Alain et la perception
Publié le 30/08/2014
Extrait du document
Vous dégagerez l'intérêt philosophique
du texte suivant, en procédant à son étude
ordonnée.
La perception est exactement une anticipation de nos mouvements et de leurs effets. Et sans doute la fin est toujours d'obtenir ou d'écarter quelque sensation, comme si je veux cueillir un fruit ou éviter le choc d'une pierre. Bien percevoir, c'est connaître d'avance quel mouvement j'aurai à faire pour arriver à ces fins. Celui qui perçoit bien sait d'avance ce qu'il a à faire. Le chasseur perçoit bien s'il sait retrouver ses chiens qu'il entend, il perçoit bien s'il sait atteindre la perdrix qui s'envole. L'enfant perçoit mal lorsqu'il veut saisir la Lune entre ses mains et ainsi du reste. Donc ce qu'il y a de vrai ou de douteux, ou de faux dans la perception, c'est cette évaluation, si sensible surtout à la vue dans la perspective ou le relief, mais sensible aussi pour l'ouïe ou l'odorat, et même sans doute pour un toucher exercé, quand les mains d'un aveugle palpent. Quant à la sensation elle-même, elle n'est ni douteuse, ni fausse ni par conséquent vraie ; elle est actuelle* toujours dès qu'on l'a. Ainsi ce qui est faux dans la perception d'un fantôme, ce n'est point ce que nos yeux nous font éprouver, lueur fugitive ou tache colorée, mais bien notre anticipation. Voir un fantôme, c'est supposer, d'après les impressions visuelles, qu'en allongeant la main on toucherait quelque être animé [...]. Mais pour ce que j'éprouve actuellement, sans aucun doute je l'éprouve ; il n'y a point de science de cela puisqu'il n'y a point d'erreur de cela. Toute étude de ce que je ressens consiste toujours à savoir ce que cela signifie et comment cela varie avec mes mouvements.
ALAIN.
* C'est-à-dire réelle.
Analyse du sujet · Texte portant sur la distinction classique entre la perception et la sensation ou l'impression. · Problème implicite : qu'y a-t-il de plus dans la perception, qui me fait tromper alors que la sensation correspond à un vécu incontestable ? · Bien préciser le sens du terme « anticipation « dans la première phrase (en particulier par rapport au fait que la sensation est qualifiée d'« actuelle «). |
«
Plan
Introduction
1.
-L'anticipation définit la perception
II.
-Sensation et phénomènes
III.
-Source des erreurs
Conclusion
CORRIGÉ
[Introduction]
Pourquoi notre rapport immédiat avec le monde n'est-il pas totalement
fiable ? Depuis
Platon, les apparences sont volontiers dénoncées comme
trompeuses, mais, même après l'abandon de la métaphysique platoni
cienne, on constate que Descartes ne
se prive pas de montrer à quel point
ma perception peut m'induire en erreur.
Ce qu'analyse ici Alain, c'est
précisément la différence existant entre la perception et ce à partir de quoi
elle se développe, c'est-à-dire la sensation elle-même, comme relation
directe avec un donné.
C'est lorsque et parce que la perception s'éloigne
nécessairement du senti -qui ne peut en lui-même être qualifié ni de
vrai ni de
faux- que l'erreur peut apparaître.
[1 -L'anticipation définit la perception]
Percevoir, selon Alain, c'est être orienté vers une action, ce qui
implique que la perception soit bien constituée par une anticipation de nos
mouvements, de nos gestes, et des effets ou conséquences que nous en
attendons.
L'action elle-même, surtout
si elle est en apparence modeste,
vise l'obtention (ou le refus) d'une sensation ultérieure, mais en elle
même, elle suppose que l'on s'éloigne de la sensation initiale.
Anticiper en effet,
c'est envisager le futur, même proche.
C'est de la sorte
sortir du présent au sens strict, et en particulier de la présence (sensible,
matérielle) des choses.
L'anticipation peut concerner ce que devra faire
mon corps, mais, dans son processus, elle est intellectuelle : j'envisage
des possibles,
je calcule, je mesure mes chances de réussite, j'imagine la
conséquence faste ou malheureuse de tel comportement.
Anticiper,
c'est ainsi interpréter, à partir des éléments de la situation
présente tels qu'ils sont ressentis, ce qui doit être fait pour obtenir tel ou tel
résultat.
D'où les exemples fournis par Alain :
le chasseur perçoit «bien»,
lorsqu'il anticipe correctement, à partir de leurs aboiements, le lieu où se
trouvent ses chiens ; l'orientation dans l'espace et le parcours accompli.
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