ARISTOTE : LA VERTU COMME JUSTE MILIEU (Éthique à Nicomaque, II, 6)
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
«
la médiété relativement à soi, elle serait plus proche chez l'un ou l'autre de l'excès ou du défaut que constitue levice.
Aristote a donc soin ici de spécifier à nouveau sa définition de la vertu, en ajoutant qu'elle est rationnellementdéterminée, c'est-à-dire conforme à la droite règle ( orthos logos ) de l'homme prudent.
Dès lors, cette spécificité de la vertu éthique, impose une conséquence d'importance quant à son statut même.
En effet, si la vertu est bien enun sens médiété, elle apparaît aussi, au sens d'excellence ( arétè ), comme un sommet, en tant précisément qu'elle s'ordonne au critère rationnel du prudent.
Mais, par ailleurs, si la médiété est un sommet, elle ne saurait concernertous les objets, c'est-à-dire toutes les actions et passions, de même que tous les états, à savoir le vice, qui esttoujours par excès ou par défaut.
Nous montrerons comment Aristote articule ici ces deux points, en fonction de la définition complète qu'ilpropose de la vertu.
Pour ce faire, nous suivrons l'ordre rigoureux qu'il impose à ce texte, en distinguant deuxmoments.
Le premier tire la conséquence du critère de médiété que constitue la droite règle de l'homme prudent, enmontrant que la vertu est bien médiété, mais doit aussi être entendue comme sommet.
Le second s'attache àmontrer que la médiété ne concerne pas tous les objets.
Il se divisera à son tour en deux temps : tout d'abord, ils'agira d'établir que certaines affections et actions n'admettent pas de médiété, en raison de leur nature même,ensuite, que les actions vicieuses, toujours par excès ou par défaut, ne sauraient comprendre de médiété, de mêmeque la médiété, c'est-à-dire la vertu, d'excès et de défaut.
Le premier paragraphe de notre texte entend montrer que la vertu, définie dans le chapitre précédent commemédiété, doit être aussi comprise comme excellence ( aretè ) consistant dans un sommet.
On peut distinguer trois moments dans l'argumentation : tout d'abord la définition complète de la vertu éthique, ensuite un complémentcritique, destiné à montrer que la médiété s'oppose au vice, par excès et par défaut, en tant qu'elle est un choix seconformant à la droite règle (l.4-10), enfin, les deux sens de la vertu comme médiété et sommet.
Aristote commence par donner une définition de la vertu éthique, en l'introduisant par un terme à caractèreconclusif (« Ainsi donc,… »).
Ceci se justifie pleinement si l'on considère que les trois parties de cette définitionreprennent les acquis des analyses précédentes.
En effet, la définition indique tout d'abord le genre de la vertuéthique : elle consiste en une « disposition à agir d'une façon délibérer » ( hexis prohairetikè ).
Le chapitre 4 avait ainsi montré qu'elle est une disposition accompagné de choix ( prohairèsis ), et se distinguant génériquement de l'affection ( pathos ) et de la faculté ( dunamis ), qui sont toutes deux passives et ne supposent pas le choix.
La définition indique ensuite l'espèce de la vertu éthique, qui consiste en une « médiété relative à nous ».
Ce point estacquis au chapitre 5, qui montre que l'opinion commune considérant la vertu comme médiété est juste, si l'on ajoutequ'elle est relative à nous, et non à la chose elle-même.
En effet, elle ne se définit pas par la division en quantitéégale d'une chose (par exemple 6 mines de pain comme le milieu entre 2 et 10 mines), mais comme un milieu relatif ànous (par exemple, une portion alimentaire de 10 mines pour l'athlète Milon, et de 2 mines pour l'athlète débutant).Enfin, la dernière partie de la définition précise que la médiété « est rationnellement déterminée ( orthos logos ) et comme la déterminerait l'homme prudent ( phronimôs ) ».
Aristote adjoint ainsi une troisième propriété à la vertu éthique, afin d'en spécifier la nature.
Celle-ci avait déjà été indiquée en partie au chapitre 2, qui considérait l'opinioncommune selon laquelle la vertu consiste en une droite règle ( orthos logos ).
Mais, Aristote précise ici pour la première fois qu'elle est établie par l'homme prudent.
Comme le montrera par la suite le livre VI, la vertu éthiquesuppose la vertu dianoétique de la prudence, qui permet de saisir la droite règle, c'est-à-dire déterminerationnellement la médiété.
