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« Agir selon sa pensée est ce qu'il y a au monde de plus difficile. » Expliquez et commentez cette pensée de Goethe. ?

Publié le 04/04/2009

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En formulant que « l'enfer est pavé de bonnes intentions «, la sagesse populaire a souligné les difficultés auxquelles se heurte l'homme dès qu'il entreprend de réaliser ce qu'il a conçu. Entre la pensée et l'action s'ouvre un abîme qu'il n'est pas facile de franchir; les philosophes l'ont démontré par de subtiles analyses, les dramaturges les plus anciens l'ont illustré par des mythes dont le plus tragique reste celui d'OEdipe. Que de « je voudrais... « accompagnés de « je ne puis «. Que de « j'aurais bien voulu, mais je n'ai pas pu «. On pense à ce travers de la nature humaine lorsqu'on lit cet aphorisme de Goethe : « Agir selon sa pensée est ce qu'il y a au monde de plus difficile. « Non seulement on y pense, mais on se trouve amené à y voir un vice fondamental de notre merveilleuse machine; ce qui apparaissait d'abord comme banal prend une importance capitale quand, auprès de Perrette, il faut placer OEdipe ou Icare et tous ceux qui ne purent être Viala ou Jeanne d'Arc. Aux garçons qui cherchent l'héroïsme, une porte étroite s'ouvre; des visages un peu falots sortent du grand livre de l'Histoire et s'illuminent, appelant au plus profond respect. Mais, avant de nous agenouiller devant ces milliers de héros, de saints, de martyrs et d'anonymes qui surent et purent agir selon leur pensée, voyons pourquoi il est si difficile à tout un chacun de les imiter.

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« La volonté collective oppose d'ailleurs parfois sa terrible puissance à notre désir.

Celui qui pense le vrai ou le juste dans l'hérésie en fait l'expérience.

Aussi bien Socrate quand il affronte ses juges que Galilée quand il s'inclinemomentanément devant les siens, que Blandine quand elle fait face aux lions dans l'arène; aussi bien Robespierre le9 thermidor que Jeanne d'Arc au cours de son procès et les communards de 1871 devant l'armée de répressiontriomphante.

Il n'est vraiment pas facile d'agir selon sa pensée lorsque, comme à Socrate, elle vous fait aimer uneconception du juste et du sacré contraire à celle de la cité; lorsqu'elle vous offre, comme à Galilée, une image duvrai interdite par la communauté religieuse; lorsqu'elle vous fait souhaiter, comme à Babeuf, une organisationpolitique différente de celle qui vous impose sa loi.

Les martyrs, les révolutionnaires, les « résistants », les séditieuxet même les criminels « endurcis » — ceux qui « savent ce qu'ils font » et n'appellent pas le pardon de l'évangile —ont pu méditer ce fait sans connaître la phrase de Goethe; et les bourreaux aussi.

Le pain sec et l'eau du captif, lecachot, la torture, les châtiments de toute espèce furent imaginés pour empêcher l'homme — en des circonstancesque la morale approuve, tolère ou blâme — d'agir selon sa pensée, pour le forcer à agir selon la pensée commune,inscrite dans la loi civile, la loi religieuse, la loi morale ou simplement la loi du plus fort.

Il suffit de si peu de chosepour détourner l'action de la voie où la pensée l'engage puisque celle-ci trouve, dans l'individu lui-même, desobstacles à son aboutissement.

Soi-même enfin : voilà le plus efficace des obstacles, indéfiniment rebâti et toujours orienté à la traverse quand on a cru pouvoir le contourner.

« L'homme, a écrit Gabriel Tarde, est un être social greffé sur un être vital »; et cet «être vital » ne veut pas qu'on le prive de la moindre provende.

Or, agir pour autrui, lorsque la pensée l'exige, agirpour l'idéal intellectuel, moral, religieux ou politique, — c'est se priver, c'est aller contre son instinct deconservation, contre ses appétits.

Agir selon son « devoir », quelle qu'en soit la justification, c'est aller contre sespassions, notamment la passion amoureuse qui se regimbe si fort quand on la contrarie.

