Vous commenterez et discuterez ces mots de Pablo Neruda (écrivain chilien, 1904-1973). Rappelant les propos tenus sur lui par un critique, il dit : Le bonheur, à l'en croire, entachait ma poésie. Il me prescrivait la douleur. Je déduis d'une telle théorie que l'appendicite produirait une prose excellente et une péritonite presque à coup sûr des chants sublimes. J'avoue que j'ai vécu, Mémoires
Publié le 01/09/2012
Extrait du document
La poésie est alors un exutoire à la douleur et soulage le poète. Elle revêt donc une profondeur due, sans doute, à l'intensité des sentiments qui l'a fait naître. Mais est-il impossible d'envisager que la poésie du bonheur vaille celle de la douleur? Certes, non. Tout d'abord, affirmer que la douleur rend la poésie meilleure est absurde ; il faut en effet se méfier des généralités établies trop hâtivement, car tout dépend des poètes que l'on compare...
«
J
l 1
_j
_.1
l'en croire ».
Les pensées du critique sont d'ailleurs présentées de
telle manière qu'elles paraissent absurdes.
En effet, la métaphore
« Le bonheur ( ...
) entachait ma poésie », associant le « bonheur »
à une vague idée de saleté, due au verbe « entachait », semble
évoquer une idée assez paradoxale.
Neruda amorce ensuite
la
seconde partie en employant l'expression : prescrire « la dou
leur
».
Vient ensuite un raisonnement poussé à l'extrême, ayant
pour
base les idées du critique, pour lequel Neruda affiche toujours
autant de mépris, comme
le montre le démonstratif « telle ».
Le
poète transforme ensuite avec ironie la « douleur » morale, à
laquelle faisait sans doute allusion le critique, en une douleur
physique et transpose
la suite de ses propos dans un vocabulaire
médical.
C'est
ainsi que « l'appendicite » donne « une prose
excellente
» et « une péritonite (.
..
) des chants sublimes ».
On
peut d'ailleurs remarquer que l'ironie va croissant, de même que
les termes employés prennent un sens plus
fort.
Ainsi donc, Neruda
entame sa défense en ridiculisant
la remarque du critique, et en
ayant recours
à l'ironie.
L'idée qu'il défend alors est que la poésie,
ou, plus largement,
la littérature, n'est pas forcément dépendante
de
la douleur.
Cependant, beaucoup de personnes ont eu
la conviction que la
poésie devait être liée à la douleur et certains le pensent d'ailleurs
encore, comme
le montre Pablo Neruda.
Cette idée a surtout été
celle des romantiques.
Voici par exemple ce qu'écrivit Théophile Gautier, comparant le
poète au pin des Landes :
« Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
Lorsqu'il est sans blessure,
il garde son trésor.
ll faut qu'il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d'or.
»
Gautier donne donc du poète l'image d'un homme qui doit
souffrir.
Cela s'est très fréquemment vérifié, au dix-neuvième siècle
notamment.
Il est en effet évident qu'Hugo, écrivant « A Ville
quier », était encore pénétré de la douleur que lui avait causée la
mort de sa fille, Léopoldine; il en est de même pour « Demain, dès
l'aube ...
».
« L'Isolement» de Lamartine résulte également de la douleur, de
celle d'avoir perdu
Elvire..
»
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