Nous remarquerons ici, comme un élément déterminant pour la suite de l'argumentation,que la médiété est déterminé par un critère rationnel.
C'est là l'acquis majeur de la définition de la vertu éthique, parlaquelle débute notre texte, par rapport aux analyses des chapitres précédents.
Dans une deuxième étape du raisonnement, Aristote souligne la restriction de sa définition générale, comme lesuggère la conjonction « mais », qu'il emploie en début de phrase.
En effet, il s'agit d'une part de montrer que lavertu, si elle est bien une « médiété relative à nous », n'est médiété qu'en tant qu'elle est « entre deux vices »,c'est-à-dire constitue le milieu relatif à un vice par excès et à un vice par défaut.
Excès et défaut traduisent ici lesdeux extrêmes du vice, par rapport auxquels la vertu est moyenne.
Le chapitre 7, qui suit immédiatement notretexte, peut ainsi définir le courage comme une vertu consistant en une médiété entre les vices de témérité et delâcheté.
D'autre part, la vertu ainsi définie comme médiété, s'oppose aux deux extrêmes du vice.
Afin d'établir cetteopposition, Aristote considère tout d'abord la position de ces deux vices relativement au « ce qu'il faut », c'est-à-dire à la droite règle : le premier sera dit « au-dessus », et le second, « au-dessous ».
Ensuite, il considère laposition de la vertu proprement dite, qui suivant la définition qu'il en a donnée précédemment comme disposition àchoisir ( hexis prohairetikè ) et médiété, est une « position moyenne » et choisie.
Aussi, la vertu s'oppose-t-elle au vice en ce qu'elle choisit une « position moyenne », c'est-à-dire conforme au « ce qu'il faut » ou à la droite règle.
Ce court développement se termine directement par une conclusion, comme l'indique les premiers termes de laphrase suivante (« C'est pourquoi… »).
En effet, les deux arguments qu'il expose n'ont d'autre but que de justifier ledouble statut de la vertu, établi dans la dernière partie du paragraphe.
En un sens, la vertu est « médiété », parcequ'elle consiste en un milieu entre les deux extrêmes du vice.
Aristote précise que ce sens est ontologique, car ilexprime la « substance » ( ousia ), c'est-à-dire la forme intelligible ( eidos ) d'un étant, sa permanence, mais il est aussi épistémique, en ce qu'il constitue une « définition ( orismos ) exprimant la quiddité » ( to ti ên einai ), à savoir l'essence d'un étant, le « ce que c'est » formulé dans une proposition.
En un autre sens, la vertu est « sommet »,parce qu'elle est conforme au critère de la droite règle.
Aristote désigne ce second sens comme celui de« l'excellence et du parfait ».
L'« excellence » correspond au terme grec ( aretè ) traduit en français par « vertu ». La « perfection » est l'accomplissement de la fonction propre ( ergon ) d'une chose comme la tâche pour laquelle elle est seule faite.
La vertu, en tant qu'excellence, est perfection, c'est-à-dire accomplissement de sa fonction propreconsistant dans la conformité à la droite règle.
Et, pour autant que cette perfection est la plus haute, Aristote lanomme « sommet ».
Le premier paragraphe de notre texte montre donc pourquoi la vertu doit être considérée à la fois commemédiété et sommet.
Par là même, il prévient contre une interprétation centriste, qui consisterait à la voir comme le.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- La vertu comme juste moyenne: Aristote, Éthique à Nicomaque, II, chap. VI
- aristote commentaire sur la vertu éthique à nicomaque
- S'il est vrai que le bonheur est l'activité conforme à la vertu, il est de toute évidence que c'est celle qui est conforme à la vertu la plus parfaite, c'est à dire de la partie de l'homme la plus haute ... L'activité de l'esprit semble l'emporter ... en raison de son caractère contemplatif ... elle constituera réellement le bonheur parfait, si elle se prolonge pendant toute la durée de sa vie. Aristote, Éthique de Nicomaque, X, VII, Garnier p.277. Commentez cette citation.
- S'il est vrai que le bonheur est l'activité conforme à la vertu, il est de toute évidence que c'est celle qui est conforme à la vertu la plus parfaite, c'est à dire celle de la partie de l'homme la plus haute. Aristote, Éthique de Nicomaque, X, VII. Commentez cette citation.
- ÉTHIQUE À NICOMAQUE, Aristote