Les surfaces minimales
Publié le 07/11/2018
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LA NATURE EST ECONOME
L'intérêt que les mathématiciens portent aux surfaces minimales vient d'une réflexion plus générale qui remonte à l'Antiquité : pourquoi la nature préfère une forme à une autre ? Comment en effet expliquer que les planètes sont sphériques, les
alvéoles d'abeilles hexagonales et les structures cristallines polyédriques ? Considérant l'Univers harmonieux, les Grecs tentaient de le décrire à l'aide de formes idéales, c'est-à-dire d'après la géométrie. Cependant c'est aux xvii' et xvme siècles que sera élaboré un principe général régissant la nature. Cela débute avec les travaux de savants comme les frères Jacques et Jean Bernoulli, Christiaan Huygens et Pierre de Fermât sur les plus courts chemins et les chemins de moindre temps. Ces principes, s'appliquant en particulier à la mécanique et à l'optique, seront ensuite généralisés par Gottfried Leibniz en un « principe de moindre action », selon lequel la nature agit toujours avec une économie de moyens. En d'autres termes, l'Univers ne fait jamais rien de superflu et agit avec le maximum d'efficacité. C'est dans ce contexte que deux surfaces minimales sont découvertes : la caténoïde et l'hélicoïde droit.
Un siècle plus tard, le physicien belge Joseph Plateau mènera d'importants travaux théoriques et
La courbure moyenne d'une surface complexe courbée expérimentaux sur le sujet à l'aide de films de savon.
Dans les années 80, l'informatique permettra d'effectuer d'autres progrès sur les surfaces minimales, grâce notamment aux travaux de Celso Costa, David Hoffman et William Meeks (avec la contribution informatique de James Hoffman).
UNE COURBURE MOYENNE NULLE
Une surface est minimale quand son aire est plus petite que celle de toutes les surfaces voisines s'appuyant sur le même contour. En 1760, Joseph Louis de Lagrange établit une équation différentielle des surfaces minimales qui sera plus tard élargie par le géomètre français Jean-Baptiste Meusnier. Même si cette équation ne permet pas de trouver de nouvelles surfaces minimales, elle offre toutefois une caractérisation géométrique : une surface est minimale si en tout point régulier sa courbure moyenne est nulle. Dans le cas d'un cercle, la courbure est caractérisée par l'inverse du rayon (1/r) et désignée par « K ». Donc, plus le rayon sera petit, plus la courbure sera forte. Pour les autres surfaces complexes courbées, en chaque point P d'une surface, on peut en général définir une normale orientée, perpendiculaire au plan tangent à la surface en ce point Par cette normale passe une infinité de plans, appelés plans normaux. Chacun de ces plans coupe la surface, créant ainsi des sections normales de la surface, à chaque section normale correspond un cercle qui épouse le mieux la surface et dont le centre O se trouve sur la normale. La courbure en un point de cette surface est définie comme la moyenne des inverses des rayons de deux cercles (R1 et R2) tangents à la surface. La courbure sera positive si l'orientation du vecteur OP est la même que celle de la normale, négative dans le cas contraire. En général, il existe un plan normal pour lequel le rayon d'un de ces cercles définit la courbure minimale et un autre plan pour lequel le rayon d'un autre cercle définit la courbure maximale.
«
DES FILMS DE SAVON AUX MEMBRANES BIOLOGIQUES
Les films de savon et leur assemblage en 2D (les bulles de savon) ou en 3D («mousses») sont depuis longtemps, utilisés comme modèle pour l'étude des cellules et des tissu9 biologiques.
En effet, il existe une forte analogie structurelle entre le film de savon et la membrane phospholipidique des cellules-vivantes.
De fait, les membranes biologiques, comme les films de savon, sont constituées de molécules aux têtes hydrophiles , chargées négativement, associées à des queues hydrophobes, chargées positivement.
Par la loi de l'attraction , la tête hydrophile est tournée vers le milieu intérieur cellulaire mais aussi vers le milieu extérieur, tous les deux aqueux et chargés positivement.
