I. Introduction (mise en relief et scandée selon ses différentes étapes logiques) [Etape 1 : amorce du texte par l'explicitation précise de son présupposé logique telle que la première phrase de l'extrait en délivre le sens] Présence de soi à soi, la conscience ne désigne pas seulement la connaissance « immédiate » qu'a l'homme de ses pensées, de ses actes et de ses sentiments mais le pouvoir réflexif qu’a notre esprit de se penser, de se représenter non seulement quelque chose, le monde, ses objets et ses situations mais lui-même en tant qu'il en a conscience. La conscience, en l'homme, est ce mouvement de retour sur soi et d' « éveil à soi » de l’esprit par lequel la conscience se prend elle-même comme objet de sa propre conscience et qui, par cet acte en un sens inaugural, le fait exister à distance et en retrait du monde extérieur et de la nature, par la représentation (le spectacle, le double mental, le redoublement de la présence) qu'il s'en donne (voir la fameuse pensée de Pascal « par l'espace, l'univers me comprend ; par la pensée, je le comprends »), c’est-àdire en tant que sujet autonome (cf. liberté) et personne morale, distinct de tout objet car maître de soi et capable, grâce au pouvoir qu’il a sur son esprit, de se juger soi-même. Alain dans ses Définitions souligne cette essence fondamentale de la conscience humaine d'être indissolublement conscience de soi et conscience morale : « la conscience est le savoir revenant sur lui-même et prenant pour centre la personne humaine elle-même, qui se met en demeure de décider et de se juger ». La conscience humaine, en effet, se double toujours de la conscience d’elle-même. L'étymologie même du mot cum-scientia en latin qui signifie « accompagné de savoir » ou « avec savoir » en exprime l'idée. Sa caractéristique essentielle est d'être réfléchie. On peut citer encore Alain à l'appui : « la conscience suppose réflexion, division. La conscience n'est jamais immédiate. Je pense, et puis je pense que je pense, par quoi je distingue le Sujet et l'Objet, moi et le monde. Moi et ma sensation. Moi et mon sentiment. Moi et mon idée » (Manuscrits inédits). C’est cette réflexivité, cette perception ou cette connaissance au carré qui permet à l'homme d’être un soi, un « self » comme le dit Locke dans l’Essai sur l’entendement humain, c’est-à-dire de se définir comme un sujet, un je doté d’une identité personnelle , c'est-à-dire d'une unité et d'une permanence ontologique dans le temps mais aussi d'une unicité ou d'une singularité (identité non seulement numérique, quantitative mais qualitative). [Etape 2 : explicitation des implications logiques du présupposé telles qu'elles découlent de son analyse conceptuelle approfondie] D'où l'idée selon laquelle la conscience de soi serait ipso facto une connaissance de soi et la thèse philosophique majeure du cogito (« je pense donc je suis », Discours de la méthdode) défendue par Descartes qui affirme tout à la fois l'identité de l'être et de la conscience ( je suis et ne suis que ce que j'ai conscience d'être parce que c'est la conscience réfléchie – que j'ai de moi-même comme conscience réfléchissante – qui fonde, avec une certitude indubitable, l'existence et l'essence de ma subjectivité : je sais non seulement que j'existe mais que j'existe comme un je substantiel dont toute la réalité ou l'essence est de penser par cela seul que je pense et que, pensant, doutant, je me pense et ne peux me penser que comme existant et pensant) et l'identité de la pensée et de la conscience : « par le mot de penser, j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-même » affirme Descartes, Principes de la philosophie, I, 9). [Etape 3 : explicitation des conséquences et des enjeux philosophiques du présupposé] D’où aussi et surtout le refus rationaliste d’admettre l’existence d’une pensée inconsciente. Dès lors, en effet, qu’on affirme que rien ne peut être présent à notre esprit sans qu’il en soit