Alain
Publié le 01/11/2013
Extrait du document


«
Alain, Définitions
craindre cette allégresse et on la craint toujours un peu, puisqu’elle dépend d’autrui.
La moindre réflexion
développe cette terreur, qui vient de ce qu’une personne peut à son gré nous inonder de bonheur et nous retirer tout
bonheur.
D’où de folles entreprises par lesquelles nous cherchons à prendre pouvoir à notre tour sur cette
personne ; et les mouvements de passion qu’elle éprouve elle - même ne manquant pas de rendre encore plus
incertaine la situation de l’autre.
Les échanges de signes arrivent à une sorte de folie, où il entre de la haine, un
regret de cette haine, un regret de l’amour, enfin mille extravagances de pensée et d’action.
Le mariage et les
enfants terminent cette effervescence.
De toute façon le courage d’aimer (sentiment du libre arbitre) nous tire de
cet état de passion, qui est misérable, par le serment plus ou moins explicite d’être fidèle, c’est - à - dire de juger
favorablement dans le doute, de découvrir en l’objet aimé de nouvelles perfections, et de se rendre soi-même digne
de cet objet.
Cet amour, qui est la vérité de l’amour, s’élève comme on voit du corps à l’âme, et même fait naître
l’âme, et la rend immortelle par sa propre magie.
LÂCHETÉ.
— C’est la passion qui développe la peur d’après la peur de la peur, et toutes les prévisions
auxquelles cette affection donne lieu.
La crainte est déjà plus raisonnable que la peur, en ce qu’elle rassemble les
peurs seulement possibles, leurs causes, et les remèdes qu’on y peut trouver.
Mais la lâcheté développe la crainte
en système, d’après un profond mépris de soi et un fatalisme total ; en sorte que la lâcheté est presque toute
imaginaire, et se déshonore à plaisir.
Une des couleurs de la lâcheté est la certitude qu’on a d’avance de la
capitulation ; cette certitude est un comble de crainte de soi ; aussi elle se connaît par les mêmes signes que la
lâcheté elle - même.
LE JUGEMENT, L’IDÉE
PENSER.
— C’est peser ce qui vient à l’esprit, suspendre son jugement, se contrôler soi - même et ne pas se
complaire.
Penser c’est passer d’une idée à tout ce qui s’y oppose, de façon à accorder toutes les pensées à
l’actuelle pensée.
C’est donc un refus de la pensée naturelle, et, profondément, un refus de la nature, qui en effet
n’est pas juge des pensées.
Penser c’est donc juger que tout n’est pas bien en nous comme il se présente : c’est un
long travail et une paix préalable.
ABSTRACTION.
— C’est une simplification, en présence de l’objet concret infiniment complexe et
perpétuellement changeant, simplification qui nous est imposée soit par les nécessités de l’action, soit par les
exigences de l’entendement, et qui consiste à considérer un élément de l’objet comme isolé, alors que rien n’est
isolable, et comme constant, alors que rien n’est en repos.
UNIVERSALITÉ.
— Caractère de ce qui est admis par tous les hommes, dès qu’ils ont compris et qu’ils sont
sans passion.
La géométrie est un exemple d’universalité.
Il est universellement reconnu aussi qu’un contrat est
annulé par l’ignorance d’un des contractants comparé à l’autre.
Universellement l’homme courageux est estimé ;
courageux, c’est - à - dire tel que le danger ne le détourne point d’exécuter ce qu’il a résolu.
L’universalité s’entend
du sentiment non moins que de la raison.
Le beau, dit Kant, est ce qui plaît universellement sans concept
(c’est - à - dire par sentiment immédiat, non par raison).
PHILOSOPHIE.
— C’est une disposition de l’âme qui d’abord se met en garde contre les déceptions et
humiliations, par la considération de la vanité de presque tous les biens et de presque tous les désirs.
Le philosophe
vise à n’éprouver que ce qui est naturel et sans mensonge à soi.
Son défaut est un penchant à blâmer, et une
prédilection pour le doute.
LA VÉRITÉ
PRÉJUGÉ.
— Ce qui est jugé d’avance, c’est - à - dire avant qu’on se soit instruit.
Le préjugé fait qu’on
s’instruit mal.
Le préjugé peut venir des passions ; la haine aime à préjuger mal ; il peut venir de l’orgueil, qui
conseille de ne point changer d’avis ; ou bien de la coutume qui ramène toujours aux anciennes formules ; ou bien
de la paresse, qui n’aime point chercher ni examiner.
Mais le principal appui du préjugé est d’idée juste d’après
laquelle il n’est point de vérité qui subsiste sans serment à soi ; d’où l’on vient à considérer toute opinion nouvelle
comme une manœuvre contre l’esprit.
Le préjugé ainsi appuyé sur de nobles passions, c’est le fanatisme.
- 2 -.
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