Alain: Plaisir et Peine
Publié le 13/04/2005
Extrait du document

Je nommerai affection, selon l'usage, tout ce qui nous intéresse par quelque degré de plaisir ou de peine. Et, en tout ce que j'ai voulu expliquer dans les préparations qu'on a lues plus haut, je me suis référé à des degrés des affections. J'en veux maintenant nommer quelques-unes. La passion est un degré moyen, où peut-être on ne reste pas : par exemple, la passion religieuse est un état violent où l'on ne sait plus régler l'amour, la haine, la crainte, l'espoir ni même les pensées qui en sont l'accompagnement. La passion est toujours malheureuse: elle ne se repose qu'au degré inférieur, ou bien au supérieur. Le degré inférieur est sans pensées : il consiste dans des mouvements, ou des transes, ou seulement des frissons, ou seulement une inquiétude qui va à l'anxiété, et qui résulte directement d'un événement ou d'une situation. Souvent c'est une secousse, quelquefois une insinuation de tristesse ou même de bonheur; dans tous les cas nous nous sentons déportés de notre être ordinaire, et l'émotion est le mot qui désigne le mieux ces événements de nous-mêmes. Sur quoi la passion se forme, dès que nous nous avisons de nous souvenir, de prévoir, et en un mot, de penser à nos émotions. C'est ainsi que de la peur on passera à la crainte et à l'espoir, qui ne consistent peut-être qu'en une prévision de la peur et en hésitations sur les remèdes. Et je veux que l'on porte la plus grande attention à cette peur de la peur, qui est assurément dans toutes les passions, et le principal dans beaucoup. Il y faudra revenir. Quant au degré supérieur, où nous nous sauvons de la passion, et où nous recherchons, réglons et offrons nos émotions, il le faut nommer sentiment; mais cette forte expression veut être expliquée. On dit que l'on perd le sentiment, lorsqu'on ne sait plus que l'on existe; et cela nous avertit que le sentiment est un état qu'on risque de perdre, mais c'est aussi l'état d'où l'on juge les degrés inférieurs qui d'eux-mêmes retombent si bas qu'on n'en sait plus rien. Alain
Liens utiles
- Dans ses Propos sur l'éducation, Alain affirme : « Il n'y a point d'expérience qui élève mieux un homme que la découverte d'un plaisir supérieur, qu'il aurait toujours ignoré s'il n'avait point pris d'abord un peu de peine. » Avez-vous fait, au cours de vos études littéraires, l'expérience du plaisir « supérieur » apporté par un écrivain, ou une œuvre en particulier, que vous avez découverts après un temps d'exploration difficile ?
- Dans leur appréciation interviennent souvent amitié, haine, intérêt personnel ; aussi ne sont-ils plus en état de se faire une idée adéquate de la vérité et leur jugement est-il obnubilé par un sentiment égoïste de plaisir ou de peine.
- Alain par Maurice Savin Professeur de Première Supérieure au Lycée Louis-le-Grand, Paris Un nom qui de Pontivy à tout le reste de la Bretagne n'est qu'à peine un nom, tant il est commun, sur le duc ou le matelot ; comme on dirait Gros-Jean ou Maître-Pierre.
- « Le travail utile est un plaisir par lui-même, et non par les avantages qu'on en retirera » - Alain, propos - Qu'en pensez-vous ?
- Que pensez-vous de cette réflexion de d’Alembert (Réflexions sur la poésie) : « Quand on prend la peine de lire des vers, on cherche et on espère un plaisir de plus que si on lisait de la prose » ?