« Voyage en Espagne » de Théophile Gautier
Publié le 14/02/2011
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On lit, dans le « Voyage en Espagne « de Théophile Gautier la descriptions suivante : « Au sortir de Bordeaux, les landes recommencent plus tristes, plus décharnées et plus mornes, s'il est possible; des bruyères, des genêts et des pinadas (forêts de pins); de loin en loin quelque fauve berger accroupi gardant des troupeaux de moutons noirs, quelque cahute dans le goût des wigwams des Indiens : c'est un spectacle fort lugubre et fort peu récréatif. On n'aperçoit d'autre arbre que le pin avec son entaille d'où coule la résine. Cette large blessure, dont la couleur saumon tranche avec les tons gris de l'écorce, donne un air on ne peut plus lamentable à ces arbres souffreteux et privés de la plus grande partie de leur sève. On dirait une forêt injustement égorgée qui lève les bras au ciel pour lui demander justice. « Voici, d'autre part, la poésie que, dans le même temps, lui inspire le même spectacle : LE PIN DES LANDES On ne voit, en passant dans les Landes désertes, Vrai Sahara français, poudré de sable blanc, Surgir de l'herbe sèche et des flaques d'eau verte D'autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc; Car, pour lui dérober ses larmes de résine, L'homme, avare bourreau de la création, Qui ne vit qu'aux dépens de ceux qu'il assassine, Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon. Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte, Le pin verse son baume et sa sève qui bout, Et se tient toujours droit sur le bord de la route, Comme un soldat blessé qui veut mourir debout. Le poète est ainsi dans les Landes du monde; Lorsqu'il est sans blessure, il garde son trésor. Il faut qu'il ait au cœur une entaille profonde Pour épancher ses vers, divines larmes d'or. Sous forme de commentaire composé, vous comparerez ces deux textes; vous étudierez quelles transformations Théophile Gautier a fait subir, dans son poème, à sa page de prose.
Théoricien de « l'Art pour l'Art «, Gautier fut un grand voyageur : l'Espagne, l'Italie, la Grèce, la Turquie et la Russie l'accueilleront. Ses souvenirs d'Espagne lui ont fourni la matière de deux ouvrages : l'un en prose — Tra los Montes (1843) —, l'autre en vers — Espana (1845). Éviter le piège de toute comparaison qui consiste à traiter chaque texte séparément (première puis' deuxième partie) et tenter une rapide synthèse (troisième partie). Une telle conception serait impitoyablement sanctionnée par une note médiocre — voire très mauvaise.
«
de marcher »).
Pour Gautier, au contraire, l'idée est d'abord née de la vision du réel : d'où la différencefondamentale entre le pin landais, saisi pour lui-même dans la relation en prose, et l'adaptation du poème danslaquelle le pin s'efface derrière le poète.
* * *
Une description interprétée qui devient l'interprétation d'une description : telle pourrait être l'évolution du pin, duVoyage en Espagne à España.
Le poème s'ouvre sur la restriction de focalisation « on ne voit...
d'autre arbre que lepin » : le regard va d'emblée à l'objet, saisi sur un décor d'arrière-plan.
Le mouvement de la page de prose étaitmoins immédiat et le narrateur ne parvenait à fixer son regard — « on n'aperçoit d'autre arbre que le pin » —qu'après avoir éliminé le décor.
Ainsi le pin devenait-il l'objet privilégié de ces terres désolées : c'est lui quidemeurait dans l'évocation finale puisque, s'il y a tentative de personnification (« égorgée », « bras ») celle-ci neparvient jamais à effacer l'aspect premier (« une forêt »), et le narrateur se trouve contraint de modaliser sacomparaison : « on dirait ».
Au contraire, le poème fait du pin un moyen d'évocation : l'arbre s'effaceprogressivement derrière les métaphores (« sa plaie au flanc », « ses larmes de résine », « son tronc douloureux », «son sang qui coule goutte à goutte ») qui facilitent l'allégorie finale :
« Le poète est ainsi dans les Landes du monde.
»
L'arbre a disparu : seul demeure le poète, rattaché au végétal par « l'entaille » et la « blessure » (les deux termesse trouvaient dans le texte en prose mais avaient été écartés des trois premières strophes consacrées à l'évocationdu pin).
Une même image visuelle fournit ainsi à Gautier l'occasion de deux textes aux caractères différents : le tableau s'esttransformé en allégorie comme dans ces peintures où la modification de perspective change l'apparence.
Mais cettetransformation dans l'organisation n'a été possible que par une profonde mutation
du donné immédiat grâce au travail poétique.
* * *
Descriptif, le texte en prose, accumule les détails : situation (« au sortir de Bordeaux »), précisions diverses tantsur l'aspect que la nature ou les éléments du décor.
Par opposition, le poème réduit à deux alexandrins l'ensemble dela description : si bien que la désolation, maintes fois modulée dans le texte du Voyage, apparaît finalement moinsnettement que grâce aux expansions du premier quatrain « vrai Sahara français, poudré de sable blanc ».
De même, la vision de l'arbre est, dans le premier récit, l'objet d'un travail précis : couleurs et aspect retiennent icil'attention de l'observateur.
A l'inverse, le poème s'attache à l'idée que représente « la plaie au flanc »; il ne s'agitplus d'observer mais d'interpréter par un jeu d'analogies :
— les « Landes désertes » donnent naissance aux « Landes du monde : « l'aspect physique devient métaphored'une médiocrité intellectuelle que le poète va se charger de modifier, non en étant comme le « mage » hugolien unprofesseur hors cadre, mais en usant de ses facultés d'émotion;
— « blessure » renvoie à « soldat blessé », comme « entaille profonde » à « large sillon »;
— « les divines larmes d'or », expansion métaphorique de « vers », rappellent les « larmes de résine », de même que« cœur » (ici pris au sens métonymique) est appelé par le « sang » (lui-même métaphorique) du pin.
Logiquement conduite et construite, l'allégorie finale ne saurait
surprendre un lecteur habitué des poètes du XIXe siècle.
* * *
En effet, sans être un art poétique, ce court poème de facture classique, rejoint la longue liste des représentationsdu poète : l'originalité tient donc moins au thème (encore qu'il serait intéressant de confronter les symboles auxconceptions esthétiques...) qu'au traitement de la matière.
Si l'allégorie a pu se développer, c'est parce qu'elle a étésuggérée par le concret, lui-même transfiguré une première fois.
Voilà qui indique clairement, si besoin était, que lapoétique de Gautier est avant tout plastique, et comme
telle, liée à la vision au sens le plus concret du terme.
* * *
Remarque : Certains candidats, bons connaisseurs des théories et des œuvres poétiques, pourraient avoir latentation de « greffer » un développement critique sur les conceptions esthétiques et morales de Gautier : ce seraitaller délibérément hors du sujet.
On vous demande un commentaire d'un texte précis, non une dissertation générale.
»
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