Aristote
Publié le 22/02/2012
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Or, ce que la métaphysique nous signifie tout d'abord, c'est l'être dans son opposition au non-être : " Il estpremièrement évident qu'au moins ceci est vrai, que le mot : être, ou : non-être, signifie quelque chose.
" Mais, quenous signifie l'être ? Quelque chose d'un.
Car, pour un mot, avoir un sens, c'est n'en avoir qu'un seul, puisque, s'ilnous peut désigner des choses en nombre indéterminé, nous ne saurons jamais laquelle il veut dire : " Ne pas avoirun seul sens, c'est n'en avoir aucun : et si les mots ne signifient rien, c'est la fin de tout dialogue avec autrui, etmême en vérité de tout dialogue avec soi-même ", c'est-à-dire de toute pensée.
Être, donc, est un.
Mais que nous signifie cet un ? Par une sorte de jeux de mots, l'unité de l'être.
Car ce que nous appelons : l'être, en faisant del'infinitif un substantif, les Grecs l'appelaient : l'étant, en substantivant le participe.
Or, les substantifs désignent les choses, et les verbes signifientles actes, purs de toute attache à aucun agent particulier.
Quant au participe, il doit son nom, qui a le même sens en grec et en français, à ce qu'ilparticipe aux deux natures.
" L'étant ", précédé de l'article, est un substantif, mais il a part encore à ce qui se donne, dans l'illimité de l'infinitif,comme la merveille et la légèreté d'être délice de l'épaisseur subsistante du substantif.
D'où ce que prescrit le poème de Parménide H036 : il faut penser et dire être l'étant.
Mais si l'étant, c'est-à-dire ce qui est, doit être dit être, et si donc doit demeurer en lui la signification uniqued'être, il ne peut être qu'un : car " il est ", de partout achevé, comparable en courbure à la sphère aux beaux cercles, et ainsi surgit " entier ", fort de son opposition absolue au non-être, un de l'évidence indivisible : qu'il est.
Ainsi l'être parménidien n'est-il pas un être, mais l'être un.
Car, de chacun des êtres, l'homme, la bête ou l'arbre,nous pouvons bien dire : qu'il est, et ainsi penser qu'il a part à l'être.
Mais, de cela seul que nous pouvons dire : lesêtres, il est bien évident qu'un être, ce n'est jamais que le singulier d'un pluriel, tandis que tout simplement : être,c'est l'émerveillement premier, c'est tout ce qu'il y a de plus singulier c'est la singularité même.
Qu'être, pourtant, soit d'une signification singulière, et qu'ainsi ce qu'il signifie soit absolument unique, ce n'en estpas moins le mot le plus insignifiant de la langue.
" Je suis " exprime une évidence irremplaçable.
Mais c'est du mêmemot : être, que nous nous servons pour dire : je suis fatigué, ou : la somme des angles d'un triangle est égale àdeux droits.
Être sert donc à tous les usages, on lui fait tout dire, et il a trop servi pour désigner encore proprementrien.
Ce n'est plus qu'un signe, et dépourvu de sens.
Être homme désigne ce qu'on est, être blanc signifie unequalité, être en hiver désigne le temps, être en manteau court se dit aussi : avoir un manteau court et signifie doncune possession.
Étudiant ainsi les diverses façons de disperser la signification d'être, Aristote les a ramenées àdouze, afin que, si l'être n'est pas univoque, du moins ses divers sens soient délimités en nombre.
C'est ce qu'ilnomme les " catégories ", d'un mot qui signifie les assignations, ou les diverses façons d'assigner l'être.
On peut nevoir là qu'une puérile analyse du langage : il s'y cache une décision essentielle sur le sens de l'être, assigné suivantles diverses catégories, et jugé profondément équivoque.
