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Vous expliquerez et commenterez cette opinion de Verlaine : ... Les Rayons jaunes, le plus beau poème, à coup sûr, de cet admirable recueil, Joseph Delorme, que pour mon compte je mets, comme intensité de mélancolie et comme puissance d'expression, infiniment au-dessus des jérémiades lamartiniennes... (article sur Baudelaire)

Publié le 05/05/2011

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verlaine

Le poète chez lui.

 

LES RAYONS JAUNES

Lurida praeterea fiunt quaecumque... « Puis tout devient jaune...«

(Lucrèce, livre IV.)

Les dimanches d'été, le soir, vers les six heures, Quand le peuple empressé déserte les demeures Et va s'ébattre aux champs, Ma persienne fermée, assis à ma fenêtre, Je regarde d'en haut passer et disparaître Joyeux bourgeois, marchands, Ouvriers en habits de fête, au coeur plein d'aise; Un livre est entr'ouvert, près de moi, sur ma chaise; Je lis ou fais semblant; Et les jaunes rayons que le couchant ramène, Plus jaunes ce soir-là que pendant la semaine, Teignent mon rideau blanc. La rampe brûlait jaune, et jaune aussi les cierges; Et la lueur glissant aux fronts voilés des vierges Jaunissant leur blancheur; Et le prêtre vêtu de son étole blanche Courbait un front jauni, comme un épi qui penche Sous la faux du faucheur. Le cercueil arriva, qu'on mesura de l'aune; J'étais là... puis, autour, des cierges brûlaient jaune, Des prêtres priaient bas; Mais en vain je voulais dire l'hymne dernière; Mon oeil était sans larme et ma voix sans prière, Car je ne croyais pas. Non jamais, quand la mort m'étendra sur ma couche, Mon front ne sentira le baiser d'une bouche, Ni mon oeil obscurci N'entreverra l'adieu d'une lèvre mi-close ! Jamais sur mon tombeau ne jaunira la rose, Ni le jaune souci. Ce ne sont que chansons, clameurs, rixes d'ivrogne, Ou qu'amours en plein air, et baisers sans vergogne Et publiques faveurs ; Je rentre; sur ma route on se presse, on se rue; Toute la nuit j'entends se traîner dans ma rue Et hurler les buveurs.

verlaine

« rue dissipe la mélancolique rêverie et noie son vague chagrin : Ce ne sont que chansons, clameurs, rixes d'ivrogne... Commentaire.

La biographie de Sainte-Beuve montre que cette mélancolie n'est pas une fiction, un nouvel aspect duMal du Siècle inventé par plaisir.

Sainte-Beuve fut réellement ce jeune homme incertain et inquiet, regrettant sesannées d'écolier sage à l'institution Blériot, tourmenté d'avoir perdu la foi au cours de ses études médicales.

Ceregret l'accompagnera une grande partie de sa vie et, lorsque le cours professé à l'Université de Lausanne leplongera dans l'intimité des solitaires de Port-Royal, sa curiosité et son respect seront si ardents que ses amis lecroiront converti.

La bonne vieille tante qu'il pleure est sa tante paternelle qui était venue habiter à Paris avec samère en 1823 et qui mourut en 1827.

La nostalgie de l'amour n'est pas moins sincère que la mélancolie de lajeunesse et la douleur éprouvée devant la mort.

Sainte-Beuve était laid et gauche; il n'avait ni le rayonnement deVictor Hugo, ni la distinction de Vigny, et peut-être ce sentiment d'infériorité fut-il à l'origine de la passion coupablequ'il nourrit bientôt pour Mme Hugo.

Dans la lumière incertaine aux jeunes rayons, le jeune homme doute de tout etd'abord de lui-même; avant que le mot n'eût été illustré par Baudelaire, il éprouve l'ennui sans cause immédiate, lespleen.

