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LA VOLONTÉ DES SPORTIFS

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

1. Lecture - Maryse Bastié.

(Une aviatrice française, Maryse Bastié, tente de battre le record féminin de durée en avion.)

Les premières heures furent pénibles, dans cet habitacle minuscule où, étroitement emboîté, faisant corps avec l'appareil, on est assis dans un espace si restreint que, sauf les mouvements des bras et des jambes nécessaires à la conduite, tout geste intempestif était interdit.

C'était pourtant là que j'allais passer trente-huit heures sans dormir, le cerveau surchauffé, l'oreille tendue sans cesse pour percevoir le moindre bruit suspect du moteur, la moindre vibration anormale...

La seconde nuit fut effroyable. Je l'abordais au bout de trente heures : .encore aujourd'hui, lorsque je l'évoque, j'en ai des frissons et je crois que je recommencerais n'importe quoi, sauf ça !

Je dois tourner, encore, et toujours... Je me fais l'effet d'une damnée dans un cercle infernal. Depuis des heures et des heures, attachée dans mon étroite carlingue, je subis cette effarante immobilité qui m'ankylose et me met au supplice.

Muscles, nerfs, cerveau, coeur, tout chez moi me paraît atteint ; il n'y a que la volonté qui demeure intacte...

Maintenant venait le sommeil, ce redoutable ennemi du pilote. L'incessant ronronnement du moteur, peu à peu, m'engourdissait le cerveau. Mes paupières s'alourdissaient... Mes yeux se fermaient plusieurs fois par minute. Des mouvements inconscients faisaient cabrer ou piquer mon appareil et je me réveillais, en sursaut, avec cette idée lancinante : dormir ! dormir !...

Oui, mais, dormir dans un avion à cinq ou six cents mètres de hauteur, cela équivaut à un suicide. Dormir, c'est mourir... Il me semblait être au bout des forces humaines. Pourtant, je ne voulais pas abandonner, je ne voulais pas céder.

Il me fallait à tout prix échapper à ce terrible besoin de sommeil qui allait me mener à la catastrophe... Je serre les dents et je prends le vaporisateur. Je m'envoie dans les prunelles un jet d'eau de Cologne...

La brûlure dure dix minutes.., mais si douloureuse ! La réaction de défense de mon corps est si violente que, pendant une heure, l'âpre besoin de dormir m'épargne.

Après... il faut recommencer... toutes les heures, puis toutes les demi-heures... Il faut tenir, tenir jusqu'au bout... J'ai l'impression maintenant d'être une machine, une machine souffrante et agissante, mais, que rien n'arrêtera avant le but définitif : ou je me tuerai, ou j'arriverai...

L'état de mes yeux s'est aggravé. J'ai des bourdonnements d'oreilles. Mon corps tout entier est endolori... Je me sens abrutie...

Lorsque j'atterris, mes yeux tuméfiés distinguaient à peine le sol : il y avait un jour et deux nuits que je tournais en rond sans lâcher les commandes. 37 heures 55 minutes à faire voler l'avion...

Je ramenais d'un seul coup à la France trois records de durée.

D'après Maryse BASTIÉ - Ailes ouvertes. Fasquelle

 

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