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Alain et l'intelligence

Publié le 12/04/2005

Extrait du document

alain
Il y a longtemps que je suis las d'entendre dire que l'un est intelligent et l'autre non. Je suis effrayé, comme de la pire sottise, de cette légèreté à juger les esprits. Quel est l'homme, aussi médiocre qu'on le juge, qui ne se rendra maître de la géométrie, s'il va par ordre et ne se rebute point? De la géométrie aux plus hautes recherches et aux plus ardues, le passage est le même que de l'imagination errante à la géométrie : les difficultés sont les mêmes ; insurmontables pour l'impatient, es pour qui a patience et n'en considère qu'une à la fois. De l'invention en ces sciences, et de ce qu'on nomme le génie, il me suffit de dire qu'on n'en voit les effets qu'après de longs travaux; et si un homme n'a rien inventé, je ne puis donc savoir si c'est seulement qu'il ne l'a pas voulu. Ce même homme qui a reculé devant le froid visage de la géométrie, je le retrouve vingt ans après, en un métier qu'il a choisi et suivi, et je le vois assez intelligent en ce qu'il a pratiqué ; et d'autres, qui veulent improviser avant un travail suffisant, disent des sottises en cela, quoiqu'ils soient raisonnables et maîtres en d'autres choses. Tous, je les vois sots surabondamment en des questions de bon sens, parce qu'ils ne veulent point regarder avant de se prononcer. D'où m'est venue cette idée que chacun est juste aussi intelligent qu'il veut. Alain

C'est une simple observation – nous pourrions la faire nous aussi – qui provoque la réflexion d'Alain. Le philosophe remarque, en effet, qu'on a coutume de «juger les esprits«, d'affirmer que « l'un est intelligent et l'autre non« . Voilà ce qu'on entend dire. Voilà aussi qui pose problème. Alain s'interroge sur le sens de ces appréciations. Commençons par étudier sa position.

alain

« vaguement.

Mais l'intelligence n'erre pas ainsi.

Elle enchaîne logiquement ses propositions.

Tout homme peut, de lasorte, raisonner avec méthode. Seconde condition : la volonté L'intelligence ne présuppose pas que la capacité de conduire «par ordre», ses pensées.

Elle exige encore qu'on «nese rebute point», qu'on ait la «patience» de surmonter les difficultés, qu'on ait «choisi» de pratiquerméthodiquement telle discipline; bref, conclut Alain, qu'on veuille vraiment travailler. Un exemple : l'intelligence dans la vie professionnelle Pour comprendre cette seconde condition, il est utile de reprendre l'exemple d'Alain.

L'auteur sait bien que tous leshommes ne dominent pas les mathématiques, que beaucoup ont « reculé devant son froid visage » : ils n'ont pasvoulu affronter cette discipline.

On n'a cependant pas le droit d'en conclure qu'ils n'ont pas le pouvoir d'en conquérirl'intelligence.Comment le prouver? Simplement en regardant ce que deviennent ceux qui n'ont pas voulu, finalement, chercher àcomprendre l'ordre géométrique.

On s'aperçoit alors qu'ils manifestent leur intelligence dans le métier qu'ils ont «choisi et suivi».

Les calculs, les astuces de métier, les tactiques des professionnels dans leur domaine propre,doivent être compris comme la manifestation d'un esprit intelligent qui n'est pas radicalement différent de celui quiélabore une démonstration mathématique. Résumé et généralisation Ainsi, quelle que soit la recherche ou l'activité qui exige de l'intelligence, il s'agit toujours de renoncer à l'imaginationerrante pour gouverner ses pensées avec rigueur etdétermination.

Méthode et volonté assurent non seulement la maîtrise intelligente de la géométrie ou de la pratiqued'un métier, mais rendent également possibles les «plus hautes recherches» et les «plus ardues» (spéculationmétaphysique ou scientifique, par exemple).

Méthode et volonté sont les clés de toute intelligence authentique. Un cas exceptionnel ? Le problème du génie Mais « l'invention » ? Mais « le génie», le pouvoir de créer ou découvrir des liens imprévus entre des idées ou desfaits? Cette production d'un ordre nouveau, non consciente de ses méthodes, n'enveloppe-t-elle pas d'autresqualités que celles qui définissent l'intelligence extraordinaire ? L'intelligence géniale, au moins, semble en effetirréductible à l'analyse d'Alain, et il est vrai que l'opinion peut trouver là une raison de « juger les esprits », commeelle le fait. Discussion de ce cas : le génie suppose la volonté À ces questions, qu'il prévoit, Alain oppose une remarque délibérément partielle, mais importante.

Du génie, on ne «voit les effets qu'après de longs travaux »...

Autrement dit, le génie suppose, pour apparaître, les qualitéscaractéristiques de toute intelligence, en particulier une volonté résolue, une détermination capable de mener untravail à son terme.

A la limite, le génie pourrait n'être que cette longue patience; sans celle-ci, en tout cas,dispositions naturelles ou dons, si même ils existent, resteraient de simples potentialités, le génie ne se manifesteraitpas.

Inversement, l'absence de génie chez un homme n'a peut-être qu'une signification : il n'a pas vraiment vouluinventer.

Alain fait (ou montre qu'il est possible de faire) l'économie des hypothèses traditionnelles qui font du génie,et de l'intelligence en général, des produits en quelque sorte préfabriqués, extérieurs à notre volonté.En conclusion, on peut dire que l'intelligence n'est pas cette mystérieuse qualité dont seraient, ou non.

paréscertains hommes, comme on le préjuge sans fondement.

Dans la mesure où elle résulte d'un esprit qui procède «parordre», quel que soit son objet (un triangle, un procédé de fabrication, etc.), elle est universelle ; mais dans lamesure où nous n'avons pas tous voulu penser les mêmes objets, ni choisi de penser avec la même détermination,nous sommes plus ou moins intelligents, sots en telle affaire, assez intelligents ailleurs, voire très intelligents,géniaux, peut-être.

« Chacun est juste aussi intelligent qu'il veut» : l'idée que l'intelligence est comme subordonnéeà notre volonté, voilà ce que l'opinion ne percevait pas, faute d'avoir analysé cette notion d'intelligence, dont elleosait pourtant faire usage.L'intérêt philosophique du texte d'Alain vient de ce qu'il nous invite à réfléchir sur une notion familière et ambiguë, lanotion d'intelligence.

Cette réflexion semble s'inscrire dans le cadre d'une analyse classique, élaborée en particulierpar Descartes.

Après avoir dégagé certains aspects de cette analyse, nous conclurons en nous demandant si cesthèses ne donnent pas la possibilité d'interroger de façon critique certaines approches de l'intelligence.. »

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