nécessairement conscient, ce qui est inconscient ne peut être attribué qu’au corps et à ses mécanismes involontaires, une pensée inconsciente devient logiquement impensable. [Etape 4 : Mise en crise du présupposé par l'explicitation des difficultés qu'il soulève et des objections critiques qu'on peut, à l'analyse, légitimement lui faire, autrement dit, travail de problématisation ] Pourtant, force est de reconnaître l'existence chez l'homme d'actes inconscients et néanmoins signifiants qui ne résultent pas d'une causalité organique ou physiologique mais bien psychique. Tout acte humain a une intentionnalité et un sens, se donnant comme quelque chose à comprendre et à interpréter. Or ce sens n'est pas toujours thématique et ne découle pas nécessairement d'une « donation de sens » par un acte de conscience (Sinngebung). L'observation clinique tout comme l'observation empirique la plus banale ne cessent de nous apprendre, dans la latence de certains vécus, qu'il y a un excès de sens du psychisme sur les représentations de la conscience, à partir duquel on est fondé à inférer l'existence d'un psychisme inconscient, à la fois signifiant et efficient. Qu'est-ce donc, par exemple, que le rêve sinon l'expression d'un désir inconscient, produit symbolique d'une activité psychique dont la signification, sans rapport avec de quelconques événements organiques fortuits, échappe, par définition, à la vigilance de la conscience ? Et que dire des symptômes et des troubles du comportement, des états d'anxiété, des phobies, des lubies, des tocs, des somatisations diverses mais aussi des « oublis » momentanés, des actes manqués et des lapsus qui scandent et émaillent la « psychopathologie » de la vie quotidienne comme dit Freud ? Au lieu d'être l'effet d'une liaison organique introuvable, ne sont-ils pas l'effet-signe d'une pensée inconsciente qui atteste que la vie psychique est plus riche et excède la conscience que nous en avons et qu'il y a des « forces » qui la débordent et la « travaillent » de l'intérieur ? Ainsi l'idée d' une transparence à soi de la conscience, ne va-t-elle pas de soi. Pas davantage l'idée d'une identité et d'une égalité parfaite entre la conscience et l'esprit. Faire de la conscience le fondement d'un savoir certain de soi paraît en théorie comme en pratique bien difficile. Comment pourrait-on persister à le croire sans surestimer illusoirement le pouvoir de la conscience et se faire une bien fausse idée de la nature de notre esprit et donc aussi de soi-même ? N'y a-t-il pas dans notre esprit des zones d'ombre, des terres en jachère, en déshérence ou « en souffrance » (au double sens de l'expression) que la conscience n'a jamais foulées et explorées et qui demeurent cachées à sa vue parce qu'elle n'en possède ni la carte ni le territoire ? Si l'on veut comprendre la vie psychique dans toute sa complexité sans se « raconter d'histoires » (cf. le mythe de l'intériorité. Wittgenstein, Bouveresse), ne faut-il pas alors admettre l'existence de l'inconscient ? [Etape 5 : Enoncé du problème sur un mode interrogatif et sous la forme d'une alternative] C'est fort de ce questionnement critique, motivé par sa pratique de médecin que Freud est conduit à soulever dans ce texte le problème majeur et cardinal de l'identité du sujet: le sujet est-il identique à la conscience qu'il a de soi-même, de son moi(conscient) ou est-il, au contraire, du fait de son inconscient, étranger à soi-même, divisé en lui-même et « coupé » pour ainsi dire de sa propre vérité ? La vérité du sujet nous est-elle délivrée par l'unité et la transparence à soi de la conscience réfléchie ou se dérobe-t-elle à la conscience, « logée » dans l'inconscient du sujet et dans son altérité à la conscience? Poser ce problème c'est affronter à nouveaux frais la question ontologique et anthropologique de l'essence de l'homme, « qu'estce que l'homme ? », à laquelle se ramène en dernière instance toutes les grandes