La queue hydrophobe elle, est tournée vers l'intérieur de la membrane cellulaire, chargée négativement.
Dans un film de savon, la situation est similaire : les têtes hydrophiles
De ses travaux sur les films de savon , Joseph Plateau a tiré des lois.
L:une d'entre elles dit que si l'on applique un film sur une surface libre, il forme nécessairement un angle de 90 o par rapport à celle-ci .
Une autre dit que les surfaces minimale~ ne peuvent se rencontrer le long d'une ligne que par trois, formant ainsi entre elles des angles de 120 °.
Pour illustrer ces lois, étudions le comportement d'un film de savon .
Prenons un dispositif expérimental.
dans lequel4 petits axes en acier (des épingles ou des clous) relient deux plaques de plexiglass (ou de verre) distantes l'une de l'autre de 1 à 2 cm.
Lorsqu'on trempe ces plaques dans une solution savonneuse, un film de savon va relier les quatre axes en se disposant spontanément suivant les lignes d'un réseau minimum.
Ce dernier résulte du calcul du plus court trajet possible (ou surface minimale) entre ces 4 axes.
On remarque que le film de savdn se comporte bien d'après les lois énoncées par Plateau : le film forme un angle de 90° avec la surface de la plaque, et les lignes constitutives du film de savon (A, B et C) forment toujours un angle de 120° entre elles.
LE PROBLÈME DE PLATEAU
Au cours de ses travaux, Joseph Plateau s'était rendu compte qu'au moins un film .de savon pouvait s'appuyer sur tout contour fermé simple de forme quelconque, à la condition que celui -ci ne soit pas trop grand.
Toutefois, il
sont au contact de l'eau qui contient des ions positifs en solution , les queues hydrophobes sont au contact de l 'air.
Par ailleurs, dans une bulle de savon , les queues hydrophobes se disposent vers l'extérieur et l'intérieur du film de savon puisqu 'il y a de l'air des deux côtés.
Un film de savon et une membrane cellulaire ont tous les deux une structure en bicouche .
Dans les deux cas, ce sont les queues hydrophobes de la bicouche qui s'opposent à l'étirement et maintiennent ainsi l'intégrité physique de la membrane .
Cette analogie structurelle entre les membranes biologiques et les films de savon va, par conséquent, être accompagnée d'une similarité géemétrique.
Les films de savon consituent donc, par leurs propriétés physiques , un modèle pratique pour l'étude des propriétés d'agencement des cellules dans un organisme vivant.
voulait savoir si ce problème résolu de façon physique pouvait être résolu mathématiquement , une question déjà évoquée par Lagrange .
C'est ainsi qu'il pose un problème qui porte encore son nom : peut-on déterminer avec un modèle mathématique qu'il existe au moins une surface minimale s 'appuyant sur une courbe fermée donnée ? Grâce à l'outil des nombres et fonctions complexes , les mathématiciens vont commencer à trouver certaines solutions .
RtSOLUTIO N DE CA S PARTICULIERS Les premiers progrès relatifs à ce problème sont réalisés sur les cas particuliers plus simples où le contour est formé de lignes droites.
En 1860- 1861 ,1e mathématicien allemand Bernhard Riemann étudie différents contours , comme par exemple deux droites infinies qui ne sont pas dans le même plan, trois droites placées de façon quelconque dans l'espace ou encore un quadri latère dont les côtés sont aussi les arêtes d'un tétraèdre régulier .
Cependant ses solutions ne seront publiées que tardivement après la présentation des résultats obtenus par Karl Weierstrass sur le même type de sujet et confirmant ceux de Riemann .
En 1867, sans connaître les travaux de Bernhard Riemann sur ce même problème , Hermann Schwarz est le premier à résoudre le problème de Plateau pour le cas où le contour n 'est pas un plan, en utilisant un quadrilatère formé de quatre des six côtés d'un tétraèd r e .
