VOLTAIRE - Zaïre : Un extrait (Acte II, Scène 3)
Publié le 01/04/2011
Extrait du document
LUSIGNAN De vos bras, mes enfants, je ne puis m'arracher. Je vous revois enfin, chère et triste famille, Mon fils, digne héritier... vous... hélas ! Vous ? Ma fille ! Dissipez mes soupçons, ôtez-moi cette horreur, 640 Ce trouble qui m'accable au comble du bonheur. Toi qui seul as conduit sa fortune et la mienne, Mon dieu qui me la rends, me la rends-tu chrétienne ? Tu pleures, malheureuse, et tu baisses les yeux ! Tu te tais ! Je t'entends ! ô crime, ô justes cieux ! ZAÏRE 645 Je ne puis vous tromper ; sous les lois d'Orosmane... Punissez votre fille... elle était musulmane. LUSIGNAN Que la foudre en éclats ne tombe que sur moi ! Ah, mon fils ! à ces mots j'eusse expiré sans toi. Mon dieu ! J'ai combattu soixante ans pour ta gloire ; 650 J'ai vu tomber ton temple, et périr ta mémoire ; Dans un cachot affreux abandonné vingt ans, Mes larmes t'imploraient pour mes tristes enfants ; Et lorsque ma famille est par toi réunie, Quand je trouve une fille, elle est ton ennemie ! 655 Je suis bien malheureux... c'est ton père, c'est moi, C'est ma seule prison qui t'a ravi ta foi. Ma fille, tendre objet de mes dernières peines, Songe au moins, songe au sang qui coule dans tes veines ; C'est le sang de vingt rois, tous chrétiens comme moi ; 660 C'est le sang des héros, défenseurs de ma loi ; C'est le sang des martyrs... ô fille encor trop chère ! Connais-tu ton destin ? Sais-tu quelle est ta mère ? Sais-tu bien qu'à l'instant que son flanc mit au jour Ce triste et dernier fruit d'un malheureux amour, 665 Je la vis massacrer par la main forcenée, Par la main des brigands à qui tu t'es donnée ? Tes frères, ces martyrs égorgés à mes yeux, T'ouvrent leurs bras sanglants tendus du haut des cieux. Ton dieu que tu trahis, ton dieu que tu blasphèmes, 670 Pour toi, pour l'univers, est mort en ces lieux mêmes, En ces lieux où mon bras le servit tant de fois, En ces lieux où son sang te parle par ma voix. Vois ces murs, vois ce temple envahi par tes maîtres ; Tout annonce le dieu qu'ont vengé tes ancêtres. 675 Tourne les yeux, sa tombe est près de ce palais ; C'est ici la montagne où lavant nos forfaits, Il voulut expirer sous les coups de l'impie ; C'est là que de sa tombe il rappela sa vie. Tu ne saurais marcher dans cet auguste lieu, 680 Tu n'y peux faire un pas, sans y trouver ton dieu, Et tu n'y peux rester sans renier ton père, Ton honneur qui te parle, et ton dieu qui t'éclaire. Je te vois dans mes bras et pleurer et frémir ; Sur ton front pâlissant Dieu met le repentir ; 685 Je vois la vérité dans ton coeur descendue ; Je retrouve ma fille après l'avoir perdue ; Et je reprends ma gloire et ma félicité, En dérobant mon sang à l'infidélité. NÉRESTAN Je revois donc ma soeur ? ... et son âme... ZAÏRE Ah, mon père ! 690 Cher auteur de mes jours, parlez, que dois-je faire ? LUSIGNAN M'ôter par un seul mot ma honte et mes ennuis, Dire : je suis chrétienne. ZAÏRE Oui... seigneur... je le suis. LUSIGNAN Dieu, reçois son aveu du sein de ton empire !
COMMENTAIRE : I. — Les événements antérieurs La tragédie de Voltaire se situe au sérail de Jérusalem. Nous sommes à l'époque des Croisades sous le règne de Saint Louis. Zaïre, captive du Sultan Orosmane, ignore tout de ses origines (vers 87 à 90). Bien qu'elle porte une croix d'or (vers 93), pour laquelle 5 elle sent une piété instinctive (vers 119 à 120) et qui semble rappeler qu'elle serait née chrétienne, elle a été élevée sous la loi musulmane (vers 103 à 104). Malgré sa captivité, elle est heureuse (vers 4) : elle aime Orosmane et elle en est aimée (vers 136). Aujourd'hui même, elle doit l'épouser (vers 296). Le jeune Nérestan, captif lui aussi, a obtenu du Sultan de partir pour la France et d'en ramener la rançon de dix chrétiens (vers 33-34). Le voici de retour, après trois ans d'absence (vers 39). Il rapporte la rançon, mais il est lui-même ruiné (vers 250) et restera prisonnier des infidèles. Ému par tant de générosité, Orosmane accorde le rachat de cent captifs (vers 264). Il en excepte cependant Zaïre qu'il doit épouser, ainsi que le vieux roi Lusignan qui régnait autrefois à Jérusalem (vers 273), parce qu'il redoute son prestige auprès de ses ennemis.
