Analyse de texte: LECTURE ANALYTIQUE : La Peste, Albert Camus : incipit
Publié le 18/04/2023
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LECTURE ANALYTIQUE : La Peste, Albert Camus : incipit
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Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran.
De
l'avis général, ils n'y étaient pas à leur place, sortant un peu de l'ordinaire.
A première vue, Oran est, en
effet, une ville ordinaire et rien de plus qu'une préfecture française de la côte algérienne.
La cité elle-même, on doit l'avouer, est laide.
D'aspect tranquille, il faut quelque temps pour
apercevoir ce qui la rend différente de tant d'autres villes commerçantes, sous toutes les latitudes.
Comment
faire imaginer, par exemple, une ville sans pigeons, sans arbres et sans jardins, où l’on ne rencontre ni
battements d'ailes ni froissements de feuilles, un lieu neutre pour tout dire ? Le changement des saisons ne
s'y lit que dans le ciel.
Le printemps s'annonce seulement par la qualité de l'air ou par les corbeilles de
fleurs que des petits vendeurs ramènent des banlieues ; c'est un printemps qu'on vend sur les marchés.
Pendant
l'été, le soleil incendie les maisons trop sèches et couvre les murs d'une cendre grise; on ne peut plus vivre
alors que dans l'ombre des volets clos.
En automne, c'est, au contraire, un déluge de boue.
Les beaux jours
viennent seulement en hiver.
Une manière commode de faire la connaissance d'une ville est de chercher comment on y travaille,
comment on y aime et comment on y meurt.
Dans notre petite ville, est-ce l'effet du climat, tout cela se fait
ensemble, du même air frénétique et absent.
C'est-à-dire qu'on s'y ennuie et qu'on s'y applique à prendre des
habitudes.
Nos concitoyens travaillent beaucoup, mais toujours pour s'enrichir.
Ils s'intéressent surtout au
commerce et ils s'occupent d'abord, selon leur expression, de faire des affaires.
Naturellement ils ont du
goût aussi pour les joies simples, ils aiment les femmes, le cinéma et les bains de mer.
Mais, très
raisonnablement, ils réservent ces plaisirs pour le samedi soir et le dimanche, essayant, les autres jours de la
semaine, de gagner beaucoup d'argent.
Le soir, lorsqu'ils quittent leurs bureaux, ils se réunissent à heure fixe
dans les cafés, ils se promènent sur le même boulevard ou bien ils se mettent à leurs balcons.
Les désirs des
plus jeunes sont violents et brefs, tandis que les vices des plus âgés ne dépassent pas les associations de
boulomanes, les banquets des amicales et les cercles où l'on joue gros jeu sur le hasard des cartes.
On dira sans doute que cela n'est pas particulier à notre ville et qu'en somme tous nos contemporains
sont ainsi.
Sans doute, rien n'est plus naturel, aujourd'hui, que de voir des gens travailler du matin au soir et
choisir ensuite de perdre aux cartes, au café, et en bavardages, le temps qui leur reste pour vivre.
Mais il est des
villes et des pays où les gens ont, de temps en temps, le soupçon d'autre chose.
En général, cela ne change pas
leur vie.
Seulement, il y a eu le soupçon et c'est toujours cela de gagné.
Oran, au contraire, est apparemment une
ville sans soupçons, c'est-à-dire une ville tout à fait moderne.
Il n'est pas nécessaire, en conséquence, de
préciser la façon dont on s'aime chez nous.
Les hommes et les femmes, ou bien se dévorent rapidement dans
ce qu'on appelle l'acte d'amour, ou bien s'engagent dans une longue habitude à deux.
Entre ces extrêmes, il
n'y a pas souvent de milieu.
Cela non plus n'est pas original.
A Oran comme ailleurs, faute de temps et de
réflexion, on est bien obligé de s'aimer sans le savoir.
Ce qui est plus original dans notre ville est la difficulté qu'on peut y trouver à mourir.
Difficulté,
d'ailleurs, n'est pas le bon mot et il serait plus juste de parler d'inconfort.
Ce n'est jamais agréable d'être
malade, mais il y a des villes et des pays qui vous soutiennent dans la maladie, où l'on peut, en quelque sorte,
se laisser aller.
Un malade a besoin de douceur, il aime à s'appuyer sur quelque chose, c'est bien naturel.
Mais à Oran, les excès du climat, l'importance des affaires qu'on y traite, l'insignifiance du décor, la
rapidité du crépuscule et la qualité des plaisirs, tout demande la bonne santé.
Un malade s'y trouve
bien seul.