SOLUTIO N GtNtRALE Pour résoudre le problème de Plateau dans le cas général où le contour est une courbe quelconque, il faut attendre 1931, date à laquelle le jeune mathématicien américain Jesse Douglas apporte une réponse pour le cas spécifique du disque.
Peu de temps après et de façon indépendante , le mathématicien hongrois Tibor Rad6 apportera également une solution mais avec une approche tout à fait différente .
Ainsi , il est prouvé qu'il existe toujour s au moin s une surface minimale pour un contour fermé donné , mais on ne sait pas encore combien il y en a, ni comment les déterminer .
LA FORMULE DE WEIERSTRASS
L:analyse complexe , en développement au X IX' siècle, va permettre à Weiers tr DJS de trouver en 1866 une formule de repré sentation capable de décrire , en principe , n'importe quelle surface minimale.
Néan moins , il est difficile avec cette formule de déterminer quelle forme géométrique aura la surface en question.
Entre autres , de savoir si elle est plongée ou immergée .
Par exemple , la surface d'Enneper est dite immergée car elle se recoupe, alors que les surfaces de Scherk , Riemann et Schwarz sont appelées plongées car elles ne se recoupent jamais .
Reste que la méthode de Weierstrass est satisfaisante pour des petites portions de surface et que l'équation de Weierstrass démon"tre qu'il existe une grande quantité de surfaces minimales .
SURFACES MINIMALES PÉRIODIQUES
C'est en travai llant sur le problème de Plateau, que Schwarz va découvrir deux principes importants : 1) si une portion de la frontière d 'une surface minimale s'appuie sur une droite , son image symétrique par rapport à cette droite est aussi une surface minimale, et, de plus, la réunion de ces deux surfaces forme une surface minimale ; 2) si une surface minimale rencontre un plan à angle droit son image symétrique par rapport à ce plan est une surface minimale, la réunion de ces deux surfaces formant une surface minimale .
À partir de ces constatations ainsi que des lois de Plateau, il fut établi 1------------..._----------~ que l'on pouvait étendre à l'infini des
Comportement d'un film de savon
c Film .,---- de savon
] Plaques de plexiglass
surfaces minimales par symétries successives .
On les a appelées surfaces minimales périodiques .
Grace à ces 2 principes, Schwarz construira deux nouvelles surfaces m inimales triplement périodiques : la première s'appuie sur un quadrilatère et la deuxième, connue sous le nom de surface de Gergonne, s'appuie sur deux diagonales orthogonales situées sur deux faces opposées d'un cube.
Bien d'autres surfaces minimales périodiques vont être découvertes par la suite, comme la gyroïde trouvée par Alan Schoen en 1970 et qui est la seule à posséder trois jonctions.
En effet, jusque dans les années 80, les seules
surfaces minimales non périodiques connues étaient le plan et la caténoïde .
TOPOLOGIE ET INFORMATIQUE
La topologie et l'informatique vont révolutionner la vision et l'étude des surfaces minimales .
Les deux vont permettre de découvrir de nouvelles familles de surfaces minimales et de réaliser ce qu'il était impossible de faire avec des films de savon , en raison de leur manque de stabilité : étudier des surfaces sans bord (complètes) en les étendant vers l'infini et faire des trou s en enlevant un ou plusieurs points.
Ainsi , on arrive à obtenir de nouvelle s surfaces minimales grâce à certaines transformations .
On peut compliquer des surfaces minimales en ajoutant des « anses » ou des « tunnels ».
En 1980, Luquesio Jorge et Willia!ll Meeks s 'inspirent de la caténoïde en lui ajoutant une troisième extrémité en forme d'entonnoir : cette nouvelle surface minimale sera baptisée trinoïde.
Elle est équivalente à une sphère moins trois points .
Toutefois , les surfaces de ce type sont immergées car elles se recoupent.
Il faut souligner que tous ces progrès n'auraient pas eu lieu sans l'informatique graphique car, comme on l'a dit précédemment, on ne peut pas savoir si une surface obtenue avec l'équation de Weierstrass est immergée ou plongée .