Phèdre en sait quelquechose : elle a beau se soumettre à son devoir conjugal, s'enfermer dans sa chambre et se refuser à l'éblouissementdu jour, il lui faut pâlir et rougir devant Hippolyte.

Alceste a beau concevoir une société fondée sur la sincérité, il luifaut la séduction du mensonge personnifié par le plus perfide mais aussi le plus charmant sourire.

Et que d'autrescauses intimes de notre impuissance à réaliser nos plus beaux desseins! Nous avons peur d'engager le fer avec pluspuissant que nous, nous craignons d'en pâtir dans notre chair, dans notre situation professionnelle, dans laconsidération dont nous sommes entourés.

Nous aimons la paix, le calme, l'insouciance; la moindre action troubleraitcette aimable torpeur où nous nous complaisons.

A quoi bon intervenir dans la bataille politique I laissons les autresfaire ce que nous souhaitons, il s'en trouvera toujours pour s'engager à notre place et en pâtir.

A quoi bontémoigner dans ce procès, puisqu'il faudrait s'opposer à l'opinion des puissants! Pour vivre heureux, vivons cachés.Durant la dernière guerre, combien de Résistants, avant de se faire les soldats de l'armée secrète, se sontinterrogés pour savoir s'ils auraient le courage d'aller jusqu'au bout? Combien se sont effondrés devant la torture etmême à la seule idée d'une torture possible? Une « bonne » pensée est vite conçue.

Mais il faut parfois toute unevie pour la réaliser; il faut parfois même donner sa vie immédiatement, sans retour, l'échanger contre une valeur plushaute disait Saint-Exupéry.

Conclusion. Souvent, les difficultés devant lesquelles on recule ne se découvrent qu'après coup, au fur et à mesure de l'action; on ne les avait pas prévues, et voilà bien la cause de tout le mal.

Il faudrait ne s'engager dansl'action qu'après avoir mûrement réfléchi.

Avec Jean-Paul Sartre, on dira peut-être que « la délibération volontaireest toujours truquée »; lorsqu'elle intervient, la décision était déjà prise au fond de nous-même, nous cherchonsseulement à la justifier, avec plus ou moins de bonne foi, selon le degré de notre clairvoyance, de notreentraînement à l'introspection.

On conviendra pourtant que la délibération d'un Rodrigue, telle que Corneille nous laprésente, n'est pas une simple justification de l'action préalablement choisie dans le secret de la subconscience; leshéros cornéliens sont trop conscients d'eux-mêmes pour se livrer à ces roueries obscures.

Des âmes faibles, dontl'esprit est souvent confus, brouillon, on ne saurait évidemment attendre une délibération véritable; et, il faut bien lereconnaître, on ne nous présente guère que des âmes de cette espèce depuis Racine et les Romantiques; depuisBergson, philosophes, psychologues et psychanalystes nous affirment que ces âmes sont les seules vraies et queDescartes et Corneille avaient pris leurs désirs pour des réalités; par souplesse d'esprit, on amenuise jusqu'à lesréduire à rien la part de la volonté et celle de la raison dans l'acte accompli.

Mais ne connaissons-nous pas despersonnes assez maîtresses d'elles-mêmes pour accomplir ce qu'elles ont conçu? ne sentons-nous pas en nous-même ce pouvoir sans lequel nous ne serions plus que des bouchons sur l'eau? Seulement, il ne suffit pas deconcevoir un souhait, il faut déterminer avec précision l'objectif et les moyens de l'atteindre.

William Jamesconseillait de s'entraîner à « maintenir vivante en soi la faculté de l'effort en la soumettant chaque jour à un petitexercice sans profit ».

Ainsi s'entraîne-t-on à la possibilité de réaliser ce qu'on a conçu.

Si contraire qu'elle soit à laveulerie où s'abandonnent les héros du roman depuis plusieurs décades, il y a là une habitude à prendre.

On a pudire que le génie « est une idée de jeunesse réalisée dans l'âge mûr ».

Sans prétendre faire oeuvre géniale, nouspouvons ambitionner de devenir d'honnêtes gens, des êtres authentiques et non des marionnettes; encore faudrait-il faire le nécessaire pour y parvenir.. »

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