Vous commenterez ce texte de Victor Hugo, extrait des Contemplations, en vous attachant à montrer tout ce que la poésie apporte de vigueur à la thèse.
Publié le 03/03/2011
Extrait du document
J'étais alors en proie à la mathématique. Temps sombre! enfant ému du frisson poétique... Hélas! on me fourrait sous les os maxillaires Le théorème orné de tous ses corollaires; 5 Et je me débattais, lugubre patient Du diviseur prêtant main-forte au quotient. De là mes cris. Un jour, quand l'homme sera sage, Lorsqu'on n'instruira plus les oiseaux par la cage, Quand les sociétés difformes sentiront 10 Dans l'enfant mieux compris se redresser leur front... Alors, tout en laissant au sommet des études Les grands livres latins et grecs, ces solitudes Où l'éclair gronde, où luit la mer, où l'astre rit, Et qu'emplissent les vents immenses de l'esprit, 15 C'est en les pénétrant d'explication tendre, En les faisant aimer, qu'on les fera comprendre. Homère emportera dans son vaste reflux L'écolier ébloui; l'enfant ne sera plus Une bête de somme attelée à Virgile; 20 Et l'on ne verra plus ce vif esprit agile Devenir, sous le fouet d'un cuistre ou d'un abbé, Le lourd cheval poussif du pensum embourbé... Le maître, doux apôtre incliné sur l'enfant, Fera, lui versant Dieu, l'azur et l'harmonie, 25 Boire la petite âme à la coupe infinie. Alors, tout sera vrai, lois, dogmes, droits, devoirs. Tu laisseras passer dans tes jambages noirs Une pure lueur, de jour en jour moins sombre, O nature, alphabet des grandes lettres d'ombre!
Lorsque Hugo commença, vers 1846, son poème des Contemplations, « A propos d'Horace «, il voulait montrer avec fantaisie l'absurdité de faire copier en pensum à un adolescent des poèmes qui chantent justement la liberté et l'amour. Mais, une dizaine d'années plus tard, en exil, les vers qu'il ajoute sont un véritable pamphlet contre un enseignement qui, en abrutissant les enfants, sert de pourvoyeur au despotisme : à cet enseignement clérical, conservateur et formaliste, le poète veut substituer l'éducation laïque des instituteurs qui, en faisant comprendre la poésie avec amour, prépareront une société plus humaine. Le texte, d'ailleurs incomplet, que nous étudions, se rattache à ce thème, en décrivant d'abord, du vers 1 au vers 7, une pédagogie autoritaire et pédantesque, puis en lui opposant, du vers 7 au vers 22, l'éducation idéale, c'est-à-dire 1' « explication tendre « des grands poètes. Il évoque enfin ce que sera le résultat final, la compréhension du monde.
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aux allitérations en en et en i, et surtout à la disposition des trois accents (emplissent //...
immenses\ ...
esprit) etdes deux coupes met vigoureusement en valeur vents immenses.
Dans l'apodose (vers 15 et 16) pas d'image, maisl'idée est soulignée par l'alliance de mots explication tendre et par la symétrie entre aimer et comprendre, les deuxmots-clés étant à l'hémistiche et à la rime : il s'agit cette fois de la méthode, fondée sur l'amour pour la poésie,pour la nature et pour l'enfant.
Cette deuxième partie se termine par une opposition deux fois reprise entre l'écolier libre et l'écolier esclave.
Du vers17 au vers 19, un rythme d'abord montant, avec une image cosmique en mouvement qui rappelle la Nature(emportera dans son vaste reflux), souligné par le rejet du vers 18 suivi d'une forte coupe (après ébloui, ce qui meten valeur l'extase devant l'univers) s'oppose, en une sorte de chiasme, à un rythme descendant, qui se ralentitgrâce à l'enjambement au vers 19, avec une image et une alliance de mots (bête de somme attelée à Virgile) quiévoquent la lourdeur et l'esclave abruti.
