Voltaire, Dictionnaire philosophique (1764), « Guerre ». Extrait commenté
Publié le 10/01/2020
Extrait du document
[...] On paye partout un certain nombre de harangueurs pour célébrer ces journées meurtrières ; les uns sont vêtus d'un long justaucorps noir, chargé d'un manteau écourté ; les autres ont une chemise par-dessus une robe ; quelques-uns portent deux pendants d'étoffe bigarrée par-dessus leur chemise. Tous parlent longtemps ; ils citent ce qui s'est fait jadis en Palestine, à propos d'un combat en Vetéravie.
Le reste de l'année ces gens-là déclament contre les vices. Ils prouvent en trois points, et par antithèse, que les dames qui étendent légèrement un peu de carmin sur leurs joues fraîches seront l'objet éternel des vengeances éternelles de l'Éternel; que Polyeucte et Athalie sont les ouvrages du démon; qu'un homme qui fait servir sur sa table pour deux cents écus de marée un jour de carême, fait immanquablement son salut, et qu'un pauvre homme qui mange pour deux sous et demi de mouton va pour jamais à tous les diables.
De cinq à six mille déclamations de cette espèce, il y en a trois ou quatre, tout au plus, composées par un Gaulois nommé Massillon, qu'un honnête homme peut lire sans dégoût; mais dans tous ces discours, à peine en trouverez-vous deux où l'orateur ose dire quelques mots contre ce fléau ou ce crime de la guerre, qui contient tous les fléaux et tous les crimes. Les malheureux harangueurs parlent sans cesse contre l'amour, qui est la seule consolation du genre humain, et la seule manière de le réparer; ils ne disent rien des efforts abominables que nous faisons pour le détruire.
Vous avez fait un bien mauvais sermon sur l'impureté, ô Bourdaloue! mais aucun sur ces meurtres variés en tant de façons, sur ces brigandages, sur cette rage universelle qui désole le monde. Tous les vices réunis de tous les âges et de tous les lieux n'égaleront jamais les maux que produit une seule campagne.
Misérables médecins des âmes, vous criez pendant cinq quarts d'heure sur quelques piqûres d'épingle, et vous ne dites rien sur la maladie qui nous déchire en mille morceaux! Philosophes moralistes, brûlez tous vos livres. Tant que le caprice de quelques hommes fera loyalement égorger des milliers de nos frères, la partie du genre humain consacrée à l'héroïsme sera ce qu'il y a de plus affreux dans la nature entière.
Que deviennent et que m'importent l'humanité, la bienfaisance, la modestie, la tempérance, la douceur, la sagesse, la piété, tandis qu'une demi-livre de plomb tirée de six cents pas me fracasse le corps, et que je meurs à vingt ans dans des tourments inexprimables, au milieu de cinq ou six mille mourants, tandis que mes veux qui s'ouvrent pour la dernière fois voient la ville où je suis né détruite par le fer et par la flamme, et que les derniers sons qu'entendent mes oreilles sont les cris des femmes et des enfants expirants sous des ruines, le tout pour les prétendus intérêts d'un homme que nous ne connaissons pas?
(commentaire composé de français)
«
par le fer et par la flamme, et que les derniers sons qu’entendent mes oreilles sont les cris des femmes
et des enfants expirants sous des ruines, le tout pour les prétendus intérêts d’un homme que nous ne
connaissons pas?
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Dictionnaire philosophique => un peu comme dans l ’Encyclopédie , Voltaire part d’une définition de
terme pour arriver à une réflexion et même à une critique de cette notion.
Comment, dans cet extrait d’article, Voltaire dénonce-t-il la guerre ?
Texte composé de petits paragraphes > clarté de l’expression, de l’argumentation…
I- La critique des harangueurs
Afin de critiquer la guerre, Voltaire condamne ceux qui la loue => registre polémique.
A- Des idolâtres de la guerre
• « On paye partout un certain nombre de harangueurs pour célébrer ces journées meurtrières » >
« on » : pronom personnel indéfini > peut renvoyer à tout le monde, tous les dirigeants, tous les pays,
ce qui est renforcé par « partout » et « paye » : présent de vérité générale.
Antithèse, oxymore : « pour célébrer ces journées meurtrières » > « célébrer » : idée de fête,
d’estime… VS « journées meurtrières » : tragique, mort de nombreux hommes.
=> Malgré l’énonciation impersonnelle : on sent la critique virulente de Voltaire.
• Harangueurs > désignés aussi par l’expression « ces gens-là » > désignation péjorative : démonstratif
ces + le déictique « là ».
• « De cinq à six mille déclamations de cette espèce » > manière péjorative de rappeler qu’ils sont tous
pareils.
B- Des hommes injustes et démesurés
• Opposition entre les harangueurs qui célèbrent la guerre et qui « déclament contre les vices » =>
satire.
Or, célébrer la guerre : oxymore et ce qui sont pour eux des « vices », ne le sont pas.
• Critique de Voltaire de leur argumentation.
Cf.
la reprise de leurs arguments avec précision : « en
trois points, et par antithèse ».
• Montrez que Voltaire, tout en reprenant les 3 arguments des harangueurs, les critique.
Ex : la différence entre l’acte « légèrement un peu de carmin sur leurs joues fraîches » > acte diminué,
tout est dans la mesure > « légèrement » ; « un peu » VS la punition « l’objet éternel des vengeances
éternelles de l’Éternel ».
Punition annoncée absurde, démesurée, injuste..
»
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