Alain, Propos sur l'éducation, chapitre XXIV
Publié le 11/04/2012
Extrait du document
« Je puis vouloir une éclipse, ou simplement un beau soleil qui sèche le grain, au lieu de cette tempête grondeuse et pleureuse; je puis, à force de vouloir, espérer et croire enfin que les choses iront comme je veux; mais elles vont leur train. D'où je vois bien que ma prière est d'un nigaud. Mais quand il s'agit de mes frères les hommes, ou de mes soeurs les femmes, tout change. Ce que je crois finit souvent par être vrai. Si je me crois haï, je serai haï; pour l'amour, de même. Si je crois que l'enfant que j'instruis est incapable d'apprendre, cette croyance écrite dans mes regards et dans mes discours le rendra stupide; au contraire ma confiance, et mon attente, est comme un soleil qui mûrira les fleurs et les fruits du petit bonhomme. Je prête, dites-vous, à la femme que j'aime des vertus qu'elle n'a point; mais si elle sait que je crois en elle, elle les aura. Plus ou moins; mais il faut essayer; il faut croire. Le peuple, méprisé, est bientôt méprisable; estimez-le, il s'élèvera. La défiance a fait plus d'un voleur; une demi-confiance est comme une injure; mais si je savais la donner toute, qui donc me tromperait? Il faut donner d'abord. «
«
Remarques sur l'intérêt philosophique du texte
Trop souvent, le réalisme invoqué par ceux qui, se satisfaisant de ce qui
est , refus e
nt tout effort pour rendre possible l'avènement de ce qui pourrait
être, sert à disqualifier l'idéal.
Trop souvent, une confusion entre détermi
nisme naturel et règles d'action humaines a pour effet de justifier ce qui est
et
de démobiliser toute volonté de progrès.
Trop souvent aussi, l'idée négative
que l'on a d'une personne induit
ce qu' elle prétend dénoncer, croyant ainsi
se confirmer elle-même alors qu'elle ne fait que désigner les effets qu' elle
provoque comme des propriétés «naturelles » de l'être qu'elle juge.
Le texte d'Alain s'attache à bien souligner les deux distinctions (de ce
qui est et de ce qui pourrait ou devrait être; du déterminisme naturel et de
l'action humaine).
Cette mise au point a d'autant plus
de portée que l'auteur
rappelle
la vanité du volontarisme là où la volonté humaine n'a pas de
prise, tout en précisant, dans
la seconde partie du texte , que la volonté peut
devenir à son tour facteur déterminant lorsqu'il s'agit des rapports entre
les hommes.
L'examen des exemples qu'il donne suffirait, à lui seul, à
montrer l'intérêt du texte et son actualité au sens philosophique du mot.
Mais
il convient de revenir sur le statut de l'idéal tel qu'il est esquissé
dans
le texte, en tant qu'acte de foi et croyance dont la fécondité pratique
est manifeste.
Une première remarque, de fait, est que si les hommes s'en
étaient constamment tenus à
ce qui est, disqualifiant et la croyance en un
monde meilleur et la confiance en un progrès moral de l'humanité, il n'y
aurait eu dans l'histoire ni évolution ni période de progrès.
La servitude
aurait été entérinée, et l'injustice consacrée comme appartenant à l'ordre
des choses.
Le statut de la croyance -et de la confiance -qui crédite les
hommes de «perfectibilité » est ici en jeu.
Pour Kant, le domaine de la
croyance est indispensable à l'action.
Non pas, comme on l'interprète trop
souvent, par
le biais d'une foi aveugle figeant les normes morales en
dogmes religieux.
Mais plutôt dans
la position, par l'homme, d'une valeur
qui dépasse peut-être
les limites de son expérience présente, et constitue à
ce titre une référence lui permettant de se dépasser lui-même, de progresser.
Commentant dans
la Critique de la raison pure le statut des idées chez
Platon, Kant fait remarquer que la fonction normative et régulatrice de
l'idée (forme ou principe idéal) est irréductible, et justifie amplement son
importance philosophique.
La non-correspondance entre l'idée et le réel
n'est donc pas une disqualification de l'idée, pas plus que
les entorses trop
fréquentes aux droits de l'homme ou à
la justice ne disqualifient ces
idéaux.
Dans une perspective similaire, Rousseau écrivait que, si la force
des choses tend à détruire l'égalité,
le rôle de la loi et des actions humaines
doit être de la restaurer .
Ainsi l'acte de foi, qui est position de valeur et d'idéal, n'a rien d'illégitime
lorsqu '
il s'agit de l'homme; et il serait erroné de le confondre avec
le fidéisme religieux ou avec l'obscurantisme d'une certaine croyance.
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