Aristote et l'ordre politique
Publié le 17/11/2011
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Le Livre III de la Politique opère une critique de toutes les formes de souveraineté absolue d'un hommes ou d'un groupe, quel qu'il soit. Pour résoudre, en effet, le problème de la souveraineté (le problème de savoir quel doit être le souverain de la cité)20, il faut d'abord déterminer quelles sont les qualités politiquement pertinentes21. Le principe retenu est que toutes les qualités qui contribuent à la vie de la Cité, et à plus forte raison à son bonheur, font de ceux qui les possèdent des prétendants légitimes à la souveraineté. Seules les qualités qui concourent à la fin commune doivent être prises en compte, et seuls ceux qui les possèdent peuvent être considérés comme des "parties" de la Cité22, autrement dit comme des participants légitimes à la vie politique. Dans ce cadre, le début du chapitre 13 rappelle ce qui a été établi au chapitre 9 : ce sont les prétentions de la vertu qui sont les plus légitimes, s'il est vrai que la fin de la Cité n'est pas seulement d'assurer la survie des hommes, mais aussi leur bonheur23. De ce point de vue, ceux qui sont porteurs de cette qualité concourent davantage24 à la fin de la Cité. Oublier cela, c'est oublier l'essentiel25.Mais la vertu n'est pas le seul critère. Il faut retenir aussi la richesse26, comme qualité politiquement pertinente ou la "bonne naissance"27.
«
Pyth.
II, v.
72.
Et qui appartenait peut-être déjà au passé au moment où Aristote élaborait sa philosophie politique :cf.
Pellegrin, préface de son édition des Politiques, p.
17-18.
10 Cf.
Certaines des critiques faites par Habermas à H.Arendt.
Voir résumé de J.-M.
Ferry, Habermas.
L'éthique de la communication, PUF, 1987.9
8
b/ La meilleure « pour la plupart des Cités ».
S'agit-il du régime « constitutionnel » décrit en Pol.
IV 8 ? (voir lesarguments en ce sens dans l'Appendice II).
On peut objecter à cela que ce régime est soumis, comme le précédent,à des conditions restrictives (en particulier sociales : présence d'une classe moyenne suffisamment nombreuse) quile rendent difficilement applicable à « la plupart des cités ».
Il s'agit plutôt par conséquent, non d'un régime politiqueparticulier, mais des conditions que doit remplir une constitution pour permettre aux lois d'être souveraines, quelleque soit la forme du gouvernement (« Il faut que ce soient les lois qui soient souveraines », III, 11, 1182b2), commepar exemple la condition énoncée en IV 12, 1296b15 : « Il faut que la partie de la Cité qui veut maintenir laconstitution soit plus forte que celle qui ne le veut pas », - condition formelle qui donne lieu (cf.
suite du ch.
IV 12)à des constitutions différentes lorsqu'on tient compte des variations (selon la qualité et la quantité) qui affectent lamatière de la Cité (les « parties » qui la composent).
Cette constitution « la meilleure » est donc à la fois la mêmepartout (définition formelle abstraite), et différente dans chaque situation particulière (comme forme engagée dansune matière), de sorte que les deux traductions concurrentes proposées de la formule de V 10 1135a5 secomplètent au lieu de s'opposer11 (« une seule constitution est partout/dans chaque cas (pantakhou) naturellementla meilleure »).
D'où une troisième façon, pour une constitution, d'être dite « la meilleure » : c/ La meilleure dans unesituation donnée, c'est-à-dire à la fois pour un peuple donné (condition matérielle, hè ek tôn hypokeimenôn aristè)et compte tenu de la constitution déjà existante (condition formelle, hè ex hypothéséôs aristè), qu'il ne fautréformer qu'avec prudence (cf.
Pol.
II, 8 : c'est la coutume qui fait la force de la loi…), de sorte que la meilleureconstitution possible n'est pas toujours la meilleure dans l'absolu, ni même celle qui serait la meilleure pour un peupledonné, abstraction faite des ses traditions politiques.
