VOLTAIRE - DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE Article « Torture » - Lecture méthodique
Publié le 25/04/2014
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VOLTAIRE - DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE
Article « Torture «
(Extrait)
Les Romains n'infligèrent jamais la torture qu’aux esclaves, mais les esclaves n'étaient pas comptés pour des hommes. Il n'y a pas d'apparence (1) non plus qu'un conseiller de la Tournelle (2) regarde comme un de ses semblables un homme qu'on lui amène hâve, pâle, défait, les yeux mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé dans un cachot.
Il se donne le plaisir de l'appliquer à la grande et à la petite torture, en présence d'un chirurgien qui lui tâte le pouls, jusqu'à ce qu'il soit en danger de
mort, après quoi on recommence ; et comme dit très bien la comédie des
Plaideurs : "Cela fait toujours passer une heure ou deux".
Le grave magistrat qui a acheté pour quelque argent (3) le droit de faire ces expériences sur son prochain va conter à dîner à sa femme ce qui s'est passé le matin. La première fois, madame en a été révoltée ; à la seconde, elle y a pris goût, parce qu'après tout les femmes sont curieuses ; ensuite, la première chose qu'elle lui dit lorsqu'il rentre en robe chez lui : « Mon petit cœur, n’avez-vous fait donner aujourd'hui la question à personne ? «
Les Français, qui passent, je ne sais pourquoi, pour un peuple fort humain, s'étonnent que les Anglais, qui ont eu l'inhumanité de nous prendre tout le Canada, aient renoncé au plaisir de donner la question.
Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d'un lieutenant général des
armées, jeune homme de beaucoup d'esprit et d'une grande espérance, mais ayant toute l'étourderie d'une jeunesse effrénée, fut convaincu (4) d'avoir chanté des chansons impies, et même d'avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d'Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seulement qu'on lui arrachât la langue, qu'on lui coupât la main, et qu'on brûlât son corps à petit feu ; mais ils
l'appliquèrent encore à la torture pour savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vues passer, le chapeau sur la tête.
Ce n'est pas dans le XIII° ou dans le XIV° siècle que cette aventure est arrivée, c'est dans le XVIII°. Les nations étrangères jugent de la France par les
spectacles, par les romans, par les jolis vers, par les filles d'Opéra, qui ont les mœurs fort douces, par nos danseurs d'Opéra, qui ont de la grâce, par Mlle Clairon, qui déclame des vers à ravir. Elles ne savent pas qu'il n'y a point au fond de nation plus cruelle que la française.
Lecture méthodique
PRÉSENTATION DU TEXTE De la même façon qu'il avait dénoncé les violences de l'Inquisition (notamment dans Candide), Voltaire s'attaque à une pratique habituelle dans les procès, l'utilisation systématique de la torture. Avec une ironie qui laisse passer la profondeur de son indignation, il fait le tour du problème pour en dénoncer l'horreur, la banalisation et les pseudo-justifications historiques. Le texte évolue en plusieurs paragraphes qui abordent le thème par des « angles « diversifiés. C'est un moyen efficace de souligner tout ce que la torture a d'inacceptable quelle que soit l'approche du problème. L'ironie est également une arme efficace pour étonner, déranger et faire prendre conscience de ce qu'il y a d'inhumain et de révoltant dans une façon de procéder passée dans les habitudes.
La lecture méthodique du texte s'attachera à montrer la diversité d'approche du problème, ce qui s'inscrit bien dans la nature de l'article de dictionnaire, et les différents éléments à travers lesquels Voltaire s'attaque à la pratique de la torture.
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De la même façon qu'il avait dénoncé les violences de l'Inquisition
(notamment dans Candide), Voltaire s'attaque à une pratique habituelle dans
les procès, l'utili sation systématique de la torture.
Avec une ironie qui laisse
passer la profondeur de son indignation, il fait le tour du problème pour en
dénoncer l'horreur, la banalisation et les pseudo -justifications historiques.
Le
texte évolue en plusieurs paragraphe s qui abordent le thème par des « angles »
diversifiés.
C'est un moyen efficace de souligner tout ce que la torture a
d'inacceptable quelle que soit l'approche du problème.
L'ironie est également
une arme efficace pour étonner, déranger et faire prendre con science de ce
qu'il y a d'inhumain et de révoltant dans une façon de procéder passée dans les
habitudes.
La lecture méthodique du texte s'attachera à montrer la diversité
d'approche du problème, ce qui s'inscrit bien dans la nature de l'article de
dictionn aire, et les différents éléments à travers lesquels Voltaire s'attaque à la
pratique de la torture.
l.
LA DIVERSITÉ D'APPROCHE DU PROBLÈME
Le texte se compose de cinq paragraphes dont le cinquième constitue
une conclusion.
Les quatre premiers abordent la t orture de manière un peu
différente à travers la présentation de contextes différents.
Paragraphe 1 : le problème est envisagé dans un contexte qui est celui du
cadre juridique souligné par les allusions au monde de la justice (« conseiller de
la Tournelle », l.
2 ; « cachot », l.
4) en même temps qu'il est fait référence à
l'histoire romaine (premières lignes).
On observe dans le texte la récurrence de
plusieurs termes évoquant le procédé (« torture », l.
1 ; « grande et petite
torture », l.
5 ; « danger d e mort », l.
6).
Il s'agit des conditions d'application de
la torture, de ceux qui la subissent, de ceux qui l'appliquent et de la manière
dont, justifiée, elle devient un passe -temps sadique.
Elle est présentée dans le
premier paragraphe sous sa forme « l égale ».
Paragraphe 2 : le contexte est ici différent.
Si le personnage mis en cause
est le même (le « magistrat », l.
8), il est vu dans sa vie privée (« à dîner »,
allusion à sa femme), et non plus dans l'exercice de ses fonctions.
Le passage
de la vie p rofessionnelle à la vie privée ne fait pas disparaître la réalité de la
torture.
Elle est en effet présente à travers les mots « expériences » ( l.
8) et «
question » ( l.
12).
Paragraphe 3 : sans transition, Voltaire aborde un point de politique
extérieure et reprend le problème de la torture à travers un parallélisme
ironique établi entre deux nations, la France et l'Angleterre.
Le même mot est
réutilisé et termine le paragraphe (« question », l.
15).
Paragraphe 4 : ce paragraphe donne une illustration hist orique,
l'exemple du chevalier de La Barre.
Sous la forme d'un véritable plaidoyer,.
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