Voltaire, Première lettre, « Sur les quakers », Lettres philosophiques (1734): Vous ferez le commentaire du texte, de la ligne 1 : << J’ai cru que la doctrine ... >> à la ligne 26 : << ... interroger mon homme >>.
Publié le 08/09/2018
Extrait du document
À la suite dune altercation avec un aristocrate. Voltaire, d'abord enfermé à la Bastille, doit s'exiler deux ans en Angleterre (1726-1728). Séduit par la liberté régnant dans ce pays, il écrit les lettres anglaises — appelées ensuite Lettres philosophiques. À sa parution en 1734, l'ouvrage provoque un immense scandale qui contraint à nouveau l'auteur à quitter Paris En vantant les mérites de la société anglaise, Voltaire critique, de façon directe ou détournée, la nation française de son époque, et développe déjà le programme des Lumières.
J’ai cru que la doctrine1 et l’histoire d’un peuple si extraordinaire méritaient la curiosité d’un homme raisonnable. Pour m’en instruire, j’allai trouver un des plus célèbres quakers2 d’Angleterre, qui, après avoir été trente ans dans le commerce, avait su mettre des bornes3 à sa fortune 5 et à ses désirs, et s’était retiré dans une campagne auprès de Londres. Je fus le chercher dans sa retraite ; c’était une maison petite, mais bien bâtie, pleine de propreté sans ornement. Le quaker était un vieillard frais qui n’avait jamais eu de maladie, parce qu’il n’avait jamais connu les passions ni l’intempérance4 : je n’ai point vu en ma vie d’air plus noble ni plus enga-w géant que le sien. Il était vêtu, comme tous ceux de sa religion, d’un habit sans plis dans les côtés et sans boutons sur les poches ni sur les manches, et portait un grand chapeau à bords rabattus, comme nos ecclésiastiques ; il me reçut avec son chapeau sur la tête, et s’avança vers moi sans faire la moindre inclination de corps ; mais il y avait plus de politesse dans l’air ouvert et humain de son visage qu’il n’y en a dans l’usage de tirer une jambe derrière l’autre et de porter à la main ce qui est fait pour couvrir la tête. << Ami, me dit-il, je vois que tu es un étranger ; si je puis t’être de quelque utilité, tu n’as qu’à parler. - Monsieur, lui dis-je, en me courbant le corps et en glissant un pied vers lui, selon notre coutume, je me flatte que ma juste curiosité ne vous déplaira pas, et que vous voudrez bien me faire l’honneur de m’instruire de votre religion. - Les gens de ton pays, me répond-il, font trop de compliments et de révérences ; mais je n’en ai encore vu aucun qui ait eu la même curiosité que toi. Entre, et dînons d’abord ensemble. » Je fis encore quelques mauvais compliments, parce qu’on ne se défait pas de ses habitudes tout d’un coup ; et, après un repas sain et frugal, qui commença et qui finit par une prière à Dieu, je me mis à interroger mon homme. Je débutai par la question que de bons catholiques ont faite plus d’une fois aux huguenots5 : << Mon cher monsieur, lui dis-je, êtes-vous baptisé ? - Non, me répondit le quaker, et mes confrères ne le sont point. - Comment, morbleu, repris-je, vous n’êtes donc pas chrétiens ? - Mon fils, repartit-il d’un ton doux, ne jure point ; nous sommes chrétiens et nous tâchons d’être de bons chrétiens, mais nous ne pensons pas que le christianisme consiste à jeter de l’eau froide sur la tête, avec un peu de sel6 [...] >>
Ensuite il me rendit raison en peu de mots de quelques singularités qui 35 exposent sa secte7 au mépris des autres. << Avoue, dit-il, que tu as eu bien de la peine à t’empêcher de rire quand j’ai répondu à toutes tes civilités8 avec mon chapeau sur ma tête et en te tutoyant ; cependant tu me parais trop instruit pour ignorer que du temps du Christ aucune nation ne tombait dans le ridicule de substituer le pluriel au singulier. On disait à César Auguste : 40 je t’aime, je te prie, je te remercie ; il ne souffrait pas même qu’on l’appelât monsieur, dominus. Ce ne fut que très longtemps après lui que les hommes s’avisèrent de se faire appeler vous au lieu de tu, comme s’ils étaient doubles, et d’usurper les titres impertinents de Grandeur, d’Éminence, de Sainteté9, que des vers de terre donnent à d’autres vers de terre, en les assurant qu’ils 45 sont, avec un profond respect et une fausseté10 infâme, leurs très humbles et très obéissants serviteurs. C’est pour être plus sur nos gardes contre cet indigne commerce11 de mensonges et de flatteries que nous tutoyons également les rois et les savetiersi2, que nous ne saluons personne, n’ayant pour les hommes que de la charité, et du respect que pour les lois. »
