Alain, Propos sur les pouvoirs (juin 2006, série ES)
Publié le 22/02/2012
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et même structure complète et complexe de société : religion (« des prêtres»), administration et justice (« desinstitutions, des lois, une police»), pouvoir politique (« des rois »).
Ce n'est donc pas l'organisation du travail, maisl'organisation politique en tant que telle qui est voulue.
3.
La société sans économieLa conséquence en est pour Alain que « l'homme est citoyen par nature».
Il l'est en effet par héritage national, paréducation, car le comportement citoyen se façonne et les institutions s'apprennent, notamment à l'école, mais ill'est avant tout par nature, et non pas selon les circonstances artificielles ou accidentelles qu'il rencontre.
Touthomme, même dans un climat idyllique, vit en société et participe à son maintien.
Toute société, même rudimentaire,est organisée selon des fonctions et des hiérarchies.
Il y a donc nécessité et non-contingence du fait social.
C'estconsubstantiel à l'homme, il semble bien être un «animal politique» comme le définit Aristote.Autre conclusion : la production des biens matériels n'est pas ce qui rend à l'origine l'homme dépendant des autres.Ce n'est pas le domaine où se repère sa plus grande faiblesse.
Autrement dit ce n'est pas le « premier des besoins », car par besoin, il faut entendre dépendance et soumission à ce qu'on n'a pas décidé par soi-même.
Or, se nourrir« sans peine », sans effort, est possible.
On l'a vu dans l'exemple plus haut.
C'est même ainsi que Rousseau décritl'état de l'homme sauvage en général dans Le Discours sur l'origine de l'inégalité.
Cela ne rend pas nécessaire unesociété.Alors pourquoi et comment est-elle nécessaire? Sur quel besoin se développe-t-elle?
II.
L'origine et la fonction de la société
1.
Les besoins du sommeilLes enfants ont souvent peur du sommeil et du noir, parce qu'ils ne savent pas s'ils vont se réveiller.
Dans uncontexte naturel, c'est bien de cela qu'il s'agit : on peut se faire agresser ou tuer pendant son sommeil.
L'hommeest un des grands prédateurs de la nature, voire le plus grand, mais en dormant, il s'offre à la prédation des autres,aucune «perception» ne l'avertit des dangers La force et le courage doivent eux aussi se reposer : on est alors «sans défense».
Or cela concerne en temps «le tiers de sa vie à peu près».
Sous l'emprise du sommeil, on ne se suffitpas à soi-même.La seule solution est l'entraide.
C'est la « première esquisse» de la société.
Il faut en effet pratiquer un échangeentre ceux qui dorment et ceux qui montent la garde.
Ce qui suppose un accord et une confiance réciproques.L'organisation et l'assistance mutuelles se sont mises en place pour que chacun se sente en sécurité pendant sonsommeil, le seul besoin biologique qui frappe et affaiblit tous les hommes, d'où viennent «les premières inquiétudes».
2.
La société sécuritaire Alain établit une hiérarchie nouvelle par rapport au début du texte.
Alors que Platon voitl'exigence de gardiens comme postérieure à la production des biens et à la nécessité de la division du travail, on voitici que c'est d'abord le souci de sécuriser sa personne qui a donné lieu à une structure sociale.
Ce qui permettraplus tard de développer les échanges de biens et d'augmenter la production.
La société est « militaire » d'abord, «économique » ensuite.
De toutes les lois naturelles, ce n'est pas l'appétit de vivre, la faim ou la recherche denourriture, mais la peur de mourir qui constitue l'origine fondatrice de la société humaine.
Alain précise même que lafaim est quasiment antisociale: chacun cherche pour lui sa propre pitance et n'hésite pas à partir loin des autres, «dans les régions les moins explorées», afin de trouver un territoire de chasse uniquement pour lui.
Rien n'est plusindividualiste qu'un animal qui a faim.
D'autant que le « désir » peut aller en s'accroissant, on va donc être de plusen plus avide et cela ne favorise pas le partage.
Par contre la « peur » issue de la vulnérabilité donne nonseulement un motif de rassemblement, mais une attente, voire un goût, pour « les lois ».
Il faut un régime socialtrès organisé et directif, pour que la sécurité soit sans faille et chacun accepte de s'y soumettre.
Alain déplace lestermes de sa hiérarchie en critère chronologique : le matin, l'homme est tiraillé par la faim et assouvit cette dernièreselon son bon vouloir, en refusant de dépendre ou de se soumettre à quiconque, à l'image de ce que promeut ladoctrine « anarchiste».
Le soir, avant le sommeil et l'état de fragilité qu'il crée, il devient au contraire amoureux deslois et de l'ordre.
Ce n'est donc pas le lever du jour qu'il faut considérer comme premier moment, mais la tombée dela nuit.
3.
Réflexion critique La précision apportée par Alain est capitale.
Elle met à jour un motif quasi biologique et naturelpermettant d'expliquer pourquoi et comment des régimes politiques ont pu être ou rester très organisés, voirerépressifs.
Ils sont par origine militaire.
Ils ont pour objectif la sécurité.
Hobbes l'a bien relevé en faisant du pactesocial la conséquence de la crainte de chacun contre chacun à l'état de nature.
On peut même comprendre ainsipourquoi la société évolue vers des structures totalitaires dans lesquelles les citoyens sont toujours plus surveillés,comme le montre Foucault.
De façon plus particulière, elle révèle aussi la limite de la vision de Rousseau sur l'étatnaturel de l'homme qui se passe, selon lui, de société.
Mais quand il écrit : L'homme sauvage doit aimer à dormir etavoir le sommeil léger », n'y a-t-il pas là une limite, voire une contradiction que la thèse d'Alain permet derésoudre? Inversement, on peut estimer que l'auteur a sous-estimé l'organisation nécessaire qui suppose laproduction des biens car l'être humain est le seul parmi tous les animaux à devoir travailler autant pour subvenir àses besoins.
Le jour aussi il a des faiblesses naturelles : pas de crocs, pas de griffes, il doit construire des outils, ous'assembler avec d'autres pour chasser des prédateurs.
La thèse de Marx donnant la primeur à l'Économique n'estdonc pas évincée totalement.
Conclusion.
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