XVIIe siècle : la vie et le mouvement chez Saint-Simon
Publié le 03/03/2011
Extrait du document
Vous expliquerez, sous la forme de commentaires ordonnés, le texte suivant. Comment ce portrait est-il composé? Comment Saint-Simon obtient-il l'impression de vie et de mouvement? Par quelles qualités son style se distingue-t-il? « Cette princesse d'Harcourt était alors une grande et grosse créature, fort allante, couleur de soupe au lait, avec de grosses et vilaines lippes et des cheveux filasses toujours sortants et traînants, comme tout son habillement; sale, malpropre, toujours intriguant, prétendant, entreprenant, toujours querellant, et toujours basse comme l'herbe, ou sur l'arc-en-ciel, selon ceux à qui elle avait affaire; c'était une furie blonde et de plus une harpie : elle en avait l'effronterie, la méchanceté, la fourbe et la violence; elle en avait l'avarice et l'avidité; elle en avait encore la gourmandise... « ... Elle payait mal ou point ses gens; elle les battait, et était forte et violente, et changeait de domestiques tous les jours. Elle prit, entre autres, une femme de chambre forte et robuste à qui, dès la première journée, elle distribua force tapes et soufflets. La femme de chambre ne dit mot, et, comme il ne lui était rien dû, n'étant entrée que depuis cinq ou six jours, elle donna le mot aux autres, de qui elle avait su l'air de la maison, et un matin qu'elle était seule dans la. chambre de la princesse d'Harcourt, et qu'elle avait envoyé son paquet dehors, elle ferme la porte en dedans sans qu'elle s'en aperçût, répond à se faire battre comme elle l'avait déjà été, et, au premier soufflet, saute sur la princesse d'Harcourt, lui donne cent soufflets et autant de coups de poing et de pied, la terrasse, la meurtrit depuis les pieds jusqu'à la tête, et, quand elle l'a bien battue à son aise et à son plaisir, la laisse à terre toute déchirée et toute échevelée, hurlant à pleine tête, ouvre la porte, la ferme dehors à double tour, gagne le degré et sort de la maison. « (Saint-Simon, Mémoires, année 1702.) Étude du texte I Sujet et genre du texte. A propos d'une vilaine femme brutale, Saint-Simon nous donne à la fois un portrait et une anecdote. Le portrait occupe tout le premier paragraphe (les verbes sont au temps de la description, l'imparfait), F anecdote, le second (au passé simple, puis au présent historique, temps de la narration); la phrase : Elle payait mal... jours, sert en quelque sorte de transition.
«
frappé par des variations de rythme qu'il conviendra d'étudier en détail.
On cherchera à pleine tête, synonyme de :« à tue-tête », et degré, escalier.
Analyse du libellé
Vous avez déjà répondu à la première question : « Comment ce portrait est-il composé? » Les deux autres questionsse recoupent quelque peu, car l'impression de vie et de mouvement vient évidemment du style, et le style de Saint-Simon peut se distinguer aussi par d'autres qualités.
Questions pour la recherche des idées
FEUILLE 1 : Composition du texte (déjà étudiée).
FEUILLE 2 : Vie et mouvement : a) grâce à la composition même ? b) dans le portrait : 1 dans le vocabulaire ; 2dans la grammaire et le rythme; c) dans l'anecdote : 1 vocabulaire; 2 grammaire et rythme.
FEUILLE 3 : Qualités générales du style de Saint-Simon, dans : a) le vocabulaire; b) la grammaire; c) les images,figures, etc.; d) les sonorités; e) le rythme.
FEUILLE 1 : L'étude du texte a déjà mis en lumière sa composition.
FEUILLE 2 : a) Celle-ci donne une impression de vie et de mouvement.
Si le portrait est encore assez statique,l'anecdote prend une allure de plus en plus précipitée : ,cela est marqué par le changement de temps (de l'imparfaitdescriptif aux temps du récit, d'abord le passé défini, puis le présent de narration), et l'accélération du rythme.
b) Le portrait.