questions essentielles selon Kant (Critique de la raison pure). Le choeur d'Antigone, dans la tragédie éponyme de Sophocle, déclare qu' « il y a bien des merveilles dans ce monde mais rien de plus terrifiant (effrayant) et prodigieux – deinos en grec– que l'homme ». De même, c'est en terme d'énigme et à un niveau de radicalité comparable à celui qu'on trouve chez les tragiques grecs, St Augustin ou Pascal que Freud interroge le problème du moi. A la suite de Descartes, Husserl parle du moi, de l'ego, comme d'une « évidence absolument originaire », comme d'une vérité transcendantale (qui ne dérive pas d'une connaissance empirique mais qui la précède au contraire et la rend possible). Mais cette évidence, ne recèle -t-elle pas, en réalité, un mystère insondable pour la conscience ? Car le moi est-il vraiment donné, l'objet d'une intuition originaire et d'une certitude apodictique ? Comme le temps chez St Augustin (Confessions, livre XI), le moi n'est-il pas au contraire et pour lui-même, le lieu inassignable et insaisissable d'une aporie et une terra incognita (= terre inconnue)? [Etape 6 : Justification du problème] Bien qu’en effet cela fasse violence à nos certitudes les mieux enracinées, aussi bien familières que philosophiques, ainsi qu'à notre représentation de l'homme, telle qu'elle a été façonnée et éprouvée par des siècles de rationalisme et d'humanisme, depuis le « matin grec » et l'événement Socrate, en passant par la Renaissance et l'âge classique jusqu'aux Lumières (Aufklärung en allemand) et au-delà, la position et l'examen de ce problème essentiel n'en sont pas moins légitimes. Car suis-je vraiment ce que j'ai conscience d'être ? « Je » n'est-il pas, tout au contraire, « un autre » comme le suggère profondément Rimbaud dans la lettre du Voyant ? Qui donc parle vraiment quand je dis je ? Est-ce le moi que j'ai spontanément conscience d'être ou mon inconscient qui s'exprime malgré moi ? On dit à juste titre d'un lapsus qu'il est révélateur . Mais révélateur de quoi ? Ce qu'il révèle, malgré qu'on en ait, n'est-ce pas justement le fait que je suis en moi-même et pour moi-même autre que moi-même, un étranger qui s'ignore et s'ignore d'autant plus qu'il croit « se posséder » et se connaître, du fait des forces inconscientes qui le déterminent à son insu? L'inconscient psychique n'est-il pas l'impensé de toute pensée consciente ? [Etape 7 : Enoncé de la thèse de l'auteur et explicitation de son sens] C'est pourquoi Freud défend l'hypothèse de l'inconscient psychique contre les détracteurs de la psychanalyse en montrant qu'elle est légitime et qu'elle constitue un gain de sens et de rationalité d'un point de vue épistémologique (puisqu'elle elle permet de « combler » les « blancs » et les syncopes incohérentes dans le texte perdu du psychisme en pensant l'unité des actes psychiques) et répond à ce problème, en soutenant la thèse critique que « le moi n'est pas maître dans sa propre maison » . Le moi n'est plus le principe inaliénable d'une connaissance plénière de soi et d'une autonomie du sujet mais le lieu psychique d'une hétéronomie, d’une hétérotopie et d'un assujettissement à des forces inconscientes qui le dominent et le divisent, le moi est inconnu pour lui-même, il ne coïncide plus avec « le noyau de notre être » et « l'inconscient est ce sujet inconnu, méconnu du moi » comme le dira Lacan. [Etape 8 : énoncé de l'enjeu philosophique de cette thèse et de cette critique] L'enjeu de cette thèse est considérable. Car elle ne conduit pas seulement à souligner les limites de la conscience mais à remettre en question la représentation de l’homme comme sujet autonome, libre et maître de lui-même puisqu’elle revient à affirmer que toutes les représentations conscientes du moi doivent pouvoir s'expliquer par des causes inconscientes , refoulées, qui agissent sur le moi à son insu et, donc qu'il est soumis à un déterminisme psychique (vs liberté au sens du libre-arbitre) qui