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LUSIGNANDieu, reçois son aveu du sein de ton empire !
COMMENTAIRE :
I.
— Les événements antérieurs
La tragédie de Voltaire se situe au sérail de Jérusalem.
Nous sommes à l'époque des Croisades sous le règne deSaint Louis.
Zaïre, captive du Sultan Orosmane, ignore tout de ses origines (vers 87 à 90).
Bien qu'elle porte unecroix d'or (vers 93), pour laquelle 5 elle sent une piété instinctive (vers 119 à 120) et qui semble rappeler qu'elleserait née chrétienne, elle a été élevée sous la loi musulmane (vers 103 à 104).
Malgré sa captivité, elle estheureuse (vers 4) : elle aime Orosmane et elle en est aimée (vers 136).
Aujourd'hui même, elle doit l'épouser (vers296).
Le jeune Nérestan, captif lui aussi, a obtenu du Sultan de partir pour la France et d'en ramener la rançon dedix chrétiens (vers 33-34).
Le voici de retour, après trois ans d'absence (vers 39).
Il rapporte la rançon, mais il estlui-même ruiné (vers 250) et restera prisonnier des infidèles.
Ému par tant de générosité, Orosmane accorde lerachat de cent captifs (vers 264).
Il en excepte cependant Zaïre qu'il doit épouser, ainsi que le vieux roi Lusignanqui régnait autrefois à Jérusalem (vers 273), parce qu'il redoute son prestige auprès de ses ennemis.
Au début de l'acte II, Nérestan fait part à Châtillon, ancien compagnon d'armes de Lusignan, de sa déconvenue.Châtillon lui demande d'intervenir auprès de Zaïre pour obtenir la liberté du vieillard (vers 455-456).
Mais voici Zaïre;elle annonce qu'elle a déjà obtenu cette grâce du Sultan (vers 511 à 513).
Lusignan sort de prison.
En présence deChâtillon, le vieux croisé, affaibli par les souffrances et les années de captivité, rappelle son passé (vers 559 à 564).Bientôt, à la croix de Zaïre et à une cicatrice que porte Nérestan, il reconnaît en eux ses deux enfants.
Il bénit leciel et la Providence de lui donner cette joie après tant d'années.
II.
— Résumé du passage
Apprenant que Zaïre, sa fille, n'est pas chrétienne, mais musulmane, Lusignan se lamente.
La joie qu'il avaitéprouvée fait maintenant place à son désespoir.
Dans une adjuration éloquente et pathétique, il demande à sa fillede se faire chrétienne et Zaïre y consent avec une émotion bouleversée (vers 693) qui laisse prévoir de tragiquesconséquences.
III.
— Son importance
Le sacrifice
Ces conséquences ne vont pas tarder.
Zaïre a juré de garder le secret (vers 702).
Avant le départ des chrétiensque le Sultan a délivrés de leurs chaînes, Nérestan apprend à sa sœur que Lusignan, brisé par l'émotion, va mourir(vers 776) et lui demande de recevoir le baptême.
Le malheur, c'est, qu'une fois chrétienne, Zaïre devra renoncer àson mariage; mais, déchirée entre son amour pour Orosmane et sa piété filiale, elle accepte de se sacrifier (vers893).
A Orosmane qui la presse d'achever son hymen, elle demande un délai (vers 964) et le sultan fait part de sontrouble à son conseiller Corasmin (vers 975).
La lettre
Liée par son serment (vers 1116-1117), Zaïre ne peut avouer la 45 vérité à celui qu'elle aime.
Elle se contente degémir (vers 1154) et de demander un jour de répit (vers 1200 à 1205) à son fiancé intrigué et perplexe.
Mais voiciqu'on remet à Orosmane ce qu'il va considérer désormais comme la preuve de la trahison : c'est une lettre, saisiesur un chrétien, dans laquelle Nérestan donne à Zaïre un rendez-vous (vers 1249 à 1254).
La jalousie, que le sultanavait jusque-là essayé de réprimer en lui, va désormais faire son œuvre.
Sur les conseils de Corasmin, Orosmane aune dernière entrevue avec Zaïre : il ne lui montre pas la lettre, mais il la presse de tout avouer.
Zaïre proteste deson amour.
Le rendez-vous
Croyant au parjure et à la trahison, Orosmane fait arrêter Nérestan (vers 1410-11-12), mais laisse Zaïre en liberté.Que fera-t-elle, en recevant la lettre? La jeune fille la reçoit en effet; malgré de sombres pressentiments, pour êtrefidèle à la parole donnée, elle se rend au rendez-vous.
Mais Orosmane la guette et la tue.
C'est alors que Nerestanapparaît.
Il apprend au sultan qu'il est seulement le frère de Zaïre (vers 1582).
Désespéré, Orosmane se tue aprèsavoir donné ses derniers ordres pour libérer les chrétiens et ramener en France le corps de celle qu'il a poignardée(vers 1633).
Grâce à ce résumé, on voit comment la suite des événements est la conséquence, par rebondissements successifs,de la reconnaissance de Lusignan.
Le passage à commenter est donc un tournant décisif de l'action; c'est lui qui la«noue ».
IV.
— Sa beauté.
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