« Faut-il chercher à avoir raison ? »
Publié le 04/12/2022
Extrait du document
«
Exemple de dissertation philosophique sur le sujet :
« Faut-il chercher à avoir raison ? »
(Introduction)
« Tu veux toujours avoir raison ! » dit-on à celui qui critique, par principe, tout ce que les autres
avancent.
Il n’envisage pas la discussion comme un moyen de s’entendre avec ses interlocuteurs, mais
comme le lieu d’un affrontement, d’une lutte où il s’agit de vaincre les autres.
« Chercher à avoir raison »,
c’est alors vouloir avoir raison de ses interlocuteurs.
Une telle attitude est évidemment critiquable.
Elle
témoigne d’une certaine intolérance, d’un manque d’ouverture à autrui ; mais aussi d’une indifférence à la
vérité elle-même.
Mais à l’inverse, refuser de chercher à avoir raison pose problème tout autant.
Apparemment, rien de plus louable.
Ne pas chercher à avoir le dernier mot, c’est laisser s’exprimer les
opinions des autres, c’est admettre la diversité, tolérer la différence et respecter ce qu’on appelle
communément la « liberté d’opinion ».
Cependant, une telle attitude risque de mettre un terme à toute
discussion.
En effet, tolérer par principe toutes les opinions des autres, c’est aussi refuser d’en discuter le
bien-fondé.
On voit donc que, à son tour, une telle position pose également problème : ne risque-t-on pas
alors, au nom de la tolérance, d’accepter des propos intolérables ? En effet, ne pas exiger des autres qu’ils
rendent raison de ce qu’ils disent, n’est-ce pas laisser dire n’importe quoi et même le pire ? Autrement dit,
ne pas chercher à avoir raison, est-ce la condition d’une recherche véritable de la vérité ou bien une autre
manière d’être indifférent à la vérité (dans son exigence d’objectivité et d’universalité) ? On voit alors
l’enjeu se dessiner : si critiquer par principe et s’abstenir de toute critique s’avère deux positions
insuffisantes, comment penser une critique qui soit féconde et constructive ? Nous ferons droit dans un
premier temps à l’idée intuitive que la volonté d’avoir raison (qu’on assimile ordinairement à l’homme
opiniâtre et borné) apparaît comme un obstacle à la recherche de la vérité.
Après quoi nous essaierons de
montrer les limites de l’attitude inverse, qui consiste à refuser la discussion et la critique au nom de la
tolérance des différences d’opinions.
Nous serons donc amener enfin à tenter de dépasser cette
contradiction en envisageant la volonté d’avoir raison comme le moteur de la recherche de la vérité.
(Développement)
(Première partie : Il ne faut pas chercher à avoir raison au risque de nuire à la recherche du vrai.)
1.
On ne peut pas traiter toutes les questions à partir du couple raison / tort.
Dans le champ de la
subjectivité individuelle du goût par exemple, je peux dire que moi j’aime les épinards, mais je n’oserais
pas dire que tout le monde doit absolument les aimer, parce que moi je les apprécie.
Je sais que mes goûts
sur le plan gustatif sont relatifs, et il serait absurde de chercher à avoir raison à ce sujet.
On pourrait dire
ici que « des goûts et des couleurs on ne discute pas ».
Réf : Lévi-Strauss, Race et histoire : en matière de culture on ne peut se prononcer en termes de raison ou
tort.
On ne peut pas dire à propos du goût (lequel est largement déterminé par des habitudes culturelles)
qu’un japonais a tort de manger des insectes et qu’un français a raison de manger des escargots et des
cuisses de grenouille.
Le relativisme culturel consiste à dire que l’humanité se conjugue au pluriel,
chaque culture a ses propres normes, et elles se valent.
Il est vain de vouloir hiérarchiser les différences et
la tolérance demande de les accepter comme telles (sans quoi le risque serait de tomber dans
l’ethnocentrisme).
2.
La volonté d’avoir raison est volonté de vaincre uniquement par orgueil.
« Vouloir avoir raison »
signifie pour le langage ordinaire, « avoir le dernier mot ».
Cette expression énonce clairement un
reproche : celui qui veut toujours avoir raison ne pense qu’à s’imposer aux autres.
Quel que soit le sujet, il
s’agit de vaincre, de l’emporter.
Certes, la discussion exclut l’usage de la force physique, mais elle
n’exclut pas la logique même du conflit, de la lutte.
En ce sens, discuter ce n’est donc pas renoncer au
conflit, mais le continuer par d’autres moyens.
La raison est alors un instrument de domination ; elle est
intéressée à la victoire et non à la vérité.
On pose la vérité d’un énoncé avant toute discussion, et la raison
sert alors à l’imposer par tous les moyens possibles : arguments artificiels, images séduisantes, propos de
mauvaises foi, etc.
L’interlocuteur n’est pas alors un partenaire, mais adversaire qu’on cherche à faire
1
« plier » par tous les moyens.
La volonté systématique d’avoir raison à tout prix fait de l’échange non pas
une discussion honnête et pacifiée, mais un débat stratégique et polémique (de polémos : guerre) qui n’a
d’autre but que de servir l’ego.
Celui qui cherche à avoir raison fait de la vérité une affaire d’amour
propre.
Réf : Jean de La Fontaine, Le loup et l’agneau : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ».
3.
Chercher à avoir raison à tout prix c’est tomber dans le dogmatisme.
On voit donc clairement
qu’une telle attitude dévalorise l’expression de l’autre, refuse de la prendre en considération, et ainsi ne
respecte pas la diversité légitime des opinons et des points de vue.
Celui qui fait de la victoire la fin
ultime de toute discussion, tombe inévitable dans l’écueil ruineux et intolérant du dogmatisme qui
caractérise l’attitude par laquelle on s’attache à un dogme (une affirmation posée et figée) sans nul esprit
critique, et que l’on relaye de manière catégorique, péremptoire.
Une telle attitude s’oppose à celle,
respectueuse et tolérante, de l’ouverture d’esprit, qui consiste non seulement à respecter les différences de
points de vue mais aussi à les accueillir afin de compléter, d’affiner et d’enrichir sa propre perception.
Le
principe républicain de la laïcité est fondé sur ce respect de la différence.
Vouloir avoir raison est donc
d’abord critiquable du point de vue du respect et de la tolérance des diversités de points de vue.
Ex : la figure du fanatique.
Persuadé d’avoir raison et de posséder la vérité absolue, il tente de l’imposer
par tous les moyens.
On trouve ici la passion aveugle de celui qui est certain de détenir la vérité, non la
passion de celui qui la cherche, ni la modestie de celui qui sait que la vérité ne lui appartient pas.
On peut
trouver de telles personnalités obsessionnelles dans le christianisme au temps de la Sainte Inquisition,
dans un personnage comme Adolf Hitler, ou encore dans les mouvements intégristes religieux.
4.
Le dogmatisme est l’ennemi de la vérité.
Mais vouloir avoir raison est également critiquable du point
de vue de la recherche de la vérité elle-même dans la mesure où elle l’entrave.
Une telle attitude est
précisément celle des Sophistes, auxquels s’opposait Socrate.
Ils cherchent par tous les moyens à justifier
leur point de vue par l’usage de la rhétorique (ensemble des procédés qui permettent d’obtenir l’adhésion
par un discours séduisant).
Ils ne cherchent pas convaincre (obtenir l’adhésion en démontrant
rationnellement la vérité d’une proposition) mais à persuader (forcer l’adhésion au moyen d’arguments
affectifs, séduisants).
Autrement dit, leur but n’est pas d’accéder à la vérité, mais seulement de paraître y
accéder pour imposer leur propre point de vue.
Ils cherchent seulement l’apparence de vérité, le
vraisemblable.
Ils réduisent la discussion à une simple lutte pour la victoire.
Les Sophistes assimilent
ainsi implicitement la certitude (adhésion subjective à un énoncé ; par exemple : « je suis convaincu en
mon for intérieur que les extra-terrestres existent ») et la vérité (qui désigne la conformité de l’énoncé à la
réalité et exige donc des preuves).
Or, Socrate nous enseigne au contraire que la seule chose qui puisse
fonder la vérité de nos idées et la rationalité de nos arguments c’est précisément la discussion, qui permet
l’examen critique de chaque énoncé.
Un énoncé est rationnel s’il est capable de résister aux principales
objections des interlocuteurs.
Autrement dit, la vérité n’est pas donnée d’emblée avant l’échange, elle est
un résultat qui présuppose cet échange.
(Transition) : Vouloir avoir raison est donc critiquable tant du point de vue de la tolérance et du respect
de la diversité des opinions que du point de vue de la recherche de la vérité elle-même.
En toute rigueur il
ne faudrait pas adopter une telle attitude.
Pourtant, l’attitude inverse qui consisterait à refuser d’avoir
raison, c’est-à-dire à se résigner au simple constat de la diversité des points de vue, n’est-elle pas tout
aussi problématique ? Là aussi d’autres difficultés menacent l’idée de vérité.
(Deuxième partie : Ne pas chercher à avoir raison est également critiquable)
1.
Ne pas chercher à avoir raison, c’est tomber dans le relativisme.
Imaginons-nous quelqu’un qui
serait totalement résigné au constat de la diversité indépassable des points de vue.
Après tout, puisque la
vérité n’existe pas, « à chacun sa vérité » dirait-il.
Il faudrait respecter absolument tous les points de vue,
tolérer absolument toutes les opinions.
Mais alors, puisque chacun a ses opinons et qu’il ne faut pas les
critiquer sous peine d’apparaître intolérant, on ne voit même plus l’intérêt de la discussion.
Elle se réduit
à un simple bavardage qui passe le temps.
Une telle attitude tombe alors dans le « relativisme », qui
2
consiste à dire que, puisque tout est subjectif (dépendant du sujet qui énonce une proposition), « tout est
relatif » à celui qui parle ; qu’autrement dit, il n’existe pas de vérité objective sur laquelle on pourrait tous
se mettre d’accord.
2.
Le relativisme est l’ennemi de la vérité.
On voit autrement dit que l’attitude inverse (relativiste) qui
consiste ne pas chercher à avoir raison au nom de la tolérance et de la diversité des opinions est tout aussi
problématique eu égard à la recherche de la vérité.
Si « tout se vaut », « rien ne vaut ».
Autrement dit, si
toutes les opinions ont la même valeur, aucune n’a en fait....
»
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