ALAIN: Une antériorité de la pensée technique ?
Publié le 09/05/2005
Extrait du document
On dissocie depuis si longtemps travail manuel et travail intellectuel qu'on finit par oublier qu'on a fait du feu avant de savoir ce qu'était en théorie le feu, qu'on a construit des digues, creusé des fossés et bâti des maisons bien avant d'en connaître les principes mathématiques. Mais peut-on légitimement admettre l'antériorité de la pensée technique ? Le texte d'Alain nous place face à cette question.
«
• Car l'empirisme n'est sensible qu'au « succès ».
On vise un résultat et pourvu qu'il soit atteint, on ne sesoucie pas de savoir comment il est atteint.• D'où la confusion entre «l'essentiel et l'accidentel»: l'esprit empirique peut prendre pour cause ce qui n'estqu'un effet intermédiaire.
Il est attentif au détail qui lui paraît « significatif», mais peut ignorer la relationcausale qui est vraiment à l'oeuvre.
II.
Qu'est-ce que la théorie?
• Par opposition à la «pensée technique», la pensée théorique est abstraite, donc indifférente auxapparences et aux manipulations.• Elle s'instruit par l'expérience, qui n'est pas une suite d'essais et d'erreurs, mais est organisée par unschéma explicatif préalable (l'hypothèse).• Elle cherche à saisir les relations de causalité : d'où une hiérarchie minimale (les causes, les effets;l'essentiel et l'accidentel) introduite dans les aspects du phénomène, et la traduction de ce dernier enconcepts généraux.
Derrière tout phénomène, elle suppose une loi (pour la pensée technique, il n'y a qu'unehabitude).
C'est pourquoi la pensée théorique est universaliste: elle n'est pas liée à une situation particulièreet trouvera des applications partout.
III.
Références philosophiques possibles
• Ce que dit ici Alain peut évoquer la différence établie par Platon entre l'«opinion vraie» et la science: lapremière peut réussir, mais elle est comme les statues de Dédale, si on ne l'enchaîne pas, elle risque de nouséchapper.
Car l'opinion vraie (ou la pensée technique) n'est pas fixée, elle manque de « chaînes», c'est-à-dire que lui fait défaut la connaissance de l'enchaînement des causes et des effets qui fonde l'explicationrationnelle.• On peut aussi rappeler la différence établie par Bergson entre homo faber et homo sapiens.• Bergson affirme une antériorité du premier sur le second, Alain serait-il du même avis? Doit-on, plusgénéralement, l'admettre?
IV.
Antériorité de la pensée technique
• L'exemple même fourni par Alain va dans ce sens: il est indéniable qu'il a existé des paysans bien avantl'apparition des agronomes!• Cette antériorité se répète chez tout individu : l'enfant équilibre ses cubes par tâtonnements, sans sepréoccuper d'en calculer le poids, le volume, les poussées, etc.
Et l'on sait (cf.
les études de Piaget) quel'accès à la pensée abstraite n'est pas immédiat.• Cette antériorité peut être affirmée à propos de disciplines dont a disparu tout aspect empirique — etnotamment des mathématiques : avant l'intervention de la démonstration et des définitions a priori chez lesmathématiciens grecs, il a existé une période « pré-mathématique (Assyrie, Égypte), où furent établies desconnaissances empiriques sur les figures (la géométrie) ou les nombres.
CONCLUSION
Des pré-mathématiques aux mathématiques, il y a solution de continuité, et non évolution progressive.
Demême, le passage de la « pensée technique» à la réflexion théorique suppose une véritable conversionintellectuelle — à partir de laquelle toute référence à l'empirique sera considérée avec la plus grandeméfiance.
Le support de l'étude est un article d' Alain traitant de la pensée technicienne.
J'appelle technique ce genre de pensée qui s'exerce sur l'action même, et s'instruit par de continuels essais ettâtonnements.
Comme on voit qu'un homme même très ignorant à force d'user d'un mécanisme, de le toucher etpratiquer de toutes les manières et dans toutes les conditions, finit par le connaître d'une certaine manière, et toutà fait autrement que celui qui en aurait d'abord la science; et la grande différence entre ces deux hommes, c'estque le technicien ne distingue point l'essentiel de l'accidentel; tout est égal pour lui, et il n'y a que le succès quicompte.
Ainsi un paysan peut se moquer d'un agronome; non que le paysan sache ou seulement soupçonnepourquoi l'engrais chimique, ou le nouvel assolement, ou un labourage plus profond n'ont point donné ce qu'onattendait; seulement, par une longue pratique, il a réglé toutes les actions de c ulture sur des petites différencesqu'il ne connaît point mais dont pourtant il tient compte, et que l'agronome ne peut pas même soupçonner.
Quel estdonc le propre de cette pensée technicienne? C'est qu'elle essaie avec les mains au lieu de chercher par la réflexion.
Quel est la thèse de l'auteur et par quelle argumentation la défend-il ?
Par cet article, issu du recueil les Propos, Alain a voulu nous montrer que la technique permettait d'acquérirun savoir égal à une pensée basée sur la reflexion.Pour étayer cette idée directrice, Alain utilise l'argumentation suivante :.
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