Ce n 'est qu'en 1984 qu'un jeune informaticien américain , James Hoffman , va inventer un langage informatique -le Visual Programming Language (VPL ) -permettant de visualiser les surfaces minimales calculées par les mathématiciens.
LA SURFACE DE COSTA HOFFMAN-MEEKS
En 1961 , Robert Osserman établit un certain nombre de conditions néces saires pour obtenir une surface minima le complète et p longée, autre que le plan et la caténoïde : il faut qu'elle soit munie de k poignées (c 'est-à-dire un tore ou« anneau» à k trous) moins r points .
Vingt ans plus tard, Jorge et Meeks vont préciser le type de formes qu'il faut chercher : ces surfaces, quand on s'éloigne vers l'infini , doivent avoir des nappes assez plates, comme la caténoïde , et parallèles (contrairement à la trinoïde ).
Un élève de Jorge , le Brésilien Celso Costa , utilise les formules de Weierstrass pour imaginer une surface équiva lente à un tore à un trou moins trois points.
Elle comporte donc trois nappes parallèles mais on n 'en sait pas plus sur le reste de sa forme , en l'occurrence si elle se coupe ou non au voisinage de l'origine.
En étudiant cette surface, David Hoffman se rend compte qu'elle compre n d deux droites orthogonales et que, selon le principe de Schwarz, la surface est symétrique par rapport à chacune de ses droites .
Ainsi , il suffit de prendre une partie de la surface pour savoir s'il n 'y a pas d'intersections, ce qu'il va démontrer peu de temps après , et de vérifier que les symétries n'en introduisent pas de nouvelles, ce qui est le cas.
À sa demande , J.
Hoffman produira une image de la surface .
David Hoffman et Meeks n'en restent
pas là.
En fait, ils veulent savoir s 'il existe d'autres surfaces construites sur le même principe et équivalentes à un tore à k trous moins trois points .
C'est le cas et il y en a même une infinité que l'on peut obtenir par déformations successi ves.
D 'autres surface s plongées , cette fois à quatre nappes , voire une infinité, furent découvertes ultérieur ement et ce domaine de recherch e est encore aujourd 'hui très actif .
l'INTÉRÊT DES SURFACES MINIMALES
Dès qu'il y a membrane , cloison ou interface entre deux milieux différents , l'étude des surfaces minimales (et de leurs cousines , les surfaces à courbure moyenn e constante non nulle) est d 'un grand intérêt.
Par exemple, en biologie , on s'est intéressé aux similitudes qui existaien t entre certains types de surfaces minimales périodiques et les cloisons séparant matière organique et inorganique dans te squelette des échinod ermes (embranchement
d'animaux marins comprenant entre autres , les étoiles de mer , les ophiures , les oursins , les crinoïdes et les holothuries).
De même , les physiciens des solides ont utilisé des surfaces minimales comme modèle d 'organisations molécula ires ou d'interfaces .
C'est ainsi que des chercheurs américains ont trouvé de surprenantes similarités entre des images de surfaces minimales triplement périodiques et des.
structures comp lexes d'interface tridimens ionne lle entre deux polymères .
En cristallographie , l'étude des surfaces.
minimale s peut aussi être fructueuse .
Par exemple, les cristaux de zéolithe possèdent une structu re de silicone, d 'aluminium et d'atomes d'oxygène, et les espaces restants sont remp lis d'eau.
Une fois ces cristaux chauffés, l'eau s'évapore et laisse un squelette cristallin très poreux dont les unités de construction tétraédriques ont la forme d 'une surface minimale de Schwarz .
Il existe également un autre domaine où les surfaces minima les peuve n t être d'un e grande aide : l'architecture .
Il suffit de rappeler un exemple bien connu du grand public : le toit du stade ol ympique de Munich , ainsi que les toits du stade athlétique et de la
piscine olympique, conçus au début des années 70 par l'architecte allemand Frei Otto.
Ces structures minimales ont été spécialement choisies dans le but d 'utiliser une quantité minimale de matériaux ..
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