1. Doctrine : croyance religieuse et morale.
2. Quakers : membres d’une secte protestante, qui professe un idéal de vie très strict. Les quakers n’entendaient se soumettre qu’à Dieu seul et non pas aux hommes, quelle que soit leur place dans la hiérarchie sociale.
3. Mettre des bornes : limiter.
4. Intempérance : l’excès des plaisirs.
5. Huguenots : protestants français. (Les huguenots pratiquaient quant à eux le baptême et la question des « bons catholiques » marque ou feint une grande ignorance de leur religion).
6. Sel : élément du rite dans le sacrement du baptême catholique, avec l’eau. Le christianisme des quakers ne comporte aucun sacrement.
7. Secte : religion minoritaire, sans la connotation péjorative moderne.
8. Civilités : marques de politesse.
9. Sainteté : titre traditionnel donné au Pape.
1 O. Fausseté : hypocrisie.
11. Commerce : échange.
12. Savetiers : cordonniers.
■ Construire la réponse
• Le plan est un mélange de plan synthétique et analytique. Pour la première partie de la question, vous devez envisager les textes les uns après les autres. Bien évidemment, comme vous devez mettre en évidence leurs points communs, il faut opérer des croisements et des rapprochements entre les trois extraits.
• Au brouillon, au fil de votre relecture des textes, notez et reformulez les idées directrices. Procédez aussi à une liste des convergences.
• Les procédés d'écriture remarquables sont liés à la forme de l'essai (registre didactique, simplicité du vocabulaire, clarté des enchaînements...) mais aussi à la forme du dialogue argumentatif (connecteurs logiques, discours direct. ..) .
Les trois extraits de Voltaire sont des textes d’idées. Dans le premier texte, sous la forme d’un dialogue argumentatif, le philosophe des Lumières fait l’éloge de la tempérance (<< mettre des bornes à sa fortune et à ses désirs », << sans ornement »). Lorsque le dialogue commence, le débat s’engage sur le terrain de la foi. Voltaire se moque de l’institution chrétienne qui s’attache à des rites (<< jeter de l’eau froide sur la tête avec un peu de sel >>) au détriment de la vraie foi. Ensuite (tout comme au début du texte), il stigmatise les us et coutumes français, pleines d’afféteries et d’emphase (« en me courbant le corps >>, << quelques mauvais compliments >>). L’éloquence est une cible privilégiée : Voltaire regrette le temps béni où la simplicité dominait l’art de parler (<< aucune nation ne tombait dans le ridicule de substituer le pluriel au singulier >>).
«
sans plis dans les côtés et sans boutons sur les poches ni sur les manches,
et portait un grand chapeau à bords rabattus, comme nos ecclésiastiques ;
il me reçut avec son chapeau sur la tête, et s'avança vers moi sans faire la
moindr e inclination de corps ; mais il y avait plus de politesse dans l'air
15 ouvert et humain de son visage qu'il n'y en a dans l'usage de tirer une jambe
derrière l'autre et de porter à la main ce qui est fait pour couvrir la tête.
Ensuite il me rendit raison en peu de mots de quelques singularités qui
35 exposent sa secte7 au mépris des autres..
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