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A quoi puis-je trouver un sens ?

Publié le 16/12/2009

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Il faut, pour interpréter le monde, postuler qu’il est intelligible, qu’un principe supérieur le gouverne, selon la tradition positiviste, de Platon jusqu’à  Leibniz. Il y a actuellement un courant très fort dans le cinéma américain, assez proche de cette conception : il s’agit de montrer qu’une série de hasards, de coïncidences et d’évènements sans aucun lien apparent s’imbriquent finalement pour mener, à la conclusion du film, à un évènement qui semblait préparé par tous les autres. Cette vision du monde est partagée par beaucoup d’individus : les gens superstitieux voient souvent dans la nature des signes qu’ils interprètent à leur convenance et qui, de ce fait, influent sur leurs actes futurs (qu’on songe à Romulus et Remus sur leur colline, regardant passer les oiseaux pour désigner lequel d’entre eux bâtira Rome). Ainsi, un pressentiment – ne pas prendre l’avion si on a rêvé que celui-ci s’écrasait -, s’il est appuyé par une confirmation – l’avion que l’on devait prendre a effectivement eu un accident – transforme la coïncidence en signe, c'est-à-dire en quelque chose qui permet de prévoir, de connaître.  

« l'Histoire humaine nous conduit au règne de la Raison, laquelle utilise nos passions pour nous faire agir.

La Raisondevient donc la pourvoyeuse de sens, à l'instar de l'inconscient pour les psychanalystes, de la société pour lessociologues, du corps pour les déterministes biologistes.

Cependant il ne s'agit que d'hypothèses, de théories que nous ne pouvons guère vérifier, limités que noussommes par notre condition d'être mortel.

C'est précisément en cela que notre existence diffère de l'œuvre d'art :nous ignorons s'il y a bel et bien un créateur qui nous aurait pourvu d'une finalité, aurait doté le temps d'unedirection et la Nature d'un sens caché.

Au fond, si nous cherchons une chose à laquelle nous pourrions trouver un sens plus ou moins certain, c'est encore l'œuvre d'art qui se prête le mieux à une telle analyse, puisque l'artiste l'investit toujours d'une intention (neserait-ce que celle de la créer, pour les œuvres que nous qualifierons de « constitutivement artistiques »).

« Il y adu spirituel dans l'art » disait Kandinsky : on peut donc, en contemplant un tableau, rechercher le (ou les) sens del'œuvre, ce qui n'aurait pas de sens devant un paysage.

Outre le sens que l'artiste lui donne, l'œuvre peutdissimuler un autre discours, les œuvres étant dotées de leur propre inconscient.

Il y a parfois juxtaposition dessens : l'art abstrait – le surréalisme, l'absurde, l'écriture automatique – renvoie souvent à un sens caché, parfoismême pour l'artiste (qu'on pense à l'analyse que Freud a fait de l'œuvre de Leonard De Vinci en se basant sur sonenfance).

C'est avec le recul que l'artiste peut essayer de comprendre le sens qu'il a mis dans cette œuvre, et doncchercher à se comprendre lui-même. Cependant les délires interprétatifs qui accompagnent l'étude de certaines œuvres – et qui amènent parfois à des interprétations contradictoires – incitent à la vigilance.

Avec suffisamment de rhétorique, on peut faire dire àune œuvre tout et n'importe quoi, en témoignent la réappropriation des romans de Balzac, réactionnaire notoire, parles communistes. Avec un peu d'imagination on peut trouver ce qu'on veut dans une œuvre d'art, et plus largement, dans chaque phénomène qui se manifeste à notre perception.

Est-il pour autant sûr que tous ses sens se valent ? Yaurait-il une hiérarchie des sens ? Dans l'optique sophiste, où tout est relatif (au sujet, à l'époque…), je pourrai trouver un sens à tout : chacun de mes actes pourrait s'inscrire dans une dimension plus large.

C'est courant, quand on revient sur nossouvenirs, de trouver dans certains d'entre eux des signes avant-coureurs de ce que nous sommes maintenant –untel construisait des châteaux de sable enfant, le voilà architecte.

Au fond, que cela soit vrai ou non, prophétiqueou pas, est-ce réellement important, du moment qu'on ne peut le vérifier objectivement ? Le sens de la vie serait-ilcelui que je lui donne ? Le courant littéraire des naturalistes s'est très tôt interdit ce genre de réflexion, dont la portée limite toute tentative de recherche intellectuelle : si tous les sens se valent, pourquoi en chercher un plutôt qu'un autre ? Aucontraire, il faut admettre qu'une œuvre ou qu'un acte n'a pas, intrinsèquement, tous les sens qu'on pourrait luitrouver.

On ne peut à la fois vouloir la mort d'un individu et son bonheur.

La pluralité des sens trouve sa limite,semble-t-il, quand deux sens s'annulent, quand deux interprétations sont incompatibles.

Un film comme Signes (M. Night Shyamalan, 2003) ne peut être considéré à la fois comme une élégie de la foi retrouvée et comme une critiquede l'aveuglement des religieux.

L'œuvre en question nous intéresse d'autant plus qu'elle évoque le dangerd'interpréter les phénomènes que nous croyons être des « signes », dans le sens où ces interprétations peuventnous induire en erreur et nous amener à commettre l'irréparable. Certaines lectures d'œuvres s'annulent, d'autres semblent se subordonner.

Même si une hiérarchie des sens semble difficilement concevable, certains livres offrent des lectures plus apparentes, d'autres thèmes ne sontqu'évoqués en surface par l'auteur, de même qu'on distingue une lecture apparente d'un rêve et une lecture plus enprofondeur, sans pour autant qu'un sens l'emporte sur l'autre. De même, il semble que certaines choses résistent à cette quête du sens, de par leur caractère contingent. Si le hasard existe, alors il pose les limites de la quête de sens : ce qui est totalement fortuit, accidentel,« absolument non intentionnel » ne peut être interprété.

Ou alors le sens que nous y trouverons viendra de nous, ilne sera pas lié à cette chose mais n'existera qu'à travers nous, à travers la valeur que nous donnons à cette chose.Sa validité sera donc entièrement subjective, c'est-à-dire objectivement sans intérêt.

Quand Proust parle du bonheur de quitter le monde du roman, où le sens est partout, dans chaque ligne,dans chaque évènement, où « tout est écrit », pour retrouver un monde sans sens, une « obscurité sans cause »(Du côté de chez Swann ), il s'agit ni plus ni moins que de montrer que notre existence n'a rien à voir avec celles des héros de romans dont les aventures ont souvent une valeur symbolique, édifiante.

Car au fond, qu'est-ce qui nousgarantit que la vie ait un sens ? On peut en effet imaginer qu'il n'y ait ni sens ni finalité, que tout soit hasards etcoïncidences, causes et effets.

De nombreux anthropologues avancent que l'homme serait né d'un accident, et quele fait que nous soyons doté d'une raison résulterait d'un pur hasard : nous n'aurions aucun destin à accomplir, et la. »

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