La référence aristotélicienne à la « nature », on le voit, loin deservir de principe déterminant l'action politique ou justifiant tel ou tel type de régime politique déterminé, nousrenvoie au contraire à la nécessité de délibérer12 et de juger.
Reste à déterminer le sens qu'il faut accorder à ladélibération dans la constitution et la sauvegarde de l'ordre politique.
C/ Politique et délibérationComment comprendre le lien qui unit, dans Pol.
I 2, la parole (logos) et la politique ? 1/ Parole et délibération
Cf .
Aubenque, qui, après avoir soutenu le sens distributif de l'adverbe de lieu (pantakhou = dans chaque cas), dans« La loi selon Aristote », Archives de philosophie du droit, 1980, estime désormais qu'il faut lui donner un sensuniversel (pantakhou = partout) : cf.
« Aristote est-il communautariste ? », dans En torno a Aristoteles.
Hommage àP.
Aubenque, St Jacques de Compostelle, 1998.
12 Cf.
en ce sens Aubenque, « La discussion contemporaine surl'éthique », dans G.
Romeyer-Dherbey (éd.), L'excellence de la vie, Vrin, 2002, p.
405 : « …la physis est tout lecontraire d'un principe absolu et objectif, d'où l'on pourrait tirer des conséquences contraignantes.
Comme l'être engénéral, qui « se dit en plusieurs sens », la nature est multiple dans ses manifestations, ambiguë dans sespotentialités (…).
La nature en tant que principe de l'action est subordonnée à l'interprétation que les hommes endonnent, sorte d'auto-interprétation de la nature humaine.
L'homme est un animal herméneutique, et pour cetteraison « politique ».
Le logos, en particulier, le logos échangé, « mise en commun de paroles et des actes », estl'organe de cette autointerprétation de la nature humaine ».
11
Dans le contexte de Pol.
I 2, l'homme n'est pas seulement « plus » politique que les animaux grégaires : c'est lui, etlui seul, qui est « politique » (« plutôt »13 que les abeilles, par exemple), du fait qu'il est seul à posséder le logos(qui serait « naturellement » en lui « en vain », ce qui se contredit, s'il n'en faisait pas usage, et dont la fonctionest justement de rendre possible une communauté politique).
Maintenant, si la parole rend possible la communautépolitique, c'est qu'elle rend possible la délibération14.
Dans ces conditions, le principe de l'ordre politique n'est ni la «nature », ni quelque décision irrationnelle (Schmitt…), ni une « norme » transcendante quelle qu'elle soit, mais lelogos entendu comme ce qui rend possible la délibération et l'action (la décision, si l'on veut, mais à conditiond'entendre par là la proairesis, inséparable de la délibération rationnelle).
2/ Guerre et politique Est-ce à dire qu'ilfaut penser la politique comme ce qui, par la vertu du dialogue, met fin à la violence ? Faut-il la dissociercomplètement de la guerre ? Le but de la politique, il est vrai, est d'éviter la guerre civile, mais, sur le planinternational, la politique se confond avec la préparation de la guerre (Pol., II 6, 1265a20-25) et, sur le planintérieur, l'état de guerre n'est jamais complètement supprimé (quelle que soit l'excellence des lois, une sédition esttoujours possible : Pol., II 7).
La délibération politique ne doit pas être comprise comme un pur dialoguephilosophique, mais aussi bien comme une négociation entre des intérêts à concilier.
Cf.
les différents sens dudialegesthai grec.
APPENDICE I : L'ESCLAVAGE.
1/ Rappelons tout d'abord qu'Aristote n'affirme pas que l'esclavage, tel qu'il esteffectivement pratiqué dans les cités grecques, est « naturel ».
Il indique simplement à quelles conditionsl'esclavage serait « naturel ».
Il n'est pas sûr de ce point de vue qu'il y ait des hommes qui répondent effectivementà la définition donnée de l'esclave « par nature », c'est-à-dire un être seulement capable d'exécuter physiquementles tâches que lui confiera un maître « par nature », c'est-à-dire un être capable de prévoir et de commander (Pol.,I, 2, §2).
Dans le ch.
5 du Livre I, où Aristote examine ex professo la question de savoir s'il y a des hommes qui.
»
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