Qu'on pense alors à celui qui va mourir, pris au piège derrière des centaines de murs
crépitants de chaleur, pendant qu'à la même minute, toute une population, au téléphone ou dans les cafés,
parle de traites, de connaissements et d'escompte.
On comprendra ce qu'il peut y avoir d'inconfortable dans la
mort, même moderne, lorsqu'elle survient ainsi dans un lieu sec.
genre et style :
irruption de l’extraordinaire dans l’ordinaire, l’illusion de
l’immunité
ordinaire =banale=quelconque (double sens de quelconque =
n’importe quelle ville) : entre effet de réel et allégorie
satire de la ville = satire de la vie moderne : matérialiste
(priorité) ; routinière bornée, étriquée et grégaire, ordonnée:
divertissement mécanique : on passe à côté de la vie, on lui
tourne le dos, on vit « sans le savoir » jugement
une construction rigoureuse : présentation d’un rapport :
1.
2.
3.
présentation du thème et du genre
présentation générale, physique, de la ville
étude selon trois axes de la vie de la
ville et de ses habitants
4.
synthèse/bilan moral : une ville d’ordre et de routine qui
s’est détournée de l’essentiel, de ce qui seul peut
apporter un remède à l’absurdité de la condition humaine
5.
retour en boucle à l’ouverture du texte : précaution
oratoire, avertissement au lecteur, caution
d’authenticité : autant de topoï de la captatio
benevolentiae : moins un incipit qu’un « avant-propos »
ce que confirme l’annonce du début du récit
surcharge des connecteurs logiques
neutralité apparemment impersonnelle de la description :
insistance sur l’apparence, la première impression, superficielle :
la seconde impression, après observation, marque une spécificité
mais purement négative
une ville caractérisée par ce qu’elle n’a pas : syntaxe de la
privation, lexique : connotations négatives : résolution dans la
reprise en fin de texte = manque d’âme, de conscience = une ville
de morts que, paradoxalement, la Peste va amener à penser la
vie ; figure de la prétérition (29 à 33)
opposition avec le « désir d’impossible », la conscience de
l’absurde, l’esprit de « révolte » au sens où l’entend Camus
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Ces quelques indications donnent peut-être une idée suffisante de notre cité.
Au demeurant, on
ne doit rien exagérer.
Ce qu'il fallait souligner, c'est l'aspect banal de la ville et de la vie.
Mais on passe ses
journées sans difficultés aussitôt qu'on a des habitudes.
Du moment que notre ville favorise justement les
habitudes, on peut dire que tout est pour le mieux.
Sous cet angle, sans doute, la vie n'est pas très
passionnante.
Du moins, on ne connaît pas chez nous le désordre.
Et notre population franche, sympathique
et active, a toujours provoqué chez le voyageur une estime raisonnable.
Cette cité sans pittoresque, sans
végétation et sans âme finit par sembler reposante, on s'y endort enfin.
Mais il est juste d'ajouter qu'elle s'est
greffée sur un paysage sans égal, au milieu d'un plateau nu, entouré de collines lumineuses, devant une
baie au dessin parfait.
On peut seulement regretter qu'elle se soit construite en tournant le dos à cette baie et
que, partant, il soit impossible d'apercevoir la mer qu'il faut toujours aller chercher.
Arrivé là, on admettra sans peine que rien ne pouvait faire espérer à nos concitoyens les incidents
qui se produisirent au printemps de cette année-là et qui furent, nous le comprîmes ensuite, comme les
premiers signes de la série des graves événements dont on s'est proposé de faire ici la chronique.
Ces faits
paraîtront bien naturels à certains et, à d'autres, invraisemblables au contraire.
Mais, après tout, un
chroniqueur ne peut tenir compte de ces contradictions.
Sa tâche est seulement de dire : « Ceci est
arrivé », lorsqu'il sait que ceci est, en effet, arrivé, que ceci a intéressé la vie de tout un peuple, et
qu'il y a donc des milliers de témoins qui estimeront dans leur cœur la vérité de ce qu'il dit.
Du reste, le narrateur, qu'on connaîtra toujours à temps, n'aurait guère de titre à faire valoir dans une
entreprise de ce genre si le hasard ne l'avait mis à même de recueillir un certain nombre de dépositions et si la
force des choses ne l'avait mêlé à tout ce qu'il prétend relater.
C'est ce qui l'autorise à faire œuvre
d'historien.
Bien entendu, un historien, même s'il .est un amateur, a toujours des documents.
Le narrateur de
cette histoire a donc les siens : son témoignage d'abord, celui des autres ensuite, puisque, par son rôle, il fut
amené à recueillir les confidences de tous les personnages de cette chronique, et, en dernier lieu, les textes qui
finirent par tomber entre ses mains.
Il se propose d'y puiser....
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