ZOLA: Incipit de l'Assommoir
Publié le 23/03/2010
Extrait du document
Gervaise avait attendu Lantier jusqu'à deux heures du matin. Puis, toute frissonnante d'être restée en camisole à l'air vif de la fenêtre, elle s'était assoupie, jetée en travers du lit, fiévreuse, les joues trempées de larmes. Depuis huit jours, au sortir du Veau à Deux Têtes, où ils mangeaient, il l'envoyait se coucher avec les enfants et ne reparaissait que tard dans la nuit, en racontant qu'il cherchait du travail. Ce soir-là, pendant qu'elle guettait son retour, elle croyait l'avoir vu entrer au bal du Grand-Balcon, dont les dix fenêtres flambantes éclairaient d'une nappe d'incendie la coulée noire des boulevards extérieurs ; et, derrière lui, elle avait aperçu la petite Adèle, une brunisseuse qui dînait à leur restaurant, marchant à cinq ou six pas, les mains ballantes, comme si elle venait de lui quitter le bras pour ne pas passer ensemble sous la clarté crue des globes de la porte. Quand Gervaise s'éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lantier n'était pas rentré. Pour la première fois, il découchait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. Et, lentement, de ses yeux voilés de larmes, elle faisait le tour de la misérable chambre garnie, meublée d'une commode de noyer dont un tiroir manquait, de trois chaises de paille et d'une petite table graisseuse, sur laquelle traînait un pot à eau ébréché. On avait ajouté, pour les enfants, un lit de fer qui barrait la commode et emplissait les deux tiers de la pièce. La malle de Gervaise et de Lantier, grande ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d'homme tout au fond, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales ; tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient un châle troué, un pantalon mangé par la boue, les dernières nippes dont les marchands d'habits ne voulaient pas. Au milieu de la cheminée, entre deux flambeaux de zinc dépareillés, il y avait un paquet de reconnaissances du mont-de-piété, d'un rose tendre. C'était la belle Chambre de l'hôtel, la chambre du premier, qui donnait sur le boulevard. Cependant, couchés côte à côte sur le même oreiller, les deux enfants dormaient. Claude, qui avait huit ans, ses petites mains rejetées hors de la couverture, respirait d'une haleine lente, tandis qu'Etienne, âgé de quatre ans seulement, souriait, un bras passé au cou de son frère. Lorsque le regard noyé de leur mère s'arrêta sur eux, elle eut une nouvelle crise de sanglots, elle tamponna un mouchoir sur sa bouche pour étouffer les légers cris qui lui échappaient. Et, pieds nus, sans songer à remettre ses savates tombées, elle retourna s'accouder à la fenêtre, elle reprit son attente de la nuit, interrogeant les trottoirs, au loin.
Plan de l'étude Présentation Une scène d'exposition Les personnages Le décor - une atmosphère et sa connotation Conclusion Présentation Le texte est un récit, conduit par un narrateur anonyme omniscient. Il est l'incipit de
l'Assommoir, et à ce titre il doit donner la tonalité du roman, sa couleur dominante.
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Le décor - une atmosphère et sa connotation
Conclusion
Présentation
Le texte est un récit, conduit par un narrateur anonyme omniscient.
Il est l'incipit de
l'Assommoir , et à ce titre il doit donner la tonalité du roman, sa couleur dominante.
Une scène d'exposition
À la différence du système du discours dans lequel les actions se situent par rapport au
moment de l'énonciation (c'est-à-dire par rapport à "aujourdhui"), le récit met en scène des
événements qui se déroulent à un moment du temps ("ce jour-là ") que le lecteur ne peut
connaître que par les indications données par le narrateur.
Ce moment est posé au
deuxième paragraphe par les passé simple, dans la subordonnée conjonctive c.c.
de temps
"Quand Gervaise s'éveilla", puis dans les verbes des principales "éclata (12), resta (13) ; de
même au troisième paragraphe "s'arrêta (dans la sub conjonctive c.
c.
de temps "lorsque le
regard...
s'arrêta" 30), eut (31), tamponna (31), retourna (33), reprit (33).
L'autre temps de
base du récit, l'imparfait, alterne avec le passé simple ; il exprime dans le deuxième
paragraphe l'aspect inachevé de l'action ; il sert donc à décrire ; il est, dans la page, le
temps qui montre le cadre, qui crée l'atmosphère ; il est, à ce titre, un temps essentiel de
l'écriture naturaliste, dans la mesure où, selon cette école, le milieu détermine, pour une
part importante, le caractère du personnage.
- Rappel culturel : à la différence du roman
réaliste où, comme chez Balzac, le milieu dans lequel évolue le personnage est en
harmonie avec le caractère, un personnage choisissant un cadre de vie qui correspond à
ses sentiments, ses impressions, à sa philosophie de la vie (l'étude du cadre renseigne
alors sur le caractère), chez les romanciers naturalistes, le milieu crée le personnage ; le
milieu n'est pas le reflet du caractère, il pèse sur lui.
-
Le premier paragraphe de l'incipit joue donc le rôle tenu au théâtre, dans les scènes
d'exposition, par les récits qui doivent renseigner le spectateur sur l'identité des
personnages, sur les événements antérieurs, appartenant à la situation développée.
L'action ne commence pas un jour pris au hasard, mais "ce jour-là", jour de la crise.
De
même L' Assommoir s'ouvre sur une crise à l'intérieur dun couple ; l'incipit peint l'angoisse
désespérée d'une jeune femme qui redoute d'être trahie par un homme, abandonnée avec
deux enfants encore très jeunes, et laissée dans une situation matérielle très précaire, sans
foyer, sans argent, (2° paragraphe).
La deuxième phrase du deuxième paragraphe
explique le choix de "ce jour -là" : " Pour la première fois, il découchait ".
Cette situation est posée de façon implicite dans les quatre premiers mots du texte : le
personnage principal en sujet "Gervaise" (un film tiré du roman porte ce titre de préférence à
l'Assommoir ) ; le deuxième personnage du couple, personnage qui reviendra dans la.
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