C'est ce qu'Aristote, au début de sa Physique, reproche à Parménide H036 d'avoir méconnu : car si l'on passe, comme Parménide H036 , de la signification singulière d'être à l'unité arithmétique de l'être, il en résulte cette conséquence que les êtres, étant plusieurs, ne peuvent pas àproprement parler être dits être et c'est là le sens de l'argumentation de Zénon H051 contre la pluralité.
Rester insensible à l'insidieuse ambiguïté d'être, c'est par ailleurs s'exposer au sophisme majeur, celui qui ouvre le Traité du non-être du sophiste Gorgias H1100 , et qu'Aristote reprend sans qu'on puisse savoir s'il lui donne raison ou tort.
Et ce sophisme est tel : l'être est l'être, et le non-être est le non-être, en sorte que l'être n'est pasplus que le non-être.
En d'autres termes, si l'on ne donne à être qu'un seul sens, les êtres ne sont point puisque seul l'être est, et le non-être est, puisqu'il est le non-être.
Sans doute n'y a-t-il là que jeux de mots, et comme toujours l'ontologie grecquedonne le sentiment du verbalisme.
La pensée s'y sent captive de la toile d'araignée des mots et conçoit le désir dela déchirer par la violence.
Pourquoi prendre la merveille d'être aux pièges et aux jeux du langage ? Qu'importe,semble-t-il, à notre sens de l'être, qu'être soit, aussi, un verbe, qu'il ait un infinitif et un participe, et que lesdictionnaires lui accordent plusieurs sens ? Il importe beaucoup, si, comme nous l'avons dit, la métaphysique est unlangage qui doit avoir un sens, et si notre sens de l'être doit s'exprimer dans un langage significatif.
Cette exigencenous laisse sans recours en face des mots.
Il faut bien nous plier à ce qu'ils veulent dire même si ce vouloir est unmauvais vouloir, et si le génie de la langue est né malin.
Être signifie à la fois l'évidence unique, qu'il y a être, etaussi bien la multiplicité indéfinie de ce qu'est ce qui est.
Mais faire de l'ontologie, ce n'est rien autre que savoir cequi se peut nommer correctement : être, et ce qu'enfin nous entendons signifier par là.
Mais qu'est-ce, pour un mot, qu'avoir un sens, ou signifier ? C'est faire un signe, c'est désigner quelque chose.
Lemot est un geste verbal, qui nous montre les choses.
C'est ainsi qu'Aristote résout la difficile ambiguïté de l'être un.Assurément être se dit en plusieurs sens, mais cette diversité de sens fait signe vers une seule chose.
Qui, en effet,disons-nous être jeune, être à la campagne, être en hiver, être seul, être à cheval, être en colère, être au grandgalop ? Nous le disons d'un homme.
Mais cet homme, avant d'être jeune, ou d'être à cheval, ne lui fallait-il pas êtrehomme ? Et ainsi " être homme " ne désigne-t-il pas " ce que c'était que d'être pour lui " ? Nous atteignons ainsi uneassignation de l'être antérieure à toutes les autres, puisque c'est celle où l'être exprime, non ce qu'il est à chaquefois qu'on parle de lui, mais ce qu'il était déjà.
C'est dans cette antériorité essentielle que nous atteignons la prioritéde " ce dont tout le reste est dit ".
Un être surgit, debout entre la terre des morts et le ciel des dieux, et nousdemandons : " Qu'est-ce que c'est ? " Et la réponse est : " C'est un homme.
" Cette réponse est essentielle etcommande tout ce qui, de cet homme, pourra être dit ensuite.
C'est pourquoi il semble vraiment à Aristote qu'elleest le surgissement de l'être en son être, et qu'elle exprime ce que c'est, pour lui, d'être.
C'est cela qu'Aristote nomme : l'essence.
Ainsi commence à prendre un sens la substitution de la question : qu'est-ce que l'essence ? à laquestion : qu'est-ce que l'être ? Être, pour Parménide H036 , est l'évidence : qu'il est.
Mais être, pour Aristote, désigne ce qu'est un être, parce.
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