Les trois derniers vers continuent, sur un autre mode, le même contraste.En effet, si le vers 20, avec ses allitérations en i, v, f, l, ses mots courts, a quelque chose de léger, le rejet au vers21 coupe brusquement le mouvement, qui s'alourdit ensuite progressivement (fouet évoque la torture, cuistre etabbé rappellent le caractère pédant et clérical de l'enseignement honni) jusqu'au vers 22 dont l'image reprend celledu vers 19 (et fait penser au charretier embourbé de La Fontaine), avec des allitérations en ou et en p, et le motpensum qui revient au thème du despotisme magistral.
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La partie finale rappelle d'abord en trois vers (vers 23 à 25) ce que seront, dans le futur, le maître, la méthode et lecontenu de l'éducation.
Le maître est évoqué par un substantif (apôtre) dont la connotation est celle du messageévangélique : ses deux qualificatifs marquent, le premier par sa nuance affective (doux), le second par l'attitudequ'il dessine (incliné), qu'il se mettra affectueusement au niveau de l'enfant.
Une image insiste sur cette méthode :l'enfant boira librement (versant, boire, coupe) au lieu d'ingurgiter par force, comme au début.
On lui fera découvrirDieu (âme, infinie prolongent la même idée), non le Dieu tyrannique des « abbés », mais le Créateur que révèle laNature, qui n'est plus maintenant que douce couleur et musique (azur; harmonie), car l'enfant a compris etcontemplé la sérénité de la création.
Les quatre derniers vers marquent le résultat de cette éducation, d'abord abstraitement, par le vers 26, qui expliqueles vers 9 et 10 : tout sera « vrai » parce qu'on aura fait comprendre et aimer l'univers à l'enfant; puis par uneimage, très caractéristique de Hugo.
Elle consiste, après l'avoir préparée par jambages, à terminer sur l'analogiesymbolique Nature-alphabet (du type pâtre-promontoire), vue fantastiquement comme un gigantesque amas delettres noires sur un fond faiblement lumineux.
L'ombre domine, marquée par le vocabulaire (noirs, sombre, ombre),les allitérations en on, a, ou, oi, les coupes et les accents qui ne laissent à la clarté qu'un seul hémistiche au vers28 et un demi-hémistiche au dernier vers, avec chaque fois un seul accent.
Un seul mot, et le plus faible (lueur),évoque cette lumière, mais le rejet du vers 28 et les allitérations en u, en contraste avec celles du thème del'ombre, la soulignent musicalement.
Ainsi le poème sort du réel pour s'achever sur une vision qui symbolise le sensde la contemplation.
* * *
Ces quelques vers reprennent bien des thèmes chers à Hugo : amour de l'enfant, haine de la contrainte, dudespotisme, espoir dans une société plus heureuse grâce à l'éducation et à la démocratie, foi dans la poésie et dansl'amour, contemplation de la Nature et de Dieu dans la création et les chefs-d'œuvre de l'esprit.
On ne peut pas,sans doute, en tirer un programme d'éducation très précis.
Mais ils suggèrent quelques principes directeurs :l'enseignement doit répudier tyrannie et formalisme, expliquer avec amour à l'enfant le sens de la création, ens'aidant de l'œuvre des grands poètes, et préparer ainsi une société plus juste.
Ces idées généreuses, Hugo nous lesrend sensibles par les prestiges de son art : un vocabulaire très varié, riche en connotations et souvent contrasté;des images nombreuses qui passent de la vulgarité ou de la brutalité à la grandeur cosmique et s'achèvent en visionfantastique; un usage fréquent de l'opposition, dans la composition, entre images, couleurs, sonorités ou élémentsrythmiques; une cadence, enfin, qui tout en soulignant les effets des autres éléments du style, transcritmusicalement les diverses émotions du poète, de l'accablement à l'espoir, de la tristesse, de la pitié ou du mépris àl'enthousiasme ou à.
la sérénité de la contemplation..
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