Vous développerez librement, en vous appuyant sur des exemples précis, tirés de vos lectures ou de votre expérience artistique, les réflexions que vous suggèrent ces remarques d'André Gide : « C'est un travers de notre époque de surcoter l'originalité. Il n'est pas un des grands auteurs du XVIIe siècle qui n'ait été (et ne se soit donné pour) un imitateur. Mais de nos jours, ce que l'on estime avant tout, ce sont, en musique, peinture ou littérature, des points de départ, dussent-ils n
Publié le 07/04/2011
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La citation d'André Gide est extraite de son Journal, à la date du 25 janvier 1948. L'énoncé précisait ce point important. Ce que Gide (mort en 1951) a donc en vue ici, ce n'est pas l'art qui nous est directement contemporain (disons l'art qui a éclos depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale), mais l'art du XXe siècle d'une façon beaucoup plus générale, celui qui affiche une volonté d'originalité ou de rupture avec les formes traditionnelles qui s'étaient maintenues jusqu'à la fin du XIXe siècle : cubisme en peinture, atonalisme en musique, refus du vers dans la poésie, refus d'une intrigue construite dans le roman, etc.
«
du passé : « les chefs-d'œuvre du passé sont bons pour le passé : ils ne sont pas bons pour nous » écrit-ilfroidement dans le Théâtre et son double.
Pourtant, cette évolution ne va pas sans réticences : le public n'est pas Je seul à bouder un art qui cherche aupremier chef à le déranger dans ses habitudes formelles et à l'agresser par une recherche perpétuelle de sentiersnouveaux ou peu frayés.
Bien des écrivains attachés à la tradition contemplent d'un œil inquiet et critique cettemutation des valeurs artistiques.
André Gide, qui dans sa jeunesse avait cependant quelque peu malmené les formestraditionnelles, écrit dans son Journal en janvier 1948, donc vers la fin de sa vie, des propos sévères contre ceuxqui refusent toute imitation : « C'est un travers de notre époque de surcoter l'originalité.
Il n'est pas un des grandsauteurs du XVIIe siècle qui n'ait été (et ne se soit donné pour) un imitateur.
Mais de nos jours, ce que l'on estimeavant tout, ce sont, en musique, peinture ou littérature, des points de départ, dussent-ils ne mener à rien; sanspresque plus aucun souci de cette transmission, de cette continuité dont est faite la vraie culture.
» C'est doncbien cette volonté de rupture qui est ici critiquée par l'auteur des Faux-Monnayeurs, et cette place excessiveaccordée par nos contemporains à l'originalité.
Voilà une position bien tranchée et qui ne semble donc réclamer quel'adhésion ou le refus.
Peut-être convient-il pourtant, avant d'y souscrire ou de la rejeter, de mieux examiner lesdifférentes affirmations qu'elle contient et de mettre en lumière les présupposés qu'elle recèle : en effet, ils ne sontpas simplement l'extériorisation de goûts particuliers à notre auteur— et donc contestables, comme toutepréférence subjective — mais la marque d'une conception bien précise de l'art et de son rapport à l'histoire.
André Gide souligne qu'à l'époque classique les artistes revendiquaient avec fierté le titre d'imitateur : « Il n'est pasun des grands auteurs du XVIIe siècle, dit-il, qui n'ait été (et ne se soit donné pour) un imitateur.
» Cetteaffirmation est difficilement contestable : Racine imite ouvertement Euripide, Molière imite Plaute, La Fontaine imiteÉsope ou Phèdre, Madame de Sévigné elle-même, qui semble pourtant si libre d'influences dans ses lettres, imitedans une certaine mesure la correspondance familière de Cicéron ou de Pline le Jeune.
Bref, chaque auteur sechoisit un modèle antique et l'imite du mieux qu'il peut, allant même parfois jusqu'à se cacher à l'ombre de celui-ci.Ainsi La Bruyère publie-t-il ses Caractères sans nom d'auteur : la première édition porte pour titre Les Caractères deThéophraste, traduits du grec, avec les Caractères ou les Mœurs de ce siècle, la deuxième partie de ce titre étantimprimée en toutes petites lettres contrairement à la première, bien que la part de La Bruyère soit quantitativementbien plus grande que celle de Théophraste, et qu'elle doive en réalité assez peu à son modèle.
