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A la fin de son ouvrage, La Préciosité et les précieux, de Thibaut de Champagne à J. Giraudoux, René Bray, cherchant à définir une « éthique de la préciosité », note (page 395) : « Ne pourrait-on dire que, dans la préciosité, le poète, au fond, est toujours seul devant soi ? Qu'il quête ou non l'applaudissement, il cherche d'abord sa propre approbation. Se distinguer des autres, c'est se donner du prix à soi et pour soi : le juge suprême, c'est toujours soi. La préciosité est une « dan

Publié le 05/04/2009

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En général l'attitude littéraire exprime une volonté de communication avec les autres hommes: écrire, c'est avant tout, semble-t-il, proposer ses idées au jugement d'autrui, à son approbation. Telle  est essentiellement la position de l'écrivain classique, celui-ci allant même jusqu'à considérer qu'un ouvrage n'a de prix qu'après avoir été approuvé par de nombreuses générations de lecteurs. « Je laisse et aux lecteurs et au temps à décider de son véritable prix «. dit Racine en parlant de sa tragédie de Phèdre. Il ne semble pas que sur ce point romantiques, réalistes, parnassiens aient une position très différente. Malgré sa tendance à se considérer parfois comme un génie méconnu, le romantique veut ardemment parler aux hommes, délivrer « un message « : Hugo par exemple, prend le théâtre pour une tribune et pour une chaire, et il cherche à emporter la conviction. Or un critique de la première moitié du XXe siècle, R. Bray. connu pour ses travaux sur le XVIIe siècle, nous suggère que, dans la littérature, feraient peut-être exception à cette volonté de communication la préciosité et les précieux : le précieux serait l'écrivain « seul devant soi. cherchant sa propre approbation «. Sans doute veut-il « se distinguer des autres «, ce qui implique au moins l'existence des autres, mais ce n'est pas à ces « autres « qu'il remet en dernière analyse le droit de juger de son succès ou de son échec : « Le juge suprême, c'est toujours soi, la préciosité est une « danse devant le miroir. « Cette solitude ne donne du reste pas le bonheur au précieux. Son « attitude est désespérée «. elle n'est jamais « vraiment optimiste «. Jugement brillant et qui renverse bien des notions acquises : une pointe de paradoxe n'est pas exclue. Mais, par-delà, ne sommes-nous pas conduits à l'essentiel de la préciosité, à cet univers artificiel dont seul le précieux a la clef, force et faiblesse à la fois de l'attitude précieuse?

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« volonté gratuite de construire un univers tout personnel où il s'émerveillera de tout ce qu'il tirera de lui. 1 L'esprit brillant et gratuit d'un groupe.

En effet, le précieux a beau être lié à la vie mondaine, amoureuse,intellectuelle d'un groupe, il ne désire pas étendre ce groupe, il n'en fait pas le symbole de l'universalité des hommesdestinés à connaître et à apprécier son œuvre.

On peut même affirmer qu'il vise à le réduire (il est difficile d'êtreadmis à l'Hôtel de Rambouillet ou d'être présenté chez les Verdurin et chez les Guermantes), car ce qu'il faut, c'estmoins transmettre un message à tous les individus que préserver l'esprit du Cénacle, « l'âme du rond », comme ondisait à propos de Voiture.

Aussi la préciosité se défie-t-elle des cercles trop grands, se développe-t-elle plusaisément dans les Salons ou les « ruelles » qu'à la Cour (cette dernière, plus large et plus humaine, aboutira plutôt àl'idéal de « l'honnêteté » qu'à la préciosité).

Le précieux ne fait pas de prosélytisme et même, en un certain sens, nese soucie pas de plaire; ou plus exactement au classique: « Instruire et plaire », il répondra : « Amuser par un jeugratuit le groupe dont je fais partie, qui me représente, qui est en quelque sorte moi.

» Au fond, l'idéal, ce seraitd'être tout seul: le groupe, c'est ce minimum indispensable pour permettre le jeu gratuit de l'esprit.

La conversationamoureuse et galante réduit encore ce minimum à un simple « miroir » devant lequel peut « danser » un espritsolitaire. 2 Un univers artificiel dont un seul a la clef.

Ce qui importe en effet au précieux, c'est peut-être moins de regarderson partenaire que de l'introduire, s'il en est digne, dans un univers à la fois coupé du réel et imité de celui-ci(l'œuvre de Giraudoux est tout à fait caractéristique à cet égard), un univers artificiel et fantaisiste dont il a seul lesclefs pour faire fonctionner la machinerie féerique.

Ainsi s'explique l'importance des rapprochements inattendus dansle langage précieux.

Rien de plus instructif a cet égard que la question de la comparaison : chez un classique elleest une explication et une peinture, chez un romantique elle est un élargissement, chez un baroque un ornement,mais chez un précieux elle est un brusque rapport, inattendu, saugrenu pour celui qui n'est pas initie et elle n'a sonsens que dans l'univers de l'auteur précieux.