1 Vocabulaire : des noms abstraits précis et forts (effronterie, etc.); des noms concrets plus rares, àconnotations péjoratives (créature, et surtout lippe); des qualificatifs très nombreux : adjectifs de dimension(grande, grosse (répété), de valeur esthétique ou morale (vilaines, sale, malpropre); de couleur (blonde seraitnormal s'il n'était allié à furie; filasses et le qualificatif couleur de soupe au lait ont des connotations trèspéjoratives); et surtout participes présents adjectifs qui évoquent une action permanente (soulignée par la reprisede toujours et les allitérations en -ant).
On remarquera les expressions familières en contraste (basse commel'herbe, arc-en-ciel), l'allusion qui prend toute sa valeur par la précision que lui apporte la rectification harpie (dired'une femme que c'est une furie est presque banal, mais si on distingue en elle les défauts que la harpie ajoute à lafurie, ce dernier mot prend un sens plein) : les connotations sont la méchanceté et le caractère répugnant.
Doncl'effet du vocabulaire, c'est de nous suggérer des couleurs (blond fade et blanc douteux), des dimensions énormes,un mouvement perpétuel, et une impression de dégoût, tandis que les mots abstraits fixent nettement les défautsmoraux.
2 Grammaire et rythme.
Une seule phrase divisée en trois parties : la première (jusqu'à habillement)juxtapose et ajoute à l'attribut une série de tours qualificatifs qui vont s'élargissant, le dernier (cheveux) lui-mêmequalifié de la même façon par deux participes adjectifs auxquels se rattache une comparaison elliptique.
L'impressionest celle de notations successives, comme d'une femme toujours remuante dont on ne peut faire le portrait à loisir,impression que renforce la deuxième partie de la phrase, faite d'une série d'appositions de longueur irrégulière, maisoù des répétitions (toujours), des homophonies (-ant), des symétries (basse...
ou...
sur l'arc-en-ciel) introduisentune sorte de régularité dans le désordre.
La dernière partie, amenée par le présentatif c'était, se développe dansune symétrie rythmique qui substitue à l'impressionnisme l'analyse morale.
c) L'anecdote.
1 Vocabulaire.
Les adjectifs sont rares (forte dont on appréciera l'alliance d'abord avec violente puisavec robuste).
Les noms concrets sont très nombreux : on notera le vocabulaire des coups (soufflets, répété troisfois), avec les verbes notant la façon de les donner (distribua, donne) ou leur effet (meurtrit, déchirée, etc.).D'ailleurs les nombreux verbes dépeignent tous une action très précise.
2 Grammaire et rythme.
On montrera d'abordY effet des temps.
On constatera le mépris de l'élégance et de la brièveté au début de la dernière phrase (cf.
b p.98).
— Celle-ci commence par deux principales coordonnées par et, au passé défini, et encombrées par dessubordonnées précisant les circonstances.
La troisième principale retardée elle-même par une circonstancielle detemps (un matin que...) inaugure une série au présent de narration.
— Le mouvement se précise ; il n'y a guère plus de subordonnées ou de compléments circonstanciels pour leretarder.
Mais il n'est pas tout à fait régulier et se divise en trois périodes marquées par et.
Dans la première, unesymétrie entre les deux principales (ferme-répond) correspond au calme résolu de la servante; la deuxième marqueles étapes du combat : coup reçu — coup rendu avec usure, ce que soulignent le chiasme (soufflet — saute 11donne — cent soufflets), le passage du singulier au pluriel (soufflet, soufflets), l'adjonction (et autant...); le gesteessentiel est marqué par un seul mot (la terrasse), puis vient la grêle de coups.
La dernière partie se subdivise elle-même en deux temps : la première principale (la laisse à terre) est encadrée d'une
circonstancielle et de plusieurs appositions, l'une marquant l'état psychologique de la servante, l'autre, l'étatphysique de la maîtresse; les derniers verbes se succèdent régulièrement, presque mécaniquement, comme si lecalme de la servante avait quelque chose de surhumain..
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