► Vous ferez le commentaire du début de La Condition humaine de Malraux.
Publié le 09/09/2018
Extrait du document

Première partie
21 mars 1927
Minuit et demi.
Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au
travers ? L'angoisse lui tordait l'estomac ; il connaissait sa propre
fermeté, mais n'était capable en cet instant que d'y songer avec
hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du
plafond sur un corps moins visible qu'une ombre, e d'où sortait
seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand
même - de la chair d'homme. La seule lumière venait du building
voisin : un grand rectangle d'électricité pâle, coupé par les barreaux
de la fenêtre dont l'un rayait le lit juste au-dessous du pied comme
pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons grincèrent
à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui
se défendent, des ennemis éveillés !
La vague de vacarme retomba : quelque embarras de voitures (il
y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des
hommes ... ). Il se retrouva en face de la tache molle de la mousseline
et du rectangle de lumière, immobiles dans cette nuit où le
temps n'existait plus.
Il se répétait que cet homme devait mourir. Bêtement : car il
savait qu'il le tuerait. Pris ou non, exécuté ou non, peu importait.
Rien n'existait que ce pied, cet homme qu'il devait frapper sans
qu'il se défendît- car, s'il se défendait, il appellerait.
Les paupières battantes, Tchen découvrait en lui, jusqu'à la
nausée, non le combattant qu'il attendait, mais un sacrificateur. Et
pas seulement aux dieux qu'il avait choisis : sous son sacrifice à la
2s révolution grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette
nuit écrasée d'angoisse n'était que clarté. «Assassiner n'est pas seulement
tuer. .. » Dans ses poches, ses mains hésitantes tenaient, la
droite un rasoir fermé, la gauche un court poignard. Il les enfonçait
le plus possible, comme si la nuit n'eût pas suffi à cacher ses gestes.
3o Le rasoir était plus sûr, mais Tchen sentait qu'il ne pourrait jamais
s'en servir ; le poignard lui répugnait moins. Il lâcha le rasoir dont
le dos pénétrait dans ses doigts crispés; le poignard était nu dans sa
poche, sans gaine. Il le fit passer dans sa main droite, la gauche
retombant sur la laine de son chandail et y restant collée. Il éleva
légèrement le bras droit, stupéfait du silence qui continuait à
l'entourer, comme si son geste eût dû déclencher quelque chute.
Mais non, il ne se passait rien: c'était toujours à lui d'agir.
André Malraux, La Condition humaine, I, Gallimard, 1933.
Première piste
• « dramatique » et « angoissant » suggèrent d’analyser la technique narrative, c’est-à-dire de chercher les moyens par lesquels Malraux crée l’atmosphère de cette préparation de crime.
• Étudiez les éléments qui campent le contexte angoissant : temps et lieu, décor...
• Étudiez l’organisation du récit : comment le lecteur est-il introduit dans l’action ?
• Comment Malraux crée-t-il le « suspense » ?
2. L’organisation du récit : au cœur d’une action angoissante
a. Une brusque entrée dans une action déjà amorcée et chargée de violence
Le lecteur se trouve brusquement projeté, par l’intermédiaire d’une double question, sans préambule, dans une action déjà amorcée, angoissante et potentiellement violente : il s’agit des prémices d’un meurtre (« Frapperait-il ? »), dans une atmosphère de clandestinité - Tchen a peur d’être « découvert » - ... L’évocation des dangers encourus par le révolutionnaire, qui risque d’être « pris » et « exécuté », souligne l'enjeu capital de l’acte.
b. Ignorance, suspense, inquiétude
Autour de cet acte plane l’incertitude ; les circonstances ne sont pas dès l’abord précisées, les questions se pressent : on ignore les mobiles du meurtre, l’identité de la victime uniquement désignée par un très neutre « cet homme », le lieu exact. Le suspense est renforcé par l’imparfait qui installe l’action dans sa durée, son écoulement, mais aussi dans un temps qui « n’existait plus »•

«
r= xième piste
• Analysez comment Malraux rend compte des sensations, des senti
ments, de l'univ ers mental du personnage.
• Étudiez notamment pour cela les techniques narratives pour rendre
compte du monologue intérieur, des pensées de Tchen : style direct,
style indirect, style indirect libre ?
• Déterminez le point de vue, la focalisation qu'adopte Malraux.
• Analysez la nature et la progression des sentiments de Tchen, leur
éventuelle complexité, leur contraste.
• Demandez-vous si cette scène ne dépasse pas la simple anecdote
pour prendre une portée plus générale et profonde.
CO RRIGÉ
Attention ! Les indications en couleur ne sont qu'une aide à la lecture et ne
doivent pas figurer dans votre rédaction.
Introduction
Le x:x• siècle offre aux romancie rs comme toile de fond de leurs œuvres des
événements historiques et sociaux marquants : les guerres mondiales, la
révol ution russe, puis la révo lution chinoise.
Ainsi, La Condition humaine de
Malraux s'ouvre sur le meur tre -qui s'insère dans une action historique
colle ctive -d'un trafiquant d'armes par le jeune révolutionnair e Tchen : alors
que les insur gés manquent d'armes, le meu rtre de Tchen a pour but de
dérober à la victime, un courtier, le document qui va lui permettre d'en
acquérir.
Mais il faut se mettre dans la peau d'un lecteur qui ne conna ît pas du tout la
suite et essayer de juger ce début de roman avec la candeur de celui qui
l' aborde pour la premi ère fois.
Ce début de roman original ne suit pas une structure rigoureuse : il s'a git
pour l'auteur de mettre en scène son héros et de retr anscrire un état mental,
17 1.
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