ZOLA: L'Assommoir (Chapitre II) - Commentaire
Publié le 15/03/2015
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ZOLA :Sur la rue, la maison avait cinq étages, alignant chacun à la file quinze fenêtres, dont les persiennes noires, aux lames cassées, donnaient un air de ruine à cet immense pan de muraille. En bas, quatre boutiques occupaient le rez-de-chaussée : à droite de la porte, une vaste salle de gargote graisseuse ; à gauche, un charbonnier, un mercier et une marchande de parapluies. La maison paraissait d'autant plus colossale qu'elle s'élevait entre deux petites constructions basses, chétives, collées contre elle ; et, carrée, pareille à un bloc de mortier gâché grossièrement, se pourrissant et s'émiettant sous la pluie, elle profilait sur le ciel clair, au-dessus des toits voisins, son énorme cube brut, ses flancs non crépis, couleur de boue, d'une nudité interminable de murs de prison, où des rangées de pierres d'attente semblaient des mâchoires caduques, bâillant dans le vide. Mais Gervaise regardait surtout la porte, une immense porte ronde, s'élevant jusqu'au deuxième étage, creusant un porche profond, à l'autre bout duquel on voyait le coup de jour blafard d'une grande cour. Au milieu de ce porche, pavé comme la rue, un ruisseau coulait, roulant une eau rose très tendre. - Entrez donc, dit Coupeau, on ne vous mangera pas. Gervaise voulut l'attendre dans la rue. Cependant, elle ne put s'empêcher de s'enfoncer sous le porche, jusqu'à la loge du concierge, qui était à droite. Et là, au seuil, elle leva de nouveau les yeux. A l'intérieur, les façades avaient six étages, quatre façades régulières enfermant le vaste carré de la cour. C'étaient des murailles grises, mangées d'une lèpre jaune, rayées de bavures par l'égouttement des toits, qui montaient toutes plates du pavé aux ardoises, sans une moulure -, seuls les tuyaux de descente se coudaient aux étages, où les caisses béantes des plombs mettaient la tache de leur fonte rouillée. Les fenêtres sans persienne montraient des vitres nues, d'un vert glauque d'eau trouble. Certaines, ouvertes, laissaient pendre des matelas à carreaux bleus, qui prenaient l'air ; devant d'autres, sur des cordes tendues, des linges séchaient, toute la lessive d'un ménage, les chemises de l'homme, les camisoles de la femme, les culottes des gamins ; il y en avait une, au troisième, où s'étalait une couche d'enfant, emplâtrée d'ordure. Du haut en bas, les logements trop petits crevaient au-dehors, lâchaient des bouts de leur misère par toutes les fentes.
Une machine à habiter
La demeure ouvrière est une machine à habiter. Nul souci esthétique ne vient contredire sa fonctionnalité architecturale : le champ lexical de la géométrie (« carrée «, « cube «, « façades régulières «, « murailles plates «), celui de l'inachèvement (« bloc de mortier gâché grossièrement «, « cube brut «, murs « non crépis «, « sans une moulure «) renforcent l'impression de dénuement.
Avec ses « cinq étages, alignant chacun à la file quinze fenêtres «, elle entasse les hommes pour le rendement des loyers. Dans un souci de rentabilité, le propriétaire a d'ailleurs prévu des « pierres d'attente « qui lui permettront de continuer ses « murailles grises « mais, économisant sur les frais, il laisse la grande bâtisse à l'abandon : « ses persiennes noires, aux lames cassées, [lui] donn[ent] un air de ruine «, terme polysémique qui annonce déjà celle de Gervaise.

«
L E C T U R E S MÉTHODtQUES
La maison de la Goutte-d'or, dont le nom évoque les vignes de Mont
martre, est l'un des assommoirs qui aura raison de Gervaise.
Zola la pré
sente ici comme le symbole du milieu putride qui va pourrir la blanchis
seuse.
1 -UN MILIEU PUTRIDE
Une machine à habiter
La demeure ouvrière est une machine à habiter.
Nul souci esthétique ne vient
contredire sa fonctionnalité architecturale: le champ lexical de la
géométrie(« car rée»,« cube»,« façades régulières»,« murailles plates»), celui de l'inachève
ment(« bloc de mortier gâché grossièrement»,« cube brut», murs« non crépis»,
«
sans une moulure ») renforcent !'impression de dénuement.
Avec
ses« cinq étages, alignant chacun à la file quinze fenêtres», elle entasse
les hommes pour le rendement des loyers.
Dans
un souci de rentabilité, le proprié
taire a d'ailleurs prévu
des« pierres d'attente» qui lui permettront de continuer ses
« murailles grises » mais, économisant sur les frais, il laisse la grande bâtisse à l'abandon: «ses persiennes noires, aux lames cassées, [lui] donn[ent] un air de
ruine », terme polysémique qui annonce déjà celle de Gervaise.
L'insalubrité et la contagion
C'est qu'il s'agit de décrire les causalités du milieu.
Couleur de« boue», la
maison est pensée en termes de putréfaction : « se pourrissant, s'émiettant sous la
pluie », elle souffle la contagion de sa« lèpre »,par« les caisses béantes [de ses]
plombs ».En ce temps où l'on découvre la fonction respiratoire de la peau, où les
épidémies de choléra font des ravages dans les populations ouvrières, l'air devient
en effet
l'une des préoccupations essentielles des hygiénistes.
Or l'air ne circule
pas entre les quatre façades de six
étages« enfermant le vaste carré de la cour» ...
Promiscuités ouvrières
Mais l'air que l'on respire, c'est aussi celui des mœurs et tout indique que la pro
miscuité est ici le grand fléau :
« les fenêtres sans persienne montr[ant] des vitres
nues», les matelas et les cordes à linge exposant aux yeux de tous l'intimité des mé
nages,« les chemises de l'homme, les camisoles de la femme, les culottes des ga
mins
», les logements « lâch[ant] des bouts de leur misère par toutes les fentes »
évoquent le déterminisme qui va submerger Gervaise ; les « murs de prison » où elle
se risque disent assez que l'on n'échappe pas à la pourriture par le milieu ...
Il -UN SOMBRE HORIZON D'ATTENTE
Un vocabulaire métaphorique
Zola a en effet choisi le vocabulaire de la putréfaction, qui bascule facilement
du champ matériel au champ moral, pour sa richesse métaphorique.
Tous les
termes utilisés sont à double entente : la
« tache » est aussi la faute, les « bavures »
annoncent déjà les effets démoralisateurs des bavardages, des cancans qui pourris-.
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