Agir librement est-ce agir plaisamment ?
Publié le 18/06/2012
Extrait du document
...
«
2.
Être libre, est-ce plaisant? _________ _
Le fardeau de la liberté
• Penser qu'être libre, c'est faire ce qui plaît, conduit
à passer sous silence la volonté, souvent inavouée, de
renoncer à l'exercice d'une liberté difficile.
Dostoïevski
fait dire au Grand Inquisiteur que «L'éternelle inquiétude
de l'humanité- individus et collectivité- [est de] savoir:
"Devant qui s'incliner" car il n'y a pas pour l'homme,
demeuré libre, de souci plus constant, plus cuisant, que
de chercher un être devant qui s'incliner» (Les Frères
Karamazov, L.
V, 57).
Dostoïevski parle de «ce fardeau
terrible : la liberté de choisir».
• Ne préfère-t-on pas aisément à une liberté qui pèse la
dépendance à autrui, si son poids est moindre? Ce
n'est pas toujours la liberté que l'on recherche, mais on
fuit «l'inquiétude» que suscite la prise de responsabilités.
E.
Kant note qu'« il est aisé d'être mineur.
Si j'ai un livre
qui me tient lieu d'entendement, un directeur qui me
tient lieu de conscience, un médecin qui me dicte mon
régime ...
, je n'ai vraiment pas besoin de me donner de
peine moi-même» (Réponse à la question: Qu'est-ce que
les Lumières ?).
• Mais est-il cependant possible de se décharger du far
deau de la liberté? Sommes-nous libres d'être ou de ne
pas être libres?
Renoncer à sa liberté est impossible
• J.-P.
Sartre ne nie pas que l'homme, être libre, puisse
chercher à se défaire de sa liberté.
En effet, la conscience
de sa liberté s'effectue nécessairement dans l'angoisse et
nous préférons naturellement fuir cette inquiétude par des
conduites de mauvaise foi.
Nous tentons de nous enfer
mer dans une définition, une essence, une passion qui
nous affranchiraient de notre inquiétante liberté.
• Mais «pour la réalité humaine, être c'est se choisir».
Par conséquent, «je suis condamné à exister toujours par
delà mon essence [ ...
] : je suis condamné à.
être libre».
L'homme découvre qu'il est «jeté dans une responsabilité
qui se retourne jusque sur son délaissement».
Il ne peut
se libérer de sa liberté, quand bien même il s'y efforce
rait : «la liberté est liberté de choisir, mais non liberté de
ne pas choisir.
Ne pas choisir, en effet, c'est choisir de
ne pas choisir (L'Être et le néant, coll.
Tel, p.
495).
• Ce serait donc toujours librement qu'on «renoncerait»
à sa liberté : on n'y renonce jamais réellement.
Simple
ment, on n'assume pas toujours sa condition, on vit dans
l'inauthenticité.
Si l'on s'abandonne à ce qui plaît ou à ce
qui ne trouble pas, il faut savoir qu'on l'a choisi, et qu'on
aurait pu choisir de résister au lieu de s'abandonner.
Une
conscience libre est une conscience volontaire qui exerce
nécessairement son pouvoir, même lorsqu'elle se pense
déterminée par ce qui l'attire.
Si nous faisons ce qui plaît,
nous en sommes responsables.
Conclusion, _______________ _
• Faire ce qui plaît n'est pas nécessairement être libre.
Inversement, l'exercice de la liberté peut être si lourd
qu'on cherche à s'en décharger.
Il ne faudrait pas en
déduire qu'on n'est libre qu'en faisant que ce qui nous
déplaît.
Agir librement, ce n'est pas toujours faire ce qui
plaît; mais faire ce qu'on a décidé de faire pour accom
plir son humanité peut développer ce sentiment de plaisir
qui accompagne et couronne l'activité qui se déploie.
Aristote dit qu'il y a un plaisir qui achève l'acte, «comme
une sorte de fin survenue par surcroît, de même qu'aux
hommes dans la force de l'âge vient s'ajouter la fleur de
la jeunesse» (Éthique à Nicomaque, X, 4, 117 4 b).
~ Citation
«Il n'est pas croyable comme le peuple, dès lors qu'il
est assujetti, tombe si soudain en un tel et si profond
oubli de la franchise [liberté] qu'il n'est pas possible
qu'il se réveille pour la ravoir, servant si franchement
et tant volontiers qu'on dirait, à le voir, qu'il a non pas
perdu sa liberté, mais gagné sa servitude.
Il est vrai
qu'au commencement, on sert contraint et vaincu par
la force, mais ceux qui viennent après servent sans
regret et font volontiers ce que leurs devanciers
avaient fait par contrainte.»
Etienne de la Boétie, Discours sur la servitude
volontaire, ou Contre-Un, publié en 1571.
Indications de lecture
• Platon, Gorgias, trad.
M.
Canto, G.
F.
• E.
Kant, Réponse à la question : Qu'est-ce que les
Lumières ?, in La Philosophie de l'histoire, 1784, trad.
Piobetta, Médiation Denoël.
• J.-P.
Sartre, L'Existentialisme est un humanisme,
Nagel.
67.
»
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