'être reprise à partir du monde animal.
Car l'action technique est présente aussibien chez les invertébrés que chez l'homme, et on ne saurait la limiter aux seules productions artificielles dontnous avons le privilège.
» (Le Geste et la Parole.) La seule différence est que, chez l'animal, l'outil et le gestese confondent en un seul organe.
La pince du crabe et ses pièces mandibulaires, par exemple, « se confondentavec le programme opératoire à travers lequel se traduit le comportement d'acquisition alimentaire de l'animal »(ibid.).
[2.
Intelligence humaine et technique]Mais précisément parce que l'outil et le geste s'y confondent en un seul organe, l'intelligence chez l'animaln'est pas complète.
Qu'est-ce en effet que l'intelligence ? C'est la capacité d'innover et d'inventer desréponses adaptées au différentes situations.
Or le crabe peut-il utiliser ses pinces à d'autres fins que celles desaisir et de couper ? Il faut donc revenir à la thèse d'Aristote, selon laquelle l'intelligence est révélée par lacapacité à acquérir et utiliser le plus grand nombre de techniques possibles.
C'est l'apanage de l'Homo faber : «L'intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objetsartificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d'en varier indéfiniment la fabrication.
» (Bergson, LÉvolution créatrice.) La technique est bien révélatrice d'une intelligence spécifiquement humaine.
Mais enenvironnant l'homme d'objets et d'outils à faire des outils toujours plus perfectionnés, la technique ne finit-ellepas par aliéner l'homme et par se retourner contre ce qu'elle prétend révéler et servir : l'intelligence ?
[Il.
La technique non maîtrisée aliène l'intelligence humaine]
[1.
L'aliénation de l'homme par la technique]
La technique permet à l'homme d'économiser sa peine et son énergie : un robot mixeur lui évite d'avoir àécraser lui-même ses légumes ou ses fruits.
En lui apportant un confort indéniable et appréciable, elle le rendcependant dépendant des objets et outils qui l'environnent.
Sans eux, il devient incapable de faire face auxsituations de la vie auxquelles ces techniques sont censées répondre : comment faire sans téléphone, sansvoiture ou sans ordinateur ? Or cette dépendance envers les choses est le contraire de l'intelligence, puisquel'homme devient incapable d'innover et de créer sans elles.
[2.
L' "oubli" des fins dans la technique]
La technique concentre en outre l'attention et l'énergie de l'homme sur les moyens et non sur les fins.
Il essaiede parvenir à faire quelque chose, mais ne se demande pas (toujours) si le but qu'il se propose est raisonnableou bon.
Kant parle à cet égard d'« impératif de l'habileté » dans les Fondements de la métaphysique desmoeurs, et Jacques Ellul va jusqu'à soutenir que lapréoccupation des moyens supplante l'intérêt pour la fin : « La puissance et l'autonomie de la technique sont sibien assurées que, maintenant, elle se transforme à son tour en juge de la morale : une proposition morale nesera considérée comme valable pour ce temps que si elle peut entrer dans le système technique, si elles'accorde avec lui » (Le Système technicien).
[3.
Création technique et utilisation de la technique]
La solution de cette perversion consiste peut-être à bien distinguer la technique proprement dite, qui n'est enelle-même ni bonne ni mauvaise et témoigne dans tous les cas d'une créativité, et son utilisation, qui révèleune deuxième forme d'intelligence, à connotation éthique.
En ce sens « L'observation de la civilisationtechnicienne, malgré tant de misères physiques et morales, d'échecs et de dangers terrifiants, conduit à direrésolument : Oui ! à la technique, mais à la technique dominée par l'homme » (Friedmann, « La grande aventure», in Sept Études sur l'homme et la technique).
[Conclusion]
La technique est bien révélatrice de l'intelligence humaine, en un double sens.
D'une part, elle témoigne de lacapacité humaine à créer et à innover en fonction des situations et des attentes.
D'autre part, elle ouvre lavoie de la responsabilité quant à l'usage des inventions.
La création et la réflexion sur les moyens ne doivent.
»
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