Analyse du chapitre 7 de Tristes Tropiques « le coucher du soleil », de Claude Lévi-Strauss
Publié le 16/08/2012
Extrait du document
Toutefois, le titre de « coucher du soleil « introduit une dimension poétique qui s’y trouve largement présente. En effet, notons la présence de nombreuses figures de style, des comparaisons : « comme dans les vieux opéras «, des images et métaphores : « le plateau tournant du monde «, « l’obole d’un céleste avare «, « le visage du soleil «, la « débauche atmosphérique «. Nous avons également une série d’expressions poétiques telles que « ces constellations cotonneuses «, « la révélations des forces opaques «. Autant d’occurrence éminemment poétiques qui contribuent a rendre une atmosphère littéraire et moins scientifique. C. L’art, passeur des civilisations De cette façon, à la frontière entre ciel, mer et terre, le chapitre 7 nous transporte à la frontière entre l’essai et la poésie. Entre la science et les arts qu’il convoque. Lévi-Strauss transporte le lecteur pour un voyage déstabilisant, faisant appel aux souvenirs de ses sens pour mieux comprendre cet ailleurs qu’il veut nous faire partager. Ainsi, l’expression poétique « les mirages en formes de mondrains « devient lisible quelques lignes plus tard grâce au démonstratif cataphorique « ces brefs aperçus « et les mondrains apparaissent alors en tant que « ville, région ou culture «. Puis, par la force visuelle de son écriture, Lévi-strauss nous donne à voir de véritable peintures. Nous imaginons le paysan suspendant sa marche, le pêcheur retenant sa
«
ethnographique ».Par ailleurs, on peut relever une nouvelle alternance temporelle du passé avec l'utilisation de l'imparfait « d'autres spectacles m'attiraient », et celle du plus que parfait« je n'en avais jamais contemplé ».
La valeur d'accompli et d'antériorité du plus que parfait a pour effet de marquer le changement qui s'est opéré en lui.
Icil'ethnographe nous fait comprendre qu'il a beaucoup observé depuis ce jour et qu'il a acquis une certaine maturité, une connaissance, une maitrise de son métier.
Il enest de même de l'emploi du subjonctif « qui eussent pu » et de celui du conditionnel « j'aurais d'un seul coup » qui insèrent une distanciation de l'observateur exercéavec l'observateur débutant.
Il y a un aspect initiatique inhérent au voyage puisque le « je » évolue, et que de « débutant » il devient « œil exercé »B.
Une observation plus empiriqueNous allons voir à présent que c'est cette mise à distance du sujet de l'observation, que ce soit dans l'espace ou dans le temps, qui lui permet d'appréhender son métierd'ethnographe.
En effet, si la première mise à distance réel est celle apportée par le voyage, il faut aussi voir l'autre distance qui est celle du délai qui s'est écoulé entreles faits et l'écriture des faits.
Le procédé d'analepse est une application en abyme de la théorie qu'il nous délivre dans ce chapitre.
A savoir que l'auteur nous proposeune méthode d'observation basée sur l'exploitation du souvenir.
Il nous dit que « se souvenir est une grande volupté pour l'homme », et que « le souvenir est la viemême mais d'une autre qualité».
En effet, sa conception de l'observation procède moins d'une réalité littérale qui rapporterait les péripéties du « vent, du froid, ou dela pluie », mais davantage une observation empirique qui prend vie à l'intérieur même de sa mémoire.
En effet, comme le dit Auguste Maillot, dans son articleintitulé « L'ethnologue préféré : le Lévi-Strauss de Tristes Tropiques, paru le 01 mars 2008 : – « si Tristes tropiques est bien un récit de voyage, c'est moinsl'ethnologue en personne que sa mémoire que l'on voit crapahuter » ; Nous pouvons noter en effet, que le premier paragraphe du chapitre est un condensé de toutesles expériences sensitives possibles par l'homme.
Tout d'abord il y a la vue avec le « bleu très clair » du ciel de Marseille, puis le toucher avec « un air mordant », legoût « avec l'eau gazeuse et glacée », l'odorat, avec les « lourds relents, le mélange des senteurs », puis l'ouï, avec « les trépidations des machines » et « lefroissement de l'eau ».