Par exemple, quand un précieux appelle un violon « l'âme des pieds »(cf.

Les Précieuses ridicules), il ne cherche ni à nous expliquer ce que c'est qu'un violon (comparaison didactique) nià nous faire rêver sur un violon (comparaison poétique) ni même à orner son style (comparaison ornementale), ilnous suggère en réalité un univers curieux où le violon parle avec tendresse aux pieds dont il assure le rythme dansla danse et où ces mêmes pieds, partie utilitaire et un peu comique du corps, prennent une âme, donc des penséeset un langage, ce langage des pieds que précisément parle le violon.

De même quand Giraudoux écrit dans sesProvinciales : » C'était un petit ruisseau, amoureux de son eau, et qui courait après elle, murmurant des noms », onne peut dire qu'il peigne le ruisseau ou qu'il le rende plus poétique et plus concret: il nous introduit dans un universsubtil où l'amour, l'eau courante, les vaines poursuites et les vaines tendresses se marient étrangement.

Ainsi lacomparaison sera-t-elle souvent plus bizarre et plus obscure que ce qu'il s'agit de faire entendre, car, à vrai dire,elle n'est pas un artifice explicatif, mais la logique d'un autre monde dont seul un esprit (ou un groupe représentantcet esprit) connaît les secrets.

Littérairement parlant, la préciosité ne pourra donc se concilier qu'avec les genresqui ne baignent pas dans l'univers de tous les hommes: on imagine difficilement une préciosité épique: en revanche,elle se plaît dans les petits genres de la poésie lyrique, où le poète peut créer son univers et déployer ses jeuxd'esprit. 3 Une mystification orgueilleuse et consciente.

En effet, il ne faut pas oublier que l'univers du précieux ne dépassepas, malgré tout, le stade du jeu d'esprit et n'a rien de métaphysique.

Rimbaud n'est pas précieux.

Le précieux n'estjamais en transes devant les révélations d'un monde surnaturel, il n'ignore pas qu'il nous mystifie avec un sourirequand il nous introduit dans son univers de fantaisie.

Mais cette conscience d'un univers qu'il crée gratuitementaugmente encore sa solitude.

Le symboliste véritable, s'il aspire à un monde supérieur, espère échapper à la solitudeen trouvant une mystérieuse présence, Dieu, l'Idéal, l'Absolu.Il n'est pas désespéré, alors que le précieux est le premier à savoir qu'il joue un jeu, à connaître ses limites, à seregarder lui-même dans sa création d'un monde artificiel.

Il n'a aucune confiance dans les forces évocatrices de lalittérature, il est sceptique à l'égard de ce qu'il écrit.

Ce n'est guère qu'à son propre égard, à l'égard de son talent,de son brillant qu'il échappe au scepticisme: seule l'admiration de soi (« nul n'aura de l'esprit hors nous et nos amis») le sauve du désespoir.Ainsi, ne voulant reconnaître ni un public (au sens large du mot) qu'il méprise ni une réalité supérieure à laquelle il necroit pas, le précieux n'a d'autres ressources que de jouer avec lui-même et d'admirer le joueur. III Les ambiguïtés de la solitude précieuse Mais, dira-t-on, si le précieux joue, il ne fait de mal à personne, le jeu est innocent et chacun s'amuse comme ilpeut.

En réalité son attitude présente certaines difficultés, parce que sa solitude n'est pas seulement unamusement, elle est un peu aussi une mauvaise foi.

Le précieux est-il vraiment aussi solitaire, aussi indépendantd'un publie qu'il le croit? La préciosité ne porte-t-elle pas en elle sa propre mort? 1 Préciosité et bienséance.

Du fait qu'elle est jeu.

la préciosité exige tout au moins des arbitres.

C'est là unepremière difficulté.

Le précieux n'est pas absolument libre de se donner du prix comme il veut.

Sa fantaisie n'est pasillimitée.

Sans doute n'admet-il pas d'être jugé par l'ensemble des hommes et on peut même aller jusqu'à penser quel'échec aux yeux de la postérité lui est indifférent.

Mais il tient à rester dans la norme du bon goût, dans la "limitedes bienséances.

Le groupe auquel il s'intègre n'est pas absolument une représentation de son propre esprit : s'ilchoque le bon goût de ce groupe, il n'est plus un précieux.

Sa solitude est donc celle de l'acteur devant un théâtre:il s'attribue du prix, mais peut être sifflé.

Ainsi une certaine soumission à ce que demande le groupe va le limiter: s'ilne veut pas être un extravagant et un isolé, s'il accepte le règne du bon goût et des bienséances, il est tout prèsde n'être plus précieux, il est au seuil du classicisme! Cela signifie que la préciosité porte en elle-même un. »

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