Comment le poète des Fleurs du Mal ne se serait-il pas reconnu dans cette évocation musicale, où les rimesféminines ont une fluidité de brume? Comment Verlaine, tour à tour angélique et bestial, n'aurait-il pas été frappépar l'élan grossier des derniers vers? Dans cette pièce de moins de cent vers, les problèmes les plus importants sontesquissés : Dieu, la Mort, l'Amour, la Foule hantent successivement l'imagination du poète, mais ne donnent lieu àaucun développement philosophique.

Ce sont des impressions fugitives, mais pénétrantes, qui arrachent un momentà la réalité présente et fondent le passé et l'avenir dans un état d'extase poétique produit par le jaune rayon. L'origine du poème est elle-même curieuse et s'apparente aux tentatives de Baudelaire et de Rimbaud pour obtenirde leurs sens des impressions inédites.

Sainte-Beuve, dans un commentaire qu'il ajoutait au poème en 1844expliquait en effet que les Rayons jaunes étaient la mise en oeuvre d'une remarque de Diderot : Une seule qualité physique peut conduire l'esprit qui s'en occupe à une infinité de chosesdiverses.

Prenons une couleur, le jaune par exemple : l'or est jaune, la soie estjaune, le souci est jaune, la bile est jaune, la lumière est jaune, la paille estjaune; à combien d'autres fils, ce fil ne répond-il pas?...

Le fou ne s'aperçoitpas qu'il en change : il tient le brin de paille jaune et luisante à la main et il criequ'il a saisi un rayon de soleil.

— Le rêveur qui laisse flotter sa pensée faitquelquefois comme ce fou dont parle Diderot; ainsi, ce jour-là, JosephDelorme...

Cette comparaison du fou et du poète ne doit pas surprendre, nonplus que le souvenir de Diderot et la citation de Lucrèce : Sainte-Beuve estalors persuadé de la vérité du matérialisme des philosophes du XVIIIe siècle;ses études médicales renforcent ses convictions sur le rôle essentiel de lasensation dans l'inspiration. C'est un état du corps qui détermine une succession de réminiscences, desongeries et d'images, qui à leur tour en suscitent d'autres.

Le bruit de la fouleinterrompt cette fantasmagorie, comme un appel, un choc font cesser parfoisl'hallucination des déments.

Baudelaire n'aura plus qu'à perfectionner cettetechnique de l'inspiration, en provoquant la sensation initiale par l'alcool, lehaschich ou tout autre produit excitant.

Alors, l'obsession l'emporte parfoisdans le domaine des ombres.

Ce n'est plus un rayon jaune, un ivoire jauni ouun jaune souci qui passent devant ses yeux, mais de longs corbillards ; etl'angoisse atroce plante son drapeau noir sur le crâne vaincu du poète.

Les rêves joyeux s'effacent laissant la place à des monstres, araignées et chauves-souris.Rimbaud par son dérèglement raisonné réussira également à faire du poète un voyant, mais bientôt, effrayé devantle néant auquel aboutissent ses tentatives, il dira un éternel adieu à la poésie et cherchera l'aventure dans l'universréel.

Sainte-Beuve avait-il prévu toutes les conséquences des Rayons jaunes? Nullement, mais il avait pleinementconscience d'être un poète novateur.Conclusion.

Verlaine a donc raison de considérer les Rayons jaunes comme une oeuvre originale, très différente dulyrisme lamartinien et de la rattacher aux conceptions de Baudelaire et de Rimbaud.

Lui-même pouvait appliquer àses propres recueils, à Romances sans paroles et à Sagesse surtout, les deux qualités qu'il louait chez Sainte-Beuve: l'intensité de mélancolie et la puissance d'expression, ce dernier terme ne signifiant pas un verbalisme somptueux àla manière romantique, mais des expressions nuancées, variées, ce mélange de précis et d'indécis, qui est lacaractéristique de l'art verlainien.

Une différence toutefois sépare les deux poètes : si leur mélancolie est intense,celle de Sainte-Beuve s'explique par des causes, en partie intellectuelles, tandis que celle de Verlaine dépendpresque uniquement de sentiments, voire de sensations; la forme sera, de ce fait, plus musicale, moins soumise auxcontraintes de la raison et de la prosodie.. »

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