Nous sommes loin des indications scientifiques et pratiques apportées par le thermomètre ou le baromètre ; pourtant, il est question des mêmesdonnées mais cette fois c'est « l'être physique » qui sert d'outil.C.
L'observation du changement à chaque instantPar ailleurs, l'auteur insiste sur le fait que l'observation doit-être celle du changement.
En effet, nous pouvons relever un certain nombre de termes relevant d'unchangement progressif « peu à peu », « défilaient lentement », changé de route », « changement de direction », « transfert », « transition », « traversée ».
Le coucherdu soleil porte en lui cette notion de transition entre le jour et la nuit.
Le motif du changement rappelle à l'ethnographe que le monde n'est pas figé, qu'il est enperpétuelle évolution.
Ce changement d'état se fait instant par instant, ou encore « seconde après seconde ».
L'auteur parle de « phase », « d'articulations »,L'ethnologue lui, découpe le temps comme le souligne l'indication temporelle « 16 heures », ou encore « seconde après seconde ».C'est sa capacité à saisir et à fixer la « fugacité des choses » qui lui permet « d'atteindre aux arcanes de son métier ».
Nous pouvons remarquer l'importance donnée àcette notion de brièveté par la répétition de l'adjectif « bref » dans la même phrase.
De plus, cette phrase au rythme ternaire, introduit par la présence des tirés,reproduit le schéma de la journée, avec l'aube, le jour et le crépuscule mais aussi du coucher de soleil qui se déroule en trois phases avec « le début, le milieu et lafin ».
On ne peut pas s'empêcher d'y voir de manière symbolique, une représentation de la naissance, de l'évolution et de la fin des civilisations dont l'ethnologue estl'observateur.
Notons que pour appuyer cette idée, de nombreux rythmes ternaires sont présents dans le texte.
En voici quelques exemples « Récife, Bahia etvictoria », « des combats, des triomphes et des défaites », « la lune, le vol des oiseaux et les oscillations des marais », ou encore »le paysan, le pêcheur et le sauvage.Ainsi, il n'est pas étonnant que l'image du coucher du soleil soit précisément celle qui inspira à Claude Lévi-Strauss des interrogations quant à son métierd'ethnologue.III.
La littérarité du récit de voyage
A.
Les interrogations de l'auteur sur le langageNous pouvons en effet remarquer la présence de deux phrases interrogatives juste avant le texte en italique.
L'auteur se posant les questions suivantes : « Après tantd'années, parviendrais-je encore à me replacer dans cet état de grâce ? » et « Saurais-je revivre ces instants fiévreux[…] qui me permettrait peut-être d'immobiliserces formes évanescentes et toujours renouvelées ? » Nous voyons qu'ici, Lévi-Strauss s'interroge sur ses capacités à intégrer « l'esprit ethnographiques ».Or, il n'est pas innocent de voir apparaitre le texte primitif de Tristes tropiques juste après ce questionnement.
En effet, comme nous l'avons vu préalablement, lesouvenir selon l'auteur est la volupté qui découle de cet « état de grâce » que l'ethnologue expérimenté appelle à nouveau de ses vœux.
En effet, le texte en italique estconstruit comme une démonstration, qui fait figure de réponse.
Démonstration qui commence par dénoncer les procédés scientifiques des « savants » qui proposentdes « spéculations théoriques » au détriment de « l'aspect concret des choses ».
Ici comme nous l'avons dit plus haut, l'ethnologue propose d'opposer à l'abstraction desthéories, son expérience sensible.
Pour justifier sa prise de position, il présente les deux phénomènes du lever et du coucher du soleil, dans deux paragraphesargumentatifs introduit par la phrase « Mais en réalité, rien n'est plus différent que le soir et le matin.
» qui dénote de sa capacité à observer à l'instar des « grecs oudes savants ».
A la suite de cette démonstration, le présentatif « voilà » apporte une réponse aux questionnements qui précédaient.
Le complément du présentatif « pourquoi les hommes prêtent plus d'attention au soleil couchant qu'au soleil levant… » justifiant la prise de conscience de l'ethnographe débutant.
