A-t-on le devoir d'aimer autrui ?
Publié le 27/01/2004
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L'amour comme devoir : la reconquête de soi par-delà l'épreuve de l'offense Le refus du pardon et l'affirmation de soi m'enferment dans le souvenir de l'offense. Une part de moi-même est volée dans l'offense non pardonnée. Il y aurait donc une sorte d'impasse, et dont l'amour serait la solution, à nourrir sa rancune pour rester soi. La joie mauvaise de la vengeance, la passion de la tristesse me place ainsi dans le souvenir insultant de l'autre et dans sa dépendance.Le devoir d'aimer apparaît alors comme un chemin de libération par-delà l'illusion de l'affirmation de moi que me donne ma rancune.
Dieu commande aux hommes de s'aimer les uns les autres. Mais, la notion de devoir fait appel à celle de volonté morale. Comme je ne peux pas commander un sentiment tel que l'amour, il apparaît très évidemment que le devoir d'aimer est un pur non-sens. L'amour est un sentiment qui ne peut pas naître de la volonté même si la volonté peut le contrôler. aimer indifféremment tous les hommes est une exigence contraire à la nature humaine.
«
III.
LE DEVOIR D'AIMER AUTRUI: éthique et liberté
Le devoir définit ici moins un impératif abstrait qu'une puissance propre.
Je suis libre, non d'aimer (en ce sens, ledevoir me contraint au-delà de la résistance de mes penchants) mais pour aimer.
L'amour est la destination, de cepoint de vue, de ma liberté.
Je puis adhérer en effet en toutes circonstances au bien réel d'autrui, quel que soit soncomportement vis-à-vis de moi.Ma liberté se place au-delà des agressions subies, elle veut dire qu'il n'y a pas de fatalité à la haine ni à latransmission du mal.
La liberté s'accomplit dans le devoir d'aimer, n'étant l'otage de l'offense de personne.
C'est sur le terrain non pas d'une philosophie de la politesse mais d'une philosophie du don (le pardon) qu'autruicomme tel est rencontré.Le prochain est celui qui invente cette relation de proximité.
La rencontre de l'autre, je la crée dans ma dispositiongénéreuse.
Pourquoi autrui est-il comme tel rencontré davantage dans l'amour et le pardon plus que dans l'offenseou la rancune, par exemple ?Les incompréhensions, nées de nos diversités irréductibles, sont telles qu'autrui n'est jamais vu authentiquement cequ'il est à nos yeux.
Il ne peut être réévalué dans et par le crédit qu'on lui porte.
Créditer autrui de son devenirmeilleur, de sa capacité à être autre qu'il n'a su être est le sens même du devoir d'aimer, ce que Descartes désignaitjustement sous les traits de la vertu de générosité.
Aimer n'est donc pas prendre possession d'autrui, ni à l'inverses'en éloigner mais le renvoyer au crédit dont sa liberté est faite de se vouloir toujours meilleur.
Un tel crédit nesaurait être attendu de la seule sentimentalité, mais exigé à la façon d'un commandement ou d'un devoir,m'imposant de retrouver autrui au-delà de ma façon de juger.
Si je parviens à aimer autrui en n'obéissant plus passivement à ce que me suggère ma spontanéité, j'accomplis mondevoir, qui s'affirme en même temps comme universel, puisque l'amour réciproque d'autrui ne peut déterminer aucunecontradiction, et que les conduites de l'humanité s'harmonisent alors sans problème : à l'hostilité ou à la haine vientse substituer une relation positive.
De la sorte, affirmer l'amour comme devoir, c'est participer à l'élaboration del'humanité comme totalité.
On peut bien entendu juger un tel projet parfaitement irréaliste, et le condamner par un simple rappel d'événementshistoriques qui le contredisent brutalement.
Mais la constitution de cette attitude morale suppose que, malgré ledémenti des faits, je maintienne le pari de l'humanité comme au moins possible, indépendamment des obstacles quesa constitution peut rencontrer.
À la source de ces obstacles se trouvent d'ailleurs beaucoup plus les exigences dela société que la morale individuelle ; or, l'exigence morale, si on la prend au sérieux, me demande de viser, non lesintérêts de telle ou telle société, mais bien ceux de l'humanité dans son ensemble.
Peut-être est-ce toutefois en faisant le détour par la personne singulière — et donc en retrouvant sa dimensionintersubjective, même si elle demeure a-sentimentale — que le devoir d'amour trouve à la fois son efficacité et saréalité la plus affirmée : indépendamment de toute
considération sociale, n'est-ce pas dans le « face-à-face » tel que le définit Levinas que la dimension de l'amourcomme devoir se manifeste le plus clairement et immédiatement ? S'il est vrai qu'autrui m'est toujours étranger, ausens où il est précisément ce que moi, je ne suis pas, alors mon frère ou mon père m'est aussi étranger qu'unAborigène d'Australie ou un Papou : ils manifestent, les uns comme les autres, des présences qui ne sont pas lamienne.
C'est alors, on le sait, que peuvent naître des réactions de méfiance ou d'hostilité.
Sauf, considèreEmmanuel Levinas, si je perçois la signification immédiatement éthique du visage de l'autre : regarder ce dernier,être en particulier attentif à ce qu'indique son regard, c'est y lire ou y deviner la loi : « Tu ne tueras pas », qui peutêtre considérée comme la formulation complémentaire de l'amour comme devoir.
« Je pense plutôt que l'accès au visage est d'emblée éthique.
C'est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les décrire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet.
Lameilleure manière de rencontrer autrui, c'est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observela couleur des yeux, on n'est pas en relation sociale avec autrui.
La relation avec le visage peut certes être dominéepar la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c'est ce qui ne s'y réduit pas.
Il y a d'abord la droiture même du visage, son expression droite, sans défense.
La peau du visage est cellequi reste la plus nue, la plus dénuée.
La plus nue, bien que d'une nudité décente.
La plus dénuée aussi: il y a dansle visage une pauvreté essentielle.
La preuve en est qu'on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant desposes, une contenance.
Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence.
En même tempsle visage est ce qui nous interdit de tuer.
»
Lévinas , « Ethique et infini ».
Lévinas commence par opposer perception d'un objet et rencontre authentique d'autrui.
Quand je pose l'autre comme objet, je le projette sur une surface d'objectivité : il m'apparaît comme un tableau à décrire, une surface àobserver et détailler, son unité éclate en autant de petits objets à commenter (les éléments du visage sont eux-mêmes réductibles à des unités plus petites.
Ce rapport est un rapport théorique qui ne me donne pas véritablementautrui : dans un processus de connaissance, ma conscience s'assimile l'objet plutôt qu'elle ne s'ouvre à l'altérité du.
»
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