Il faut dire qu'en cette fin du Grand Siècle, il y a même une certaine coquetterie à affirmer que les Anciens sontinsurpassables et qu'il ne reste aux malheureux Modernes que le plaisir de les copier le moins mal possible : lacélèbre « Querelle des Anciens et des Modernes » qui agite la vie intellectuelle française durant les trente dernièresannées du règne de Louis XIV a pour origine l'agacement de certains bons esprits comme Perrault et Fontenelledevant ce culte fanatique de l'Antiquité; ils ont beau jeu de montrer l'excellence des Modernes en s'appuyant sur lesœuvres mêmes des plus farouches partisans des Anciens : la supériorité de La Bruyère sur Théophraste est aussiéclatante que celle de La Fontaine sur Ésope.
Il est donc vrai, comme le dit André Gide que l'imitation a été pour les écrivains du Grand Siècle une source fécondeet que leur originalité, loin d'être le fruit d'une démarche délibérée, s'est plutôt inscrite dans le cadre d'un rapportétroit à la tradition, ou du moins à une certaine tradition.
En effet, si le XVIIe siècle accueille avec enthousiasme lesformes artistiques de l'Antiquité gréco-latine, il ne fait en cela que continuer en le radicalisant un mouvement àpeine centenaire.
La Renaissance se présente en effet autant comme une rupture avec les idées et les formes du Moyen Age quecomme une imitation de l'Antiquité.
Celle-ci n'est qu'un aspect de l'art nouveau qu'essayent d'élaborer les créateursdu XVIe siècle.
Ainsi Du Bellay, dans Défense et illustration de la langue française (1549), condamne-t-il sanséquivoque les genres poétiques du Moyen Age « comme Rondeaux, Ballades, Virelais, Chants Royaux, Chansons etautres telles épiceries qui corrompent le goût de notre langue ».
Mais il ne pousse pas l'admiration de l'Antiquitéjusqu'à un copiage stérile.
Tout d'abord, il prône l'usage de la langue française et s'oppose par là aux poètes « néo-latins » qui ont fleuri en France entre 1500 et 1549 et dont l'imitation (allant souvent jusqu'au plagiat) reste à sesyeux prisonnière d'une langue (le latin) qui a déjà donné la totalité de ses possibilités.
Ensuite il recommande biensûr les genres poétiques de l'Antiquité, en particulier l'ode ou l'épopée, mais aussi un genre radicalement original etmoderne à l'époque : le sonnet, qu'il pratiquera lui-même avec prédilection.
Aux yeux de Du Bellay et de ses amis dela Pléiade, l'imitation doit toujours rester créative, et donc, dans une certaine mesure faire place à l'originalité.
Il en va de même à cette époque dans les autres arts.
Ainsi, les grands génies italiens de la sculpture ne copientpas froidement les statues antiques qu'ils connaissent : Benvenuto Cellini par exemple donne avec son admirablePersée de bronze qui se trouve à Florence à la Loggia dei Signori, une oeuvre totalement originale bien qu'ellesynthétise en quelque sorte les leçons que l'artiste a reçues des marbres antiques qu'il a étudiés ou restaurés etque l'on peut voir au musée du Bargello.
Il en va de même du David de Michel-Ange en qui les Florentins ont vupendant des siècles le symbole même des vertus républicaines et viriles de leur ville, ou du David de Donatello dontla grâce adolescente évoque bien plus l'idéal grec de l'homme « beau et bon » que la rudesse un peu fruste duberger biblique.
Ces trois nus masculins ont bien en commun la connaissance profonde de leurs auteurs des nusgrecs, mais celle-ci est transfigurée par trois personnalités si différentes et si puissantes que le spectateur saisitd'emblée bien plus ce qui différencie ces œuvres des antiques qui ont pu les inspirer, que ce qui les en rapproche.
On aurait beau jeu de montrer qu'il en a été de même dans tous les arts et que les artistes de cette époquen'imitent pas leurs modèles antiques par goût pur et simple de l'imitation mais surtout parce qu'ils y voient la.
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