Ainsi nouspouvons dire que la littérarité des pages de ce roman, ne fait pas nécessairement une césure avec le style du texte précédent et qu'il n'entrave en rien la capacité del'auteur à rendre compte de ces observations, bien au contraire il est complémentaire.B.
Un chapitre au genre hybrideIl est intéressant de savoir que le jury du prix Goncourt avait regretté de ne pouvoir décerner son prix à Claude Lévi-Strauss car Tristes tropiques n'était pas unroman.
Or, si comme nous l'avons vu les pages du roman initial débutent par un paragraphe argumentatif, il n'en demeure pas moins que la présence de ce texteclassé par l'auteur lui-même dans la catégorie du roman, soulève la question du genre hybride de ce chapitre.
En effet, bien que la visée scientifique ne fut pasl'objectif premier de l'auteur, nous pouvons tout de même retrouver un certains nombres de termes techniques tels que « baromètre, thermomètre » ou encore« latitude, isothermes, pluviométriques ».Toutefois, le titre de « coucher du soleil » introduit une dimension poétique qui s'y trouve largement présente.
En effet, notons la présence de nombreuses figures destyle, des comparaisons : « comme dans les vieux opéras », des images et métaphores : « le plateau tournant du monde », « l'obole d'un céleste avare », « le visage dusoleil », la « débauche atmosphérique ».
Nous avons également une série d'expressions poétiques telles que « ces constellations cotonneuses », « la révélations desforces opaques ».
Autant d'occurrence éminemment poétiques qui contribuent a rendre une atmosphère littéraire et moins scientifique.C.
L'art, passeur des civilisationsDe cette façon, à la frontière entre ciel, mer et terre, le chapitre 7 nous transporte à la frontière entre l'essai et la poésie.
Entre la science et les arts qu'il convoque.Lévi-Strauss transporte le lecteur pour un voyage déstabilisant, faisant appel aux souvenirs de ses sens pour mieux comprendre cet ailleurs qu'il veut nous fairepartager.
Ainsi, l'expression poétique « les mirages en formes de mondrains » devient lisible quelques lignes plus tard grâce au démonstratif cataphorique « ces brefsaperçus » et les mondrains apparaissent alors en tant que « ville, région ou culture ».
Puis, par la force visuelle de son écriture, Lévi-strauss nous donne à voir devéritable peintures.
Nous imaginons le paysan suspendant sa marche, le pêcheur retenant sa barque ou encore le sauvage clignant de l'œil.
L'opéra, le théâtre sontégalement présent.
L'homme de lettres nous donne à voir son voyage comme un « spectacle » terme qui revient à quatre reprises.Il semble que l'horizon soit assez « vaste » et en particulier les « 5000 kilomètres d'océan » que l'ethnologue a parcouru, pour que l'écriture soit le reflet hétérogène dela beauté artistique du monde.
On sent toutefois dans son besoin de justifier sa méthode d'observation que Claude Lévi-Strauss était tiraillé par deux trajectoireslittéraires.
En effet, la valeur alternative de la conjonction de coordination « soit », permet de présenter deux itinéraires différents pour le Mendoza, « soit directementjusqu'à Rio » « soit… le long de la côte brésilienne ».
Il en est de même avec la conjonction de subordination « si » qui introduit les conditions fondamentales selonl'auteur, pour opérer l'alchimie de son métier, à savoir « trouver le langage pour fixer ces apparences à la fois instables et rebelles à tout effort de description » et« communiquer à d'autres les phases et les articulations d'un évènement pourtant unique et qui pourtant ne se reproduirait jamais dans les mêmes termes..
».
Gageonsque la littérarité de ce chapitre mêlant à la fois la poésie et le récit de voyage, l'art et la science, fut la clef du succès de Triste Tropiques et l'aube d'une ère modernepour l'ethnographie..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- TRISTES TROPIQUES, 1955. Claude Lévi-Strauss (résumé & analyse)
- TRISTES TROPIQUES. Claude Lévi-Strauss (résumé & analyse)
- Claude Lévi-Strauss, TRISTES TROPIQUES, chapitre XX: « Une société indigène et son style»
- Claude Lévi-Strauss: Tristes tropiques (résumé & analyse)
- Tristes Tropiques de Claude LÉVI-STRAUSS (analyse)