Ancien Testament, Livre de Job, 2, trad. É. Dhorme, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade.
Publié le 19/03/2015
Extrait du document
Le tesson de job
Et Iahvé dit à Satan : «D'où viens-tu?« Et Satan répondit à Iahvé et dit : «De
rôder sur la terre et d'y circuler ! « Et Iahvé dit à Satan : «As-tu porté ton attention
sur mon serviteur Job? Il n'y a personne comme lui sur la terre: c'est un homme
parfait et droit, craignant Élohim et se détournant du mal. Il s'attache encore à sa
perfection et c'est sans raison que tu m'as excité contre lui pour le ruiner.« Satan
répondit à Iahvé et dit : « Peau contre peau ! tout ce qui est à l'homme, il le donne
pour sa vie. Mais veuille étendre ta main et touche à son os et à sa chair ! À coup
sûr, il te maudira à ta face ! « Et Iahvé dit à Satan : « Le voici à ta discrétion ! Sauvegarde
seulement sa vie ! «Alors Satan sortit de devant Iahvé et il frappa Job d'un
ulcère malin de la plante du pied au sommet de la tête. Lors Job prit un tesson pour
se gratter et il était assis au milieu de la cendre. Et sa femme lui dit : «Tut' attaches
encore à ta perfection ? Maudis Élohim et meurs ! « Et il lui dit : « Comme parlerait
une des femmes folles, tu parles! Si d'Élohim nous acceptons le bien, n'accepterons-
nous pas aussi le mal ? «
Ancien Testament, Livre de Job, 2, trad. É. Dhorme,
Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade.
«
Le tesson de Job 25
plement, des retournements qui enchaînent les peines aux joies.
Accepter sans condition.
Une sorte de foi essentielle, comme celle dans laquelle
Nietzsche voit l'affirmation fervente de la vie, se révèle à jamais,
sans calcul ni ressentiment.
Dieu, ou la vie même, se montre en
son infini jaillissement.
Et les blessures prochaines succèdent
aux enchantements premiers.
Tu as repris ce que tu as donné.
Ce qui avait été gagné se trouve perdu.
Tout ne dépendait pas
de moi.
«Fais de ton mieux, et advienne que pourra.
»Une manière
de stoïcisme prend acte des limites et refuse la parole amère.
Un douloureux partage se trace entre le pouvoir de l'homme
et celui des circonstances dont il n'a pas la maîtrise.
La foi sans
condition sera mise à l'épreuve de diverses façons.
Perdre des
biens, des êtres chers, la santé, le simple fait de vivre sans dou
leur.Job déclinera tragiquement toutes les figures possibles de
la souffrance.
Et il ne lui restera que la vie elle-même, dénudée
et crue sous le mal multiforme, mais acceptée malgré tout,
jusqu'au doute le plus ravageur.
Mon âme est dégoûtée de ma vie !
J'exhalerai sur moi ma plainte,
Je parlerai, dans l'amertume de mon âme !
Je dirai à Eloah: ne me condamne pas!
Fais-moi savoir à propos de quoi tu me querelles !
Est-ce
un bien pour toi d'être violent,
de mépriser l' œuvre de tes mains ?
Le moment de Job et de sa plainte, le moment du tesson
dont il se gratte, sur la cendre et le fumier où toute chose finit,
est aussi celui de la révolte à peine esquissée, sourdement
mêlée à l'incompréhension.
La gale démange et fait de la vie
supplice.
Conjurer la douleur et s'étonner.
Pourquoi avoir
donné la vie ? Moment de plainte et de souffrance parlée.
Et
Job d'entrevoir l'élision première de sa vie même:
Pourquoi donc m'as-tu fait sortir du sein ?
J'aurais expiré et aucun œil ne m'aurait vu :
J'aurais été comme n'ayant pas été,
J'aurais été conduit du ventre à la tombe !
N'est-ce pas
peu de chose que les jours de mon existence ?
Retire-toi
de moi pour que je sois un peu gai,
Avant
que j'aille, pour n'en plus revenir,
À la terre de ténèbres et d'ombre,
Terre de noirceur et de désordres,
Où la clarté est comme l'obscurité!.
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