fait de la subjectivité non plus un « levier » et un « point d'Archimède » (fundamentum inconcussum dit le texte latin original des Méditations métaphysiques) selon le mot de Descartes, mais un point aveugle ou un point de fuite, le lieu dysmorphique d'une faille ontologique, non plus substrat ou hupokeimenon (sur la conception philosophique traditionnelle du sujet, voir C. Romano, l'Evénement et le monde) mais simple strate ou concrétion indécise et précaire produite par les plis, les plissements, les coulées, les alluvions et les sédiments, les affaissements, les éboulements et les éruptions intempestives d'une pré-histoire pulsionnelle et naturelle, an-archique, qui pèse et qui échappe à la mémoire et à l'empire du moi parce qu'il n'en est qu'une formation dérivée, un résidu ou une survivance (Cf. Althusser, Positions) [Annonce du plan de l’explication du texte] En suivant les étapes logiques de l'argumentation freudienne, nous expliquerons ainsi, dans un premier temps, pourquoi il est impossible d'identifier la pensée à la conscience mais aussi le sujet à la conscience du fait du décalage et de la dualité qui existent entre le psychisme et la conscience, qui témoigne chez l'homme malade de l’existence au sein de l'esprit de processus inconscients (les symptômes morbides par lesquels se manifestent les conflits pulsionnels) qui échappent à la conscience non par accident mais par essence, et, donc la distance immanente qui sépare l'être réel que je suis et l'idée consciente mais tronquée que j'en ai spontanément ou même réflexivement. (l.1 à 9) ; ce qui nous conduira,dans un second temps et par voie de conséquence, à expliquer pourquoi l'inconscient n'est pas seulement au principe d'une nouvelle thérapeutique (la psychanalyse comme psycho-thérapie fondée sur le transfert et la « talking cure ») mais la clé d'intelligibilité d'une conception entièrement renouvelée de l'homme et pourquoi il s'avère nécessaire, pour obtenir une authentique connaissance de soi, de passer par la médiation psychanalytique d’une prise de conscience de son inconscient (l.9 à 12) mais nous verrons aussi, dans un troisième et dernier temps, dans quelle mesure cette entreprise de connaissance de soi ne saurait jamais être parfaite et absolue, pourquoi elle n'est jamais assurée de parvenir totalement à ses fins (échecs) et relève en ce sens d'une tâche aussi incertaine qu'indéfinie (cf. Freud, Analyse avec fin, analyse sans fin, 1937) du fait du déterminisme psychique qui « destine » le sujet à demeurer pour une part essentielle étranger à lui-même (l.13 à 16) parce que loin de se déterminer librement et souverainement par un acte d'auto-position ou d'auto-fondation réflexive (Descartes ou Fichte) à être ce qu'il est, le sujet est déterminé au contraire à être ce que son inconscient fait de lui et, donc, pourquoi il faut renoncer à la représentation d'un moi qui serait maître de son propre sujet (l.13 à 16) II. Développement de l'explication 1. Première étape argumentative (partie) du texte La critique de la transparence à soi de la conscience et la justification de l’hypothèse de l’inconscient psychique Alors que mes rapports avec les autres (autrui) sont toujours indirects, jamais simples, souvent équivoques et toujours exposés au malentendu, à l’incompréhension ou au doute puisqu’ils supposent (supposer = avoir pour condition de possibilité telle ou telle autre chose) à la fois l’extériorité spatiale et l'horizon du monde, l'espace scénique d'une société avec ses usages, ses normes et ses « cérémonies », la médiation physique, symbolique et sémiologique du corps mais aussi du langage et de la perception externe (par opposition à la conscience qui peut se définir comme une perception interne, c'est-à-dire tournée vers soi, à l’intérieur de soi), le rapport que j’ai avec moi-même, l’accès que j’ai à ma propre « vie intérieure » apparaît non seulement plus simple, immédiat mais encore d’emblée « clair et distinct ». In foro interno comme dit si bien l'expression latine, « dans mon for intérieur ». Marc-Aurèle, philosophe stoïcien de l'époque impériale en exprime l'idée dans ses Pensées pour moi-même : « propriétés de l'âme raisonnable : elle se voit, elle s'analyse, elle fait d'elle-même ce qu'elle veut, elle cueille elle-même le fruit qu'elle porte ». Je n’ai en effet nul besoin, à première vue, de sortir de moi-même (tel est du moins ce que la doxa aime spontanément à croire ou se faire accroire) pour avoir conscience de ce qui se passe dans mon esprit puisque la conscience en moi est précisément cette présence de moi à moi-même, cette aperception immédiate de moi-même grâce à laquelle je possède une connaissance intuitive de ce qui se passe en moi, de ma « vie intérieure ». C’est moi qui éprouve tel sentiment de jalousie ou de gratitude, c’est moi qui forme tel projet, c’est moi qui n'aime pas la philosophie et la pensée etc.. . Tout ce que mon esprit se représente semble être ipso facto (= par là même) conscient. On pourrait même dire que personne, à part moi, ne peut savoir ce qui se passe en moi, dans ma conscience (opposition intériorité/extériorité, altérité) . Je suis seul à pouvoir savoir exactement ce que je sens, pense ou ressens au plus profond de ma conscience. La conscience semble être synonyme intuitivement d’intériorité. D’où l’idée courante que je serais en fait comme en droit « le mieux placé pour savoir qui je suis» (NB : sujet de dissertation.) ; idée qui trouve une « caution » et une justification philosophique, dans la thèse cartésienne de l'unité et de l'identité de la pensée et la conscience mais aussi de l'être du sujet et de la conscience (= thèse cartésienne et idéaliste de l’identité de l’être et de la conscience). D’où, corrélativement, la résistance psychique que la conscience peut opposer à l’idée même d’une pensée inconsciente (obstacle conscientialiste). De fait, si l'on peut accepter d’être dans une situation de dominé dans la vie sociale (cf. analyses sociologiques de Bourdieu) selon la position qu'occupe notre milieu ou notre « classe » dans le champ social et économique, si l'on admet non moins volontiers que les événements extérieurs nous échappent, s’il nous arrive même dans l’adversité d’invoquer et de nous « plier » à la « force des choses » (cf. Zola), au « fatum » (= destin) ou à la fortune (bonne ou mauvaise), on a ,en revanche, la conviction forte d’être « souverain dans son âme » comme le rappelle Freud dans le même ouvrage : le savoir intuitif que l'on a de ses propres états de conscience tels que les désirs, volitions (= actes volontaires), souvenirs, émotions, sentiments et autres représentations ( représentation = désigne tout ce qui est présent dans et à notre esprit, tout ce qu’il se représente, donc tout contenu psychique ou mental) semble interdire l’existence même d’un inconscient psychique. Et non sans raison. La conscience humaine a, en effet, ceci de spécifique qu'elle permet au sujet conscient de savoir précisément qu'il pense : elle n'est pas seulement conscience spontanée ou immédiate de ses vécus ou du monde extérieur mais conscience de soi, c'est-à-dire conscience réfléchie. Elle n'est pas une simple sensation ni même un simple sentiment mais plutôt la condition invariable de toute sensation et de tout sentiment, qui permet d'en faire la synthèse et de relier les différents états que j'ai vécus dans le temps - et qui me permet de savoir qu'il s'agit bien du même moi. Elle est un principe qui reste identique à lui-même quelles que soient les impressions diverses ou les événements qui affectent mon corps (croissance, puberté, maturation, vieillesse, maladie, accidents, etc). Ce n'est donc pas non plus une simple pensée parmi d'autres mais plutôt la forme même de ma pensée, le cadre dans lequel je forme toutes mes pensées au sens où il est impossible, comme le dit Locke dans l'Essai sur l'entendement humain « de « percevoir sans percevoir qu'on perçoit » : penser pour le sujet, c'est nécessairement, semble-t-il, penser qu'il pense, donc avoir conscience qu'il pense car un sujet qui cesserait d'avoir conscience de ses pensées n'en retiendrait rien et ces pensées ne seraient pas ses pensées. Ce qui distingue radicalement la conscience humaine de la conscience animale (Cf. Bergson par ex) c'est qu'elle est « conscience d'avoir conscience », qu'elle a le pouvoir de se prendre elle-même comme objet de conscience, de faire retour sur elle-même, réflexivement, et de prendre ainsi conscience de ce qui était implicite en elle. On pourrait citer encore Alain : « la conscience est le savoir revenant sur lui-même et prenant pour centre la personne elle-même, qui se met en demeure de décider et de se juger », Définitions, les Arts et les dieux. Mais cette conviction philosophique est-elle vraiment fondée et légitime ? On peut le contester et Freud s'emploie à démontrer qu'il ne s'agit là que d'une croyance (paradoxe) qui n'est pas conforme à la réalité de la pensée. En effet, il réfute d’emblée la thèse cartésienne d’une identité substantielle entre ce qui est psychique, appartient à la vie de l'esprit et la conscience en affirmant que « le psychique en moi ne coïncide pas avec ce dont je suis conscient ». La conscience que j'ai de moi-même n’épuise nullement ce qui se passe dans mon esprit et ce que je suis. La conscience de soi - loin s'en faut- n'est rien moins qu'une connaissance adéquate et plénière de soi-même. [cf. sujet : la conscience de soi est-elle une connaissance de soi ? où on peut opposer utilement la thèse de Descartes à celle de Malebranche, Kant, Schopenhauer, Locke, Hume ou Auguste Comte d’une part, de Husserl, Heidegger, Sartre et Merleau-Ponty, Grimaldi d’autre part et enfin à celle de Freud, Lacan, Spinoza, Marx, Nietzsche, Althusser, Foucault, mais aussi Pascal, etc.]. Ma conscience n’est pas coextensive à la totalité de mon psychisme (= la conscience n’est pas le tout de l’activité psychique). Il y a de l’ignoré en moi, des zones obscures qui échappent à la lumière de ma propre conscience. C’est ce que met en exergue l’assertion (= affirmation) freudienne selon laquelle « ce sont deux choses différentes que quelque chose se passe dans ton âme, et que tu en sois par ailleurs informé ». a. Les limites de la conscience : des « petites perceptions » inconscientes à l’hypothèse de l’inconscient psychique C'est déjà ce que Leibniz objectait à Descartes dans les Nouveaux essais sur l'entendement humain avec sa théorie des petites perceptions et l'exemple célèbre du « bruit de la mer » : il est impossible de rendre compte correctement du psychisme sans reconnaître l'existence de pensées inconscientes. La pensée, certes, pense toujours mais elle n'est pas toujours consciente. Il y a, à tout moment, une infinité de perceptions en nous et des changements d'états dans notre âme mais qui sont trop « insensibles », trop « petits », pour qu'on s'en aperçoive ; ils ont lieu sans faire l'objet d'une aperception ou d'une réflexion expresses. Nous percevons, par exemple, « le bruit de la mer » sur la plage mais sans nous apercevoir du bruit des milliers de vagues qui nous demeurent imperceptibles mais qui, pourtant, composent séparément ce bruit global. La conscience réfléchie, loin d'être toute-puissante, illimitée et de dominer la vie de l'esprit, est au contraire sélective et envahie par le domaine infinitésimal des « petites perceptions ». De même, il existe un inconscient physiologique qu' « exploitent » - comme on sait et avec quel succès !- les images et les sons subliminaux utilisés dans les publicités ou les campagnes électorales, « la magie de Noël » par exemple, afin d'influencer secrètement le comportement des consommateurs ou des citoyens : au-dessous d'un certain seuil, un stimulus qui est effectivement ressenti et enregistré par nos sens, n'est cependant pas perçu ni aperçu.