LE SENS DE LA VIE, L'ANGOISSE ET L'ABSURDE
Publié le 14/06/2009
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« Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, nous dit CAMUS, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. « Encore faut-il préciser qu'une telle question aura pour ambiance, dans l'existentialisme, le climat de l'angoisse et de l'absurde. a) L'angoisse existentielle et l'absurde. C'est à PASCAL qu'il faudrait remonter pour trouver la source de l'angoisse moderne : la misère de l'homme sans Dieu, l'absurdité de sa condition contradictoire. L'expression l'indique : il s'agit non pas d'une inquiétude ayant tel objet particulier, mais de l'angoisse attachée à l'existence même, au fait d'exister, à l'état brut, abstraction faite des circonstances extérieures ou historiques. L'existence est en elle-même détresse, abandon, solitude. Exister c'est être séparé de l'absolu, être placé, jeté, éjecté hors du tout, hors de l'être pris dans sa totalité et son unité profondes. D'où le sentiment d'exil éprouvé par KIERKEGAARD et qui est la forme pathétique du sentiment de la contingence humaine. Et ce qui aggrave cette angoisse originelle, c'est la présence d'une liberté dont on peut se servir dans n'importe quel sens et qui nous donne le vertige devant les possibilités infinies qu'elle ouvre devant nous. Un malaise analogue se retrouve chez les autres existentialistes. Pour HEIDEGGER l'homme est un être-là (Dasein), jeté dans le monde sans aucune raison d'être mais doté d'une liberté qui éveille en lui l'angoisse, en lui révélant l'infinité des actions possibles à inscrire sur l'horizon d'une mort inéluctable.
«
est misérable...
Toutes ces misères-là mêmes prouvent sa grandeur, ce sont misères de grand seigneur, misèresd'un roi dépossédé.
»Lorsque CAMUS domine la tentation de l'absurde, que retrouve-t-il au-delà du désespoir, sinon la conscience et lesvaleurs qui en jaillissent en gerbe lumineuse : vérité, justice, amour et joie « cette joie étrange qui aide à vivre et àmourir »?
L'absurdisme est contradictoire ou provisoire.
L'absurdisme souffre d'une contradiction interne insurmontable, tout comme le scepticisme auquel il est apparenté.
Ilest contradictoire en effet de soutenir que rien n'a de sens puisque cette proposition même prétend en avoir un etque si les choses n'avaient pas de sens elles auraient au moins pour signification d'être dénuées de toutesignification.
CAMUS en convient de bonne grâce : « Il n'y a pas de nihilisme total.
Dès l'instant où l'on dit que toutest non-sens, on exprime quelque chose qui a du sens.
Refuser toute signification au monde revient à supprimertout jugement de valeur.
»Cependant, tout comme pour le scepticisme, il convient de distinguer deux formes d'absurdisme : l'absurdismeabsolu, s'il affirme que rien n'a de sens, se désintègre totalement dans cette affirmation même, il se détruit en seposant; reste l'absurdisme relatif, celui qui consiste à douter que les choses aient un sens, à supposer que le mondeest absurde.
A l'instar du doute cartésien, il est destiné à s'effacer une fois découverte une valable signification.
Oril nous semble que les philosophies de l'absurde et de l'angoisse, loin d'aboutir à l'absurdisme radical ou absolu, secontentent de soulever l'inquiétude qui anime l'absurdisme relatif.Le témoignage le plus net nous en est donné par CAMUS qui s'est expliqué sur ce point à plusieurs reprises : «Quand j'analysais le sentiment de l'absurde dans Le Mythe de Sisyphe, j'étais à la recherche d'une méthode et nond'une doctrine.
Je pratiquais le doute méthodique.
Je cherchais à faire cette table rase à partir de laquelle on peutcommencer à construire...
Dans l'expérience qui m'intéressait et sur laquelle il m'est arrivé d'écrire, l'absurde ne peutêtre considéré que comme une position de départ.
»En est-il de même dans les autres doctrines de l'absurde ? Rien ne permet d'affirmer le contraire.
On sait commentKIERKEGAARD échappe pour sa part à la malédiction de l'absurde.
Après avoir montré que l'expérience existentiellenous révèle l'absurdité de la vie, KIERKEGAARD découvre une autre absurdité qui neutralise la première comme deuxnégations s'entre-détruisent la foi est absurde, l'Incarnation -- qui est au centre du christianisme — est un scandalepour la raison puisqu'elle suppose l'insertion de l'Éternel dans le temporel, de l'Infini dans le fini, l'humiliation de Dieudans le monde jusqu'au supplice de la croix.
Mais c'est précisément cette absurdité qui garantit la vérité et latranscendance d'une religion que notre logique ne pouvait inventer puisqu'elle fait éclater la raison pour nous rendrel'espérance et l'amour.Chez SARTRE l'absurdité première de l'existence brute est bien vite dépassée par le sentiment exaltant que donne àl'homme la conscience de sa responsabilité universelle et de sa liberté créatrice de valeurs.
L'homme a beau déclarerqu'il est « de trop pour l'éternité » avec le Roquentin de La Nausée, il découvre bientôt que la gratuité de l'existencene le délivre pas de sa responsabilité et que, si la vie n'a pas de justification a priori ou toute faite, il nous incombeprécisément de lui en donner une, sous peine de mauvaise foi.Même dialectique chez CAMUS dont la pensée profonde est qu'il faut ne pas capituler devant l'absurde mais releverau contraire le défi qu'il nous lance et mettre dans ce courage toute la dignité humaine.HEIDEGGER de son côté, s'il invite les hommes à retrouver l'angoisse, c'est afin de les placer en face desresponsabilités d'une existence authentique plus encore que pour les acculer au désespoir.
Si la pensée de la mortdomine son oeuvre, cela ne fait que rejoindre le fameux adage : philosopher c'est apprendre à mourir, ce qui n'a riend'absurdiste en soi.Seul, parmi les philosophes de l'absurde, KAFKA semble irréductible dans son univers de cauchemar mais son oeuvremême témoigne en faveur d'un effort désespéré pour trouver le sens de la vie et d'une nostalgie de la justification.
L'absurde se heurte au principe de raison suffisante.
L'une des exigences les plus profondes de notre esprit c'est que le monde ait un sens, qu'on puisse en donner uneexplication ou une justification qui le rende intelligible au moins en partie et sur certains points importants.
C'est ceque les philosophes appellent, depuis LEIBNIZ, le principe de raison suffisante on d'universelle intelligibilité ce qui estdoit avoir sa raison d'être, soit totalement, soit partiellement.
Or, on peut soutenir que le principe de raisonsuffisante sort finalement invaincu des épreuves que lui fait subir le doute absurdiste : la pensée de CAMUS entémoigne de façon fort explicite.
Dans les Lettres à un ami allemand, CAMUS déclare : « Je continue à croire que ce monde n'a pas de sens supérieur.Mais je sais que quelque chose en lui a du sens et c'est l'homme, parce qu'il est le seul être à exiger d'en avoir.
»Exception d'une importance capitale qui suffit à détruire l'absurdité radicale de l'existence et à conjuguer le péril dunihilisme : « On ne peut pas dire que rien n'a de sens, reprend l'auteur dans un autre ouvrage, puisque l'on affirmepar là une valeur consacrée par un jugement; ni que tout ait un sens puisque le mot tout n'a pas de significationpour nous.
L'irrationnel limite le rationnel qui lui donne à son tour sa mesure.
Quelque chose a du sens, enfin, quenous devons conquérir sur le non-sens.
»Ainsi trois affirmations ou positions se dégagent de l'absurdisme relatif adopté par CAMUS : d'abord l'absurdité n'estpas totale, ensuite la vie peut recevoir un sens a posteriori, enfin l'esprit humain ne peut tolérer le non-sens absolu.Autant de points à discuter strictement.• L'absurde serait tout ou rien, exactement comme le néant : or il n'est pas tout, donc il n'est rien.
S'il frappait l'êtreil le frapperait absolument, irrémédiablement, sans nulle exception, fût-ce pour l'homme et son destin.
Qu'une seuledérogation se produise et l'absurde s'écroule; de même que le peu que nous avons d'être suffit à détruire le néant.
»
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