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Aristote: Le choix judicieux est l'affaire des gens de savoir

Publié le 27/02/2008

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aristote
«Le choix judicieux est l'affaire des gens de savoir : par exemple le choix d'un géomètre appartient à ceux qui sont versés dans la géométrie, et le choix d'un pilote à ceux qui connaissent l'art de gouverner un navire. Car, en admettant même que, dans certains travaux et certains arts, des profanes aient voix au chapitre, leur choix en tout cas n'est pas meilleur que celui des hommes compétents. Par conséquent, en vertu de ce raisonnement, on ne devrait pas abandonner à la masse des citoyens la haute main sur les élections de magistrats. Mais peut-être cette conclusion n'est-elle pas de tout point pertinente, si la multitude à laquelle on a affaire n'est pas d'un niveau par trop bas (car, bien que chaque individu pris séparément puisse être plus mauvais juge que les gens de savoir, tous, une fois réunis en corps, ne laisseront pas d'être de meilleurs juges que ces derniers, ou du moins pas plus mauvais), et aussi parce que il y a certaines réalisations pour lesquelles leur auteur ne saurait être seul juge ni même le meilleur juge : nous voulons parler de ces arts dont les productions peuvent être appréciées en connaissance de cause, même par des personnes étrangères à l'art en question : ainsi, la connaissance d'une maison n'appartient pas seulement à celui qui l'a construite ; mais meilleur juge encore sera celui qui l'utilise (en d'autres termes, le maître de maison), et un pilote portera sur un gouvernail une meilleure appréciation qu'un charpentier, et l'invité jugera mieux un bon repas que le cuisinier.» Aristote
aristote

« faire une cruche, parce que les lois doivent prendre en compte des circonstances qui peuvent varier alors que lesrègles des différents arts sont invariables.

Par conséquent en politique, plus il y aura d'avis et mieux ce sera, parcequ'un seul ne peut pas prendre en compte toutes les subtilités des circonstances ; le peuple sera donc ici meilleurjuge que les professionnels des affaires publiques, à condition toutefois que « la multitude à laquelle on a affaire »ne soit pas « d'un niveau trop bas ».

Le cas est peu probable, mais pas impossible : on peut en effet imaginer unpeuple composé d'individus entièrement livrés à leurs passions égoïstes, et incapables de s'abstraire de leurs intérêtspersonnels pour se préoccuper du bien commun.

En ce cas, les lois varieront au gré des passions majoritaires, ensorte qu'il vaudra mieux pour le bien de tous laisser quelques hommes, plus adultes et plus sages, décider de lachose publique. c) Le second temps de la réfutation d'Aristote porte sur le préjugé ininterrogé de la thèse initiale, selon laquelle « lechoix judicieux est l'affaire des gens de savoir », c'est-à-dire des techniciens qui savent « comment faire ».

Commele soutenait déjà Platon, celui qui sait comment une selle doit être faite, c'est le cavalier et non le sellier : ce quidécide de la forme d'un objet, c'est son usage, en sorte que c'est l'usage qui guide la production, et non l'inverse.Aristote tente donc ici de montrer que Platon se contredit : alors qu'il affirme que c'est l'usager qui sait commentl'objet doit être, ce dernier pose en effet que le peuple est mauvais juge des lois, parce qu'il n'y connaît rien.

Maisprécisément, celui qui sait comment la loi doit être, c'est celui qu'elle concerne, c'est-à-dire celui qui aura à s'ysoumettre, à savoir l'ensemble des sujets.

Par conséquent et contre Platon, Aristote affirme ici que si le « meilleurjuge » c'est celui qui « utilise » l'objet, et non celui qui le produit, alors le régime démocratique est le meilleur,puisqu'il donne le pouvoir législatif à ceux qui sont réellement des « gens de savoir » en matière de lois – « la massedes citoyens ». Question 3 Dans un régime démocratique, c'est l'ensemble des citoyens qui est souverain : en démocratie, le peuple décide deslois sous lesquelles il vit.

Mais comme le remarquait Platon, lorsque je suis malade, je préfère prendre conseil auprèsdu médecin que du menuisier ; est-il bien prudent alors de laisser le peuple, largement ignorant des affairespubliques, décider en toutes choses, et par exemple en élisant ses magistrats ? En d'autres termes, est-ce aupeuple qu'il appartient de faire les lois ?Selon Platon, ceux qui n'y connaissent rien courent toujours le risque de se faire manipuler par ceux qui n'en saventpas plus qu'eux, mais qui maîtrisent l'art de la parole, et qui donc savent convaincre.

Ces spécialistes de l'artoratoire, ce sont les sophistes : de même qu'un peintre peut peindre une chaussure en ignorant tout de lacordonnerie, de même le sophiste fait croire qu'il sait parce qu'il est habile à manier les discours.

Dans uneassemblée démocratique alors, on aura toujours tendance à écouter celui qui sait parler, même s'il ne sait riend'autre, et non le spécialiste ennuyeux ou bafouillant.

Laisser le peuple décider, c'est donc dans les faits remettre lepouvoir aux mains des manipulateurs, qui savent jouer sur les désirs de chacun et sur les émotions collectives pourtourner les lois à leur seul profit.Ce qui par conséquent est dangereux dans la démocratie, c'est l'illusion de la souveraineté : alors même que lepeuple croit décider des lois, il est en fait manipulé dans son vote par les orateurs habiles, qui font passer le justepour l'injuste et l'injuste pour le juste. Le tyran habile en ce sens, ce n'est pas celui qui s'oppose à la volonté populaire, c'est celui qui la manipule et lamet à son service : le peuple se croit libre alors qu'il n'est qu'un instrument dont le sophiste se sert à son gré.

Ladémocratie est donc le régime qui permet en fait à quelques-uns de s'emparer subrepticement du pouvoir, cepourquoi les plus dangereux adeptes de la sophistique (comme Callias, qui dans le Gorgias ne cache pas sesambitions tyranniques) ont toujours défendu le régime démocratique. La raison recommande donc, selon Platon, de ne pas remettre la souveraineté au peuple, et c'est précisément lathèse qu'Aristote entendait réfuter dans notre texte.

Ne peut-on en effet penser que la meilleure garantie de lajustice des lois, c'est de laisser décider ceux qui s'y soumettront ? Car enfin, si le peuple peut être manipulé,l'aristocratie peut elle-même se corrompre, et profiter du pouvoir pour satisfaire ses seuls intérêts privés.

Or s'il estfacile à un homme (régime monarchique) ou à quelques-uns (régime aristocratique) de tourner le pouvoir à leur profitet aux dépens de tous les autres, le régime démocratique semble au contraire offrir une solide garantie contre unetelle corruption du pouvoir : un peuple ne saurait se corrompre dans son ensemble.

Comme le remarquait Rousseauen effet, si le peuple est souverain, il vote les lois auxquelles il aura par la suite à se soumettre.

Il se peut bien alorsque pendant la délibération publique, j'essaie de faire voter une loi qui satisfasse mes intérêts privés aux dépens desautres, c'est-à-dire que j'essaie de faire voter une loi qui soit injuste en ma faveur ; mais je sais que si un autre enfaisait autant, l'injustice alors se ferait à son profit, et à mon détriment.

Au nom de mon intérêt bien compris alors,je sais que je n'ai jamais avantage à ce que la loi soit injuste, parce que pour une loi où l'injustice m'avantagerait, ily en aurait quantité d'autres où elle serait à mon désavantage.

La loi s'appliquant à tous, et rendant à tous lacondition égale, nul n'a, comme le dit Rousseau, intérêt à la rendre onéreuse aux autres. Dire que le peuple est trop ignorant pour faire les lois a toujours été la grande excuse de toutes les tyrannies qui, aunom du bien commun, mettent en fait le pouvoir à leur seul profit.

C'est ici que l'argument d'Aristote prend toute saforce : celui qui sait comment la loi doit être, ce n'est pas le spécialiste de droit constitutionnel, c'est celui qui auraà s'y soumettre.

Si le peuple est souverain, la loi aura donc toujours tendance à être juste : je ne peux, à moinsd'être fou, ignorant ou sot, voter une loi injuste, parce que nul être rationnel ne